Revue de presse

B. Couturier : « Donald Trump a mis une claque au Parti des médias » (lefigaro.fr/vox , 11 nov. 16)

Brice Couturier, journaliste, producteur de radio et écrivain français. 12 novembre 2016

"La victoire de Donald Trump a surpris l’écrasante majorité des « experts » et des médias ainsi que la classe dirigeante. Comment expliquez-vous une telle cécité ?

Quelle claque ! Plus de 200 journaux américains avaient soutenu Hillary Clinton. Tous ceux qui comptent, des plus élitistes, comme le New York Times, le Washington Post ou le Wall Street Journal, jusqu’aux plus populaires, tels que USA Today, théoriquement non-partisan, voire même le Daily News. En face, 6 seulement soutenaient le candidat qui allait, finalement, l’emporter. Des titres de très peu d’importance, d’ailleurs. Ce que cela prouve ? Que le monde des médias américains, pourtant soumis, bien davantage que chez nous, à la loi du marché et aux suffrages de l’opinion, est déconnecté des aspirations de la majorité de la population. Entre les élites supposées et les classes moyennes et populaires, ce n’est plus un fossé, c’est un abîme qui s’est creusé. Pourquoi ? Parce que, d’une manière générale, dans nos démocraties, le monde que décrit la sphère politico-médiatique n’est pas celui dans lequel ont l’impression de vivre la majorité des gens. Alors, forcément, ça les énerve. Et ils ont de plus en plus tendance à voter contre ce que leur recommande le prêchi-prêcha médiatique.

Vous êtes de ceux que cela réjouit ?

On aurait envie de battre des mains devant cette déconvenue méritée… si le résultat n’était pas l’arrivée à la tête de la plus puissante démocratie libérale du monde d’un personnage aussi manifestement inapte à la fonction présidentielle. Alors, on peut féliciter le New York Times d’avoir publié une tribune dans laquelle ce grand quotidien reconnaissait s’être planté, avoir méconnu la réalité sociale du pays, être passé à côté d’un évènement de portée historique. On attend encore le même genre de confession de la part des médias français. Pensez que certains en sont encore à mettre en cause le « plafond de verre » qui empêcherait une femme de devenir présidente des Etats-Unis ! Comme si un pays qui a été capable d’élire à deux reprises un président noir - alors que ceux-ci ne représentent que 12 % de la population -, ne pourrait pas élire une femme - alors qu’elles sont plus nombreuses à voter que les hommes.

Dans les colonnes de FigaroVox, vous déclariez « le parti des médias et l’intelligentsia méprisent la réalité. » [1]. Ont-ils méprisé Donald Trump et ses électeurs ?

Ah oui ! Que n’a-t-on pas entendu sur ces « petits blancs », forcément racistes ; sur ces ploucs non diplômés de l’Université, et incapables, de ce fait, de s’élever à l’altitude proprement himalayesque où évoluent les grands esprits qui peuplent les départements des « post-colonial studies » ! Y compris, chez nous, en France, où l’antiaméricanisme des élites s’alimente, depuis toujours, à un mépris culturel du « red-neck », amateur de country-music, du crétin des Appalaches, plus ou moins dégénéré. Hillary Clinton a commis une fameuse gaffe, en déclarant que les électeurs de Trump étaient deplorable (lamentables, pitoyables) [2]. C’est cette arrogance qui a été ressentie comme insupportable. Même chose, ici, en France. L’élite ignore tout du pays profond. Comment le connaîtrait-elle ? Pensez que les médias nous ont présenté les Nuits Debout comme l’amorce d’un mouvement social de fond qui s’apprêtait à révolutionner le pays ! Tandis que les spécialistes en sciences sociales nous vantent « l’intersectionnalité des luttes », ou le « féminisme islamiste » ! On est bien avancés. Ceux qui essaient de comprendre ce qui se passe, comme Christophe Guilluy, se font traiter de suppôts du Front national ! Laurent Davezies, Eric Dupin, ou encore Jean-Pierre Le Goff, pour ne prendre que ces trois-là, ne sont pas lus par les politiques. Ils auraient pourtant beaucoup à y apprendre.

Est-ce la fin du « politiquement correct » inventé au Etats-Unis ?

Ah ! Ce serait trop beau ! Mais une chose est sûre : Hillary Clinton s’est pris les pieds dans le tapis de l’appel au vote « genré » et « racialisé ». Durant toute sa campagne, elle en a appelé au vote des femmes, comme s’il lui était acquis par droit naturel. Seulement 54 % des électrices l’ont finalement choisie. Malgré tous les témoignages accablants sur le sexisme de Trump. Elle a aussi semblé considérer que vote des Noirs et des Hispaniques lui revenait d’office. Elle a pratiqué, comme jamais auparavant dans une présidentielle, la « politique des identités » à laquelle s’est converti le Parti démocrate. Mais, d’une part, ces électeurs n’ont pas apprécié d’être considérés comme acquis : 29 % des Latinos ont voté Trump, soit deux points de plus que pour Mitt Romney en 2012. Et d’autre part, Clinton a provoqué, par contre-coup, un réflexe de « victimisation » au sein de la classe ouvrière blanche. Car le grand paradoxe des politiques identitaires, c’est de flatter toutes les minorités sauf une. On répète aux petits blancs qu’ils sont en train de perdre la majorité et qu’en plus, ils sont des ratés, sans recours possible à l’affirmative action. Comment s’étonner qu’ils se constituent en minorité agissante, comme les autres ? Avec discipline de vote et lobbying à la clé. Obama avait essayé d’engager les États-Unis dans la voie d’une politique post-raciale. Clinton a dilapidé cet héritage. Ça laissera des traces. [...]

La France n’est-elle pas tout aussi fracturée ? Un phénomène Trump est-il possible en France ?

Je ne sais pas. D’abord, Trump n’a pas d’équivalent en France. Un pro de la télé qui séduit l’électorat parce qu’il se vante de n’être pas un politique. Un provocateur, qui se sert de son inexpérience, voire de son incompétence, pour se faire élire par un électorat qui a pris la classe politique en haine, nous n’avons pas ce profil… Ou alors Cyril Hanouna, bien davantage qu’Eric Zemmour, auquel certains ont songé. Marine Le Pen s’y voit déjà. Mais paradoxalement, son entreprise de dédiabolisation du Front national la dessert dans ce registre. Elle cherche à apparaître comme une politicienne comme les autres. Son père, lui, savait mettre les rieurs de son côté en faisant le singe. La voie choisie par Trump a été précisément de ne pas jouer le jeu politique traditionnel, d’en transgresser toutes les règles, de s’en moquer ouvertement, en prenant les spectateurs à témoin, de manière à les rendre complices. C’est un truc de one-man show. Ca demande du métier !

Trump est isolationniste en matière de politique étrangère et protectionniste en matière économique. Sa victoire est-elle le résultat du double échec du « néoconservatisme » et du « néolibéralisme » ?

Ah oui, voir en Donald Trump l’incarnation du néo-libéralisme, comme l’a fait, par exemple, François Cusset dans Libération, c’est du dernier comique. Une partie des intellectuels de gauche est bien embêtée : Trump est un altermondialiste doublé d’un keynésien ! Il entend renégocier tous les traités de libre-échange déjà signés comme l’ALENA et refuser tous ceux qui ne le sont pas encore, comme le TTIP. Il est violemment hostile à l’OTAN, qu’il considère comme « dépassé » et laisse entendre que les alliés des Américains n’ont qu’à se débrouiller tout seuls. Son programme de grands travaux de type New Deal, il l’a chiffré à 550 milliards de dollars, ce qui est proprement astronomique. Nos intellectuels de gauche n’aiment pas tout ce qui, dans le programme de Trump, le rapproche de la gauche la plus traditionnelle. [...]"

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