(Le Figaro , 4 nov. 24) 27 novembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Avant Samuel Paty, des enseignants déjà ciblés dans une France en alerte rouge antiterroriste".
DÉCRYPTAGE - La tragédie de l’assassinat de Samuel Paty est intervenue dans un contexte d’alerte antiterroriste maximale, et alors que les enseignants étaient ciblés par une fatwa de Daech depuis 2015.
Par Jean Chichizola
L’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, n’était en rien un coup de tonnerre dans un ciel serein. D’abord en raison du contexte d’alerte antiterroriste, ininterrompue depuis le 7 janvier 2015 : quelque 25 attentats entre cette date et le 1er janvier 2020. Au début de l’automne 2020, le bilan de l’année est déjà mauvais : un premier attentat au couteau à Villejuif en janvier (un mort, deux blessés), un second à Romans-sur-Isère en avril (deux morts et cinq blessés), un troisième au cours de ce même mois à Colombes (trois policiers blessés dont deux grièvement).
Les autorités savent aussi que, le 2 septembre, l’ouverture du procès de l’attentat contre Charlie Hebdo, symbole de la haine islamiste pour la liberté d’expression sous toutes ses formes, est un événement à très haut risque. À la veille du procès, l’hebdomadaire republie les caricatures contre le prophète, avec un éditorial affirmant : « Nous ne nous coucherons jamais. Nous ne renoncerons jamais. » Le même jour, en visite à Beyrouth, Emmanuel Macron déclare : « Depuis les débuts de la IIIe République, il y a en France une liberté de blasphémer qui est attachée à la liberté de conscience. »
Sur internet, la « djihadosphère » bruisse d’appels à venger le prophète, à attaquer Charlie Hebdo et cette France qui serait « islamophobe ». Des condamnations se font entendre dans le monde arabo-musulman, par exemple au Pakistan, et des manifestations de protestation ont lieu. Le 10 septembre, al-Qaida dans la péninsule arabique - l’organisation ayant commandité les frères Kouachi - appelle « les musulmans de France, d’Europe et de l’extérieur, les moudjahidins de tous les fronts et nos héroïques lions solitaires » à « poignarder » les collaborateurs de Charlie Hebdo. Deux autres appels d’al-Qaida « central » allaient dans le même sens les 9 et 11 septembre.
Descente aux enfers
Une quinzaine de jours après l’ouverture du procès, qui s’est achevé le 10 novembre, une première alerte est signalée. La directrice des ressources humaines de l’hebdomadaire est exfiltrée en urgence de son domicile en raison de menaces djihadistes. Le 25 septembre, un Pakistanais de 25 ans, armé d’une feuille de boucher, blesse deux personnes devant les anciens locaux de Charlie Hebdo. En garde à vue, il explique avoir réagi à la republication des caricatures. Dans une vidéo, le terroriste annonçait partir sur le « chemin du prophète ».
Enfin, le 2 octobre 2020, le discours sur le séparatisme islamiste prononcé par le président de la République déchaîne des attaques pour islamophobie tant en France que dans les pays musulmans. Voilà le contexte dans lequel est plongée la France quand commence la descente aux enfers de Samuel Paty, après son cours sur la liberté d’expression.
Daech contre le système éducatif français
Mais la menace est plus ancienne encore. Pas seulement parce que, dès son origine et partout où il a sévi (Afghanistan, Maghreb, Afrique subsaharienne…), le djihadisme a visé ceux qui enseignent autre chose que la loi de Dieu, mais parce que le professeur d’histoire-géographie du collège du Bois d’Aulne et l’ensemble de ses collègues à travers la France sont un objectif potentiel, depuis la diffusion d’une fatwa de l’État islamique en 2015. Une fatwa qui dépassait de beaucoup la simple question du « blasphème » et dont les autorités étaient bien conscientes puisque, en 2017, elle sera évoquée dans un rapport officiel de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement, instance qui dépendait de l’Éducation nationale.
En ce 30 novembre 2015, une quinzaine de jours après les massacres du « V 13 », Daech publie en ligne le septième numéro de son magazine en français Dar al-Islam. Sur les 58 pages, six sont consacrées à un article où Daech se déchaîne contre le système éducatif français.
« L’éducation obligatoire » est ainsi décrite comme « un moyen de propagande servant à imposer le mode de pensée corrompu, établi par la judéo-maçonnerie ». La charte de la laïcité est attaquée : « (elle) stipule que la nation confie à l’École la mission de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Ces “valeurs” ne sont pour le musulman qu’un tissu de mensonges et de mécréance. »
Et Daech d’affirmer son rejet de « la laïcité (…). Le musulman, lui, sait qu’Allah est le seul législateur et que quiconque fait des lois, en dehors du cadre du Coran et de la sunna, est un mécréant ». Mais aussi sa haine de « la liberté de conscience. Quiconque renonce à l’islam doit être tué. » Et de l’égalité : « Les mécréants et les musulmans ne sont pas égaux. En outre, les hommes et les femmes ne sont pas égaux. » En conclusion, « lorsque (un musulman) met (son) enfant à l’école de la République, (il accepte) qu’il ingurgite cette bouillie de mécréance, corrompant ainsi sa prime nature et lui faisant emprunter les voies des gens de l’enfer. »
Daech considère alors que « les fonctionnaires de l’Éducation nationale qui enseignent la laïcité, tout comme ceux des services sociaux qui retirent les enfants musulmans à leurs parents (voulant rejoindre la zone syro-irakienne), sont en guerre ouverte contre la famille musulmane (…) Il est donc une obligation de combattre et de tuer ces ennemis d’Allah. » Et de répéter : « Cela vaut pour les professeurs qui enseignent la laïcité aux enfants. »
Naturellement, cette menace n’a jamais seulement concerné la France. Au Royaume-Uni, en mars 2021, six mois après la mort de Samuel Paty, un enseignant de collège avait dû entrer en clandestinité après des protestations de parents, des manifestations et des menaces d’islamistes. Il avait donné un cours sur la liberté d’expression et le blasphème en montrant des caricatures de Mahomet.
Un « impensable » très « pensable »
En novembre 2015, réagissant à la fatwa de Daech, un professeur français, sous couvert d’anonymat, avait espéré que cette menace serait « prise au sérieux » car « ces gens finissent généralement par faire ce qu’ils disent ». Il n’a pas été pleinement écouté : cinq ans plus tard, on pouvait lire cette étrange formule en conclusion du rapport des inspecteurs de l’Éducation nationale, rédigé après la décapitation de Samuel Paty : « dans un contexte qui exige désormais de se préparer à l’impensable »…
La réalité est qu’en 2020, et depuis des décennies, il était tout à fait « pensable » que des islamistes tuent un enseignant. Cette menace, prévisible, annoncée et mise en œuvre sur tant d’autres terres de djihad, a été mise à exécution le vendredi 16 octobre 2020, puis de nouveau à Arras, le vendredi 13 octobre 2023.
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Procès de l’assassinat de Samuel Paty (2024) dans Assassinat de l’enseignant Samuel Paty (16 oct. 20) dans la rubrique Terrorisme islamiste (note de la rédaction CLR).
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