par Thierry Martin. 16 mai 2023
[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Bardot – Et Brigitte créa B.B. [1], série co-écrite et co-réalisée par Danièle Thompson (La Boum) et son fils Christopher Thompson qui retracent une partie de la vie de l’actrice iconique, de ses débuts à 15 ans en 1949 à la naissance de son fils en 1960, n’évoquera pas la rencontre entre Brigitte Bardot et le Général de Gaulle... L’unique rencontre entre les deux Français vivants les plus connus dans le monde qui eut lieu en 1967 à l’Élysée, même si De Gaulle a dit un jour qu’au fond son seul rival international c’était Tintin.
Cela faisait des années que le Général, au grand dam de tante Yvonne (« Cette femme qui se promène toute nue », « Mais Charles, vous n’y pensez pas ! ») rêvait de rencontrer l’actrice de Et Dieu créa la femme, qui alors avait déjà tourné 17 films, on l’a oublié. Pour l’édition 1967 de ce dîner annuel des Arts et des Lettres qui réunit les grands noms de la scène, du cinéma et de la télévision étaient conviés, entre autres, Raymond Devos, Annie Girardot, Jean-Paul Belmondo… et donc Brigitte Bardot, forte désormais de 38 films dont le bien nommé Paparazzi, court métrage documentaire sur le tournage du Mépris de Jean-Luc Godard, réalisé par Jacques Rozier. Le Général évoque Babette s’en va-t’en guerre de Christian-Jaque, sorti en 1959 où elle incarne une héroïne de la Résistance qui se retrouve à Londres. On y cite d’ailleurs à plusieurs reprises le nom du Général. Ce soir-là Brigitte Bardot arrive en « pyjama à brandebourgs », selon l’expression de Malraux. Vêtue d’un pantalon noir – peu protocolaire – et d’une longue tunique à galons. « Ah, c’est vous ! De loin, je vous avais prise pour un militaire », s’amuse alors De Gaulle. Unique rencontre, Brigitte Bardot confiera regretter de ne pas avoir plus connu le grand Général.
L’autre personnage est La Ponche, l’hôtel, lieu bien présent lui, dans la série. Décor habituel pour Brigitte, du moins le Bar de la Ponche, où elle ado, sa sœur, Mijanou, et ses parents, quand ils débarquent chaque été du « Train bleu » dégustent les tartines et les bols de café que leur prépare Margot, la patronne, avant de rouvrir leur maison de la rue de la Miséricorde, à deux pas. Brigitte a 15 ans. « Toujours adorable. Fine, intelligente, le mot gentil. » Comme Sagan, qui laisse ses piles de livres, achetés chez la libraire Hélène Gerstel, au bout du port. « Brigitte lisait tout et elle donnait tout. » Ni stars ni système. « Notre hôtel n’avait pas d’étoiles. Les étoiles, elles étaient à l’intérieur, » précise Simone la fille de la patronne. Picasso l’intriguait beaucoup, la petite Simone. Il s’asseyait toujours à la même place, « là, à l’angle, pour admirer le golfe. Son amoureuse avait une maison pas loin ». Quant à ce trio bizarre... un petit qui louche, une grande en turban et un gars, le secrétaire : en 1953, Sartre, Beauvoir et leur secrétaire, Claude Lanzmann. Le Castor passant d’une chambre à l’autre.
Le bar, les pêcheurs qui ont amarré leur « pointu » à côté, les vieux, les jeunes, les occupants italiens et allemands, tout le monde y vient, et, juste après la guerre, de drôles de Parisiens, des fadas qui parlent toute la nuit philo et jazz. Vian, Merleau-Ponty, Gréco, Daniel Gélin... « Et si on faisait ici un club comme à Saint-Germain ? » lance Vian pointant la vieille grange à côté du bar. Dany Lartigue, le fils de Jacques-Henri, et le chanteur Mouloudji décorent les tables. Le Club Saint-Germain-des-Prés-La Ponche naît en 1949 et sera le rendez-vous tropézien des années durant, sous le nom de Tropicana. Pierre Brasseur s’y déchaîne sur la piste. « Si les murs de la Ponche pouvaient parler... » soupire Juliette Gréco.
Silhouette dans le deuxième épisode, la tarte tropézienne. Née en 1955 des mains du pâtissier polonais Alexandre Micka, cette brioche garnie de crème que découvre Brigitte Bardot lors du tournage de Et Dieu... créa la femme n’a pas encore été baptisée. Elle lui donnera un nom : la tarte tropézienne, qui a fait depuis l’objet d’un dépôt de brevet qui préserve son mystère.
Raconter Bardot
« Quand j’ai fini Sous le soleil à Saint-Tropez, je me suis dit : “Je veux raconter Bardot”, parce que c’est toute l’histoire du cinéma et celle d’une des femmes qui a le plus marqué », raconte le coproducteur Pascal Breton. Résumée en six épisodes de 52 minutes, Bardot – Et Brigitte créa B.B., c’est l’histoire d’une jeune fille de 15 ans qui cherche l’amour et la réussite et qui rencontre Roger Vadim. Son premier amour est lui-même raide dingue de cette jolie poupée à la tête bien faite.
Trois ou quatre passages du premier épisode :
« Elle : J’aime les balcons.
Lui : Pourquoi ?
Elle : Il faut une raison pour aimer ? »
Au petit déjeuner après la première fois (« je ne savais pas que dans mon corps il y avait un trésor caché », dira-t-elle plus tard.)
« Mijanou : Bah qu’est-ce que t’as ?
Brigitte : Bah quoi qu’est-ce que j’ai ?
Mijanou : On dirait que tu as vu le petit Jésus et tous ses saints.
Brigitte : Eh bien, oui ! »
Brigitte est toujours protectrice vis-à-vis de sa petite sœur
« J’ai quel âge Mijanou ?
Quinze ans.
Eh bien dans trois ans je te raconterai. »
Vadim giflé par le père.
Tentative de suicide de Brigitte.
Brigitte Bardot, petite fille catholique du quartier de Passy dans le 16e arrondissement de Paris à l’éducation stricte, se trouve laide (« Cette bouche trop envahissante ») et se sent mal aimée, même si elle n’a pas encore 15 ans lorsqu’elle pose pour la couverture du tout nouveau magazine Elle. Grâce à sa rencontre avec son premier amour, Roger Vadim, assistant du prestigieux metteur en scène Marc Allégret, elle va grandir, s’émanciper, braver tous les codes. Nous sommes à la veille de la révolution sexuelle mondiale des boomers dont B.B. – qui voulait juste être danseuse – deviendra l’icône malgré elle. Bardot assume sa sexualité, ne veut être ni une bonne épouse ni une mère de famille. Libre, rebelle et anticonformiste, cette femme amoureuse ne cherche pas à être un modèle. Laconique, elle lâche récemment à un interviewer de Boulevard Voltaire : « Les féministes sont des mal baisées ».
« La liberté d’expression, notamment, est remplacée par une pensée sectaire. L’intolérance de la bien-pensance militante de gauche (mais pas seulement) est devenue, avec les années, un tribunal qui juge et condamne sans appel », déclame-t-elle.
A propos de la série, l’ancienne comédienne qui parle toujours sans filtre a ainsi déclaré : « Je ne suis même pas au courant de ce truc ! Mais je m’en moque : la seule chose qui importe c’est ma vraie vie avec moi dedans. Et pas des biopics à la con. »
Bardot a toujours été une femme de tête. Comme quand elle pose avec l’un de ses chiens, à côté de son antique 4L, chacun arborant fièrement son gilet jaune.
Aujourd’hui elle va plus loin dans une lettre ouverte à Macron : « Vous faites de la France une "poubelle" qui vous sert de trône, et vous prenez un plaisir sadique à faire souffrir votre peuple, mais aussi les plus humbles, les plus vulnérables et les plus soumis, "les animaux" » [2].
Vadim filmera jusqu’à l’abnégation la naissance du nouvel amour de Brigitte
En 1956, la sortie du film de ce jeune homme qu’est Roger Vadim Plémiannikov, Et Dieu… créa la femme, dont Brigitte est l’héroïne, crée l’événement et emmène B.B. au firmament. Mais comme un train peut en cacher un autre, Vadim filmera jusqu’à l’abnégation la naissance du nouvel amour de Brigitte. Jean-Louis Trintignant prend toute la place dans le cœur de Brigitte. La messe est dite. Normal, l’amour dure trois ans, a écrit Beigbeder.
Dans le film culte, l’interprète de Juliette se lance dans un mambo endiablé, jupe ouverte, à Saint-Tropez. Torride mambo de BB qui reproduit celui spontanée de Brigitte, improvisé lors d’une nuit dans une cave parisienne sous les yeux de son Vad et surtout, mazel tov ! du producteur Raoul Levy.
Une scène si choquante pour l’époque, mais qui fera date et participera à la fondation du mythe planétaire de BB. Fiction inspirée de faits réels, la mini-série événement de France 2 réinterprète cette séquence dès le lancement de l’épisode, avec cette fois, Julia de Nunez dans le rôle de Brigitte Bardot.
« C’était rigolo parce qu’en fin de compte, il n’y a rien de choquant ! Le mambo que j’y danse a été totalement improvisé. J’ai laissé libre cours à mon instinct. J’ai dansé comme j’en avais envie, envoûtée par la musique, c’est tout ! Ça vous épate hein ? », s’était remémoré Brigitte Bardot dans un rare entretien à l’AFP, cité par Franceinfo le 23 décembre 2016.
Elle se permet de choisir ses hommes, de s’habiller et de se déshabiller comme elle l’entend, de dire ce qui lui passe par la tête. Cette liberté sans faille la propulse au firmament et déchaîne autant de haine que d’adoration. Elle devient la muse de cette fameuse parenthèse enchantée, époque où les pulsions irrépressibles sont libérées pour le meilleur et pour le pire. Première star française dont l’image franchit toutes les frontières, influence toutes les modes, et crée une onde de choc planétaire. Le destin extraordinaire de cette jeune femme, conte de fées qui vire parfois au cauchemar, dresse aussi le portrait d’une époque.
« Elle aime les hommes et elle l’assume. Ça ne se faisait pas à l’époque d’avoir un amant après l’autre, et en plus, même si cela se faisait, cela ne se savait pas, mais c’était impossible pour elle de se cacher, dès qu’elle mettait le nez dehors, elle se faisait choper », commente Danièle Thompson.
Dans le rôle de Brigitte Bardot, le public découvrira Julia de Nunez à qui il ne manque que le phrasé Bardot, vous savez comme cette façon de chanter de Vincent Delerm. Dans le reste du casting, on retrouvera à ses côtés Victor Belmondo, (Roger Vadim) non pas le fils, mais le petit fils de, Géraldine Pailhas (Toty – Anne-Marie Bardot), Hippolyte Girardot (Pilou – Louis Bardot), Noham Edje (Jean-Louis Trintignant) ou encore Yvan Attal (Raoul Levy).
Dans l’épisode 4, elle rencontre Jacques Charrier (Oscar Lesage) son partenaire dans la comédie Babette s’en va-t-en guerre. Eperdument amoureux, fougueux, sûr de lui, il présente Brigitte à ses parents. Elle est la femme de sa vie, elle sera la mère de ses enfants et le cinéma sera vite oublié, croit-il. Ils se marieront et auront effectivement un enfant : Nicholas-Jacques.
Au fil des épisodes, « cette liberté qu’elle incarnait s’est retournée contre elle », déplore la scénariste et réalisatrice, qui estime que cette « déferlante de notoriété mondiale l’a cassée. Cela a empêché une carrière normale de fleurir. » Une créature qui demeure une icône, « toujours sans filtre », sourit Christopher Thompson.
Après La Vérité de Henri-Georges Clouzot, Brigitte Bardot enchaîne les films sans enthousiasme. Elle refuse notamment d’incarner la James Bond Girl d’Au service secret de Sa Majesté. Elle joue à contrecœur dans Don Juan 73, la suite de Et Dieu... créa la femme. Après L’histoire très bonne et très joyeuse de Colinot trousse-chemise en 1973, Brigitte Bardot décide de mettre fin à sa carrière pour se consacrer au combat de sa vie : la lutte pour la défense de la cause animale. « En donnant ma vie aux animaux, ce sont eux qui m’ont sauvée, confiait-elle en 2019 à Voici. Ils ont donné un sens à mon existence, un sens tellement important qu’il n’a plus jamais été question par la suite de mettre fin à mes jours. Ils m’ont apporté la vérité, l’amour vrai. » Là où le péché a abondé, surabonde la grâce, écrivait Saint Paul.
Cela fait maintenant des années que Brigitte Bardot a renoncé à sa carrière d’actrice. Elle mène une existence paisible dans sa villa de Saint-Tropez, La Madrague « petit Paradis loin de la foule » où elle vit en compagnie de son mari Bernard d’Ormale depuis plus de trente ans. Le seul de ses hommes que personne ne connaît.
Thierry Martin
auteur de
BoJo, un punk au 10 Downing Street,
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[1] Les six épisodes disponibles en replay sur France 2.
[2] "Brigitte Bardot en colère face à l’inaction d’Emmanuel Macron !" Fondation Brigitte Bardot.
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