Belinda Cannone, essayiste féministe et romancière. 3 août 2020
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"Pour l’essayiste féministe et romancière Belinda Cannone une nouvelle forme de féminisme, adepte du "dégagisme", est en train de prendre le pas sur l’action politique.
Belinda Cannone, auteure de La Tentation de Pénélope - Une nouvelle voie pour le féminisme (éd. Stock et Pocket) et féministe revendiquée, revient sur l’affaire Christophe Girard. L’ex-adjoint à la culture de la mairie de Paris, à qui certains ont reproché sa proximité avec l’écrivain Gabriel Matzneff (actuellement visé par une enquête pour "viols sur mineurs"), a démissionné jeudi dernier. Une "victoire" pour certaines militantes féministes. Pour d’autres, comme Belinda Cannone, les méthodes utilisées posent question.
Quel regard portez-vous sur la mobilisation qui a eu lieu contre Christophe Girard et sur la démission de ce dernier ?
En réalité, ce "combat" n’a mobilisé que très peu de personnes. Une quarantaine tout au plus, notamment des militants écologistes et féministes. Les médias ont beaucoup contribué à donner de l’ampleur à ce qui n’était, en soi, qu’un microphénomène. Que reprochait-on, au départ, à Christophe Girard ? Il était secrétaire général de la maison Yves Saint Laurent quand celle-ci, dans les années 1980, donna, comme d’autres, de l’argent à Matzneff. En mars, la police judiciaire venait d’entendre Girard comme témoin - témoin, non pas comme accusé ! Les reproches qui lui étaient adressés, concernant des années où le pédophile jouissait, comme le disait récemment l’historienne Michelle Perrot, d’une "indulgence d’époque", me paraissaient donc très légers. Depuis, d’autres éléments ont été rendus publics par les services de la Mairie de Paris, comme le passage en notes de frais de repas partagés avec l’écrivain. Je tiens donc à rester prudente quant aux faits qui sont reprochés à Christophe Girard... Néanmoins, dans cette histoire, c’est le procédé employé par ses opposants - des invectives et la pression de la rue - qui me paraît pour le moins discutable.
L’élue EELV Alice Coffin montée en première ligne, a exprimé son "émotion" après l’annonce de la démission de l’adjoint à la culture. Comment analysez-vous cette réaction ?
L’émotion de Simone Veil, le jour où elle est parvenue à faire dépénaliser l’avortement, me paraît tout à fait justifiée et compréhensible. La victoire de l’avocate Gisèle Halimi, qui a réussi à faire reconnaître le viol comme un crime, fait également partie de ces grands événements fondateurs, qui ont bouleversé le destin et la vie de milliers de femmes. Mais, à côté, l’affaire Girard me semble, encore une fois, n’être qu’un microphénomène, monté en épingle par quelques militants ayant pour seule arme leur indignation et leur conviction d’être du côté du Bien. Nous sommes dans un moment historique où l’émotion prend le pas sur la pensée et les procédés politiques. Ce qui donne lieu à ce genre d’action de "dégagisme" sans autre forme de procès.
Le mouvement féministe paraît aujourd’hui très divisé. N’est-ce pas dommage ?
Le fait que cohabitent une variété de mouvements n’est pas un problème, bien au contraire. La politique consiste à confronter des points de vue différents puis à essayer de voir ce qui est le plus profitable à la cause des femmes. Nous voulons toutes et tous l’égalité. Il est évident que cela peut passer par plusieurs chemins. Ce qui me paraît toutefois dommageable, c’est le clivage de plus en plus grand entre deux types de féminisme : l’ "universaliste" d’un côté, qui pense que les femmes sont des personnes humaines ayant à ce titre les mêmes droits et devoirs que les hommes, et le "différentialiste" de l’autre, qui met l’accent sur une nature féminine qui serait caractérisée par sa dimension de victime. Ce dernier se situe davantage dans le registre de l’émotion, du regard compassionnel et, hélas, du ressentiment... Cette voie - vindicte, censure, moralisme - semble prendre le pas sur les autres aujourd’hui, notamment parmi la jeune génération.
Et en quoi est-ce inquiétant ?
Les jeunes militants ont du mal à entendre et à prendre la mesure des dangers qui guettent ce type d’interventions. Pour moi, ce féminisme de ressentiment est catastrophique. D’autant que ce phénomène ne concerne pas que les luttes féministes mais la société tout entière. Or, on sait qu’on bascule vite du ressentiment au populisme, voire au totalitarisme. Voilà pourquoi ce fossé générationnel m’inquiète particulièrement. Si le jeunes sont biberonnés à cette pensée, ils finiront par trouver normal de se substituer aux tribunaux et au droit, pour censurer, virer, ou pousser à la démission...
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, et le Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, sont également au coeur de la vindicte féministe en ce moment. Le comprenez-vous ?
Je pense qu’on a tendance à tout mélanger. Je trouve extraordinairement malvenu d’avoir nommé ministre de l’intérieur un homme visé, comme Gérald Darmanin, par des accusations de viol à plusieurs reprises. Même s’il bénéficie de la présomption d’innocence, cette nomination peut, à juste titre, susciter un certain malaise. En revanche, je ne comprends pas que l’on mette sur le même plan le cas d’Eric Dupond-Moretti qui, lui, n’a jamais été mis en accusation devant les tribunaux. On lui reproche certains propos tenus sur le mouvement MeToo. Propos qui me déplaisent fort, à moi aussi. Pour autant, j’estime que chacun est libre d’exprimer ses opinions. Je ne vois pas en quoi celles-ci devraient entraver sa nomination. Le problème est précisément là : dans le fait de dresser une équivalence entre un possible jugement au pénal et une opinion. Ce manque de discernement est, pour moi, gravissime. Une démocratie en bonne santé est une démocratie pluraliste, dans laquelle il y a confrontation des points de vue. Je ne vois pas au nom de quoi des féministes interdiraient l’expression d’opinions dissonantes et prétendraient réguler la morale des uns et des autres."
Lire "Belinda Cannone : dans l’affaire Girard, "ce féminisme de ressentiment est catastrophique !""
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