Par Eric Dior. 10 août 2019
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Vedettes du défilé et organisateurs des bals du 14 Juillet, les soldats du feu sont à la fête une fois par an. Leurs missions sont devenues de plus en plus importantes au cours du développement industriel et urbain, qui n’a eu de cesse de créer de nouveaux risques.
En découvrant le feu, le bipède a inventé l’incendie ! Quand la politique nous lasse, que nos élus nous exaspèrent, que l’horreur économique nous remue les tripes, les pompiers demeurent l’ultime refuge de l’idéal républicain. La preuve ? Quatre-vingt-dix-sept pour cent des Français les plébiscitent toutes tendances confondues. Sauver ou périr ! demeure leur belle devise. Goût des autres, dévouement et sens pointilleux de l’intérêt général… On pourrait croire à une profession de foi électorale, mais c’est là l’ordinaire des « soldats du feu ». Devenir pompier ! Cela demeure le métier d’élection des petits garçons (devant motard et footballeur) jusqu’à ce qu’ils s’avisent que le service d’autrui ne se confond pas forcément avec le prestige social. Athlète, sauveteur et, même, psychologue (lorsqu’il s’agit de négocier la reddition d’un forcené), le pompier ne se rappelle pourtant à notre bon souvenir que quand il vend, aux alentours du nouvel an, son calendrier ; ou encore, lorsqu’il invite le bon peuple dans sa caserne pour guincher chaque 14 juillet. Initiée par un sapeur anonyme, cette étape obligée du rituel républicain remonte à 1937.
Le Front populaire vit ses derniers beaux jours et cette fraternisation, sur fond d’accordéon, est une ultime bravade avant le déluge. Marcel Carné aurait pu immortaliser sur la pellicule ce cérémoniel bientôt adopté par la France entière. Sur le Rhin, les barbares menacent et c’est toute la planète qu’ils s’apprêtent à embraser. Rien de bien neuf, car Homère nous apprend qu’au XII siècle avant J. -C. la guerre entre Priam et Agamemnon s’était soldée par l’incendie de Troie. Ensuite, la manie de marquer son territoire en incendiant les villes rebelles jalonne les grandes invasions. Les Gaulois de Brennus passent Rome par les flammes. Le Sénat romain enjoint, ensuite, aux propriétaires de conserver près de leur porte un bac rempli d’eau… Faute de mieux, quand une bâtisse s’embrase, on se borne à détruire à coups de catapultes les maisons environnantes pour limiter l’extension des flammes (d’où l’expression « faire la part du feu »). Le brasier fait aussi l’affaire des spéculateurs, qui paient des incendiaires pour racheter à vil prix les quartiers carbonisés. A moins que des esprits dérangés ne se chargent de la besogne. Narcisse contrarié, Néron aurait ainsi mis, selon Tacite, le feu à Rome puis joué de la harpe en déclamant des vers. Accusés du forfait, les chrétiens feront ensuite les frais de ce crépitant one-man show.
Prévention des risques
Mais les barbares déferlent, et l’Europe gallo-romaine chancèle. Ce ne sera plus, ensuite, qu’une fastidieuse litanie de cités ravagées par des hordes venues d’Asie ou de Scandinavie. En 451, le Hongrois Attila incendie Metz et passe, diton, au fil de l’épée la totalité de sa population. Quatre siècles plus tard, ce sont Nantes puis Dol de Bretagne qui sont détruites par les Vikings d’Olaf Lagman. Heureusement, ces féroces flibustiers vont se fondre docilement dans le paysage au point de compter dans leur descendance le gentil Bourvil et les paysans, âpres au gain, décrits par Maupassant.
Mais que font les pompiers ? La vérité est que, vaincus d’avance par l’ouragan de flammes, nos aïeux se limitent à des mesures préventives. En cas de malheur, des guetteurs postés sur les remparts sonneront le tocsin et les villes seront divisées en quatre (d’où le mot « quartier ») pour localiser - de un à quatre coups de trompe - le départ du sinistre. Au crépuscule, on sera prié d’éteindre torches et chandelles. Boulangers, forgerons, brasseurs, menuisiers ont l’interdiction de travailler la nuit. Curieusement, ce sont les moines et les prostituées qui sont priés de payer les premiers de leur personne en jetant des seaux d’eau sur les bâtisses proches du sinistre. Dans la seconde moitié du XIII siècle, le « guet bourgeois » se généralise, chaque corporation en assurant à tour de rôle la charge. En 1405, le grand incendie de Berne fait un millier de morts. La même année, c’est le quartier des Marolles, à Bruxelles, qui est réduit en cendres, les notables souhaitant ainsi, affirme la chronique, « calmer la populace trop nerveuse » !
A partir du XVII siècle, l’extension du commerce et des entrepôts dans les villes portuaires multiplient les risques d’incendie. L’écrivain John Evelyn décrit Londres comme « un agrégat anarchique de maisons en bois nordique à la merci par temps sec de la moindre étincelle ». Partout, en Europe, les bourgmestres interdisent sans beaucoup de succès les toits de chaume et prescrivent de construire les murs mitoyens en briques. Mais le péril demeure entier. Comment juguler un incendie dès les premiers crépitements en attaquant les flammes à la base. « Au bout d’une seconde, un verre d’eau suffit. Au bout de deux, il faudra une casserole mais, au-delà, une citerne n’y suffira pas ! » résume jusqu’à aujourd’hui un adage des sapeurs pompiers. Ancêtre de l’extincteur, le réservoir à piston, mis au point par les Portugais, est actionné par deux hommes et crachote un jet parcimonieux à une dizaine de mètres. Mais c’est le Hollandais Jan van der Heiden qui met au point, en 1672, le tuyau en cuir adopté bientôt par l’Europe entière. En France, l’ex-laquais de Molière François Dumouriez du Perrier découvre, lors d’un voyage en Flandre, les premières vraies pompes et il en rapporte un exemplaire à Versailles pour faire une démonstration devant le Roi-Soleil. Séduit, Louis XIV lui accorde pour trente ans le monopole de leur fabrication. En 1716, cet ancien sociétaire de la Comédie-Française, devenu brasseur d’affaires, est chargé de constituer le premier corps de « gardes pompes », ancêtres des pompiers.
L’incendie, un siècle plus tôt, de la capitale anglaise a en effet frappé l’Europe de stupeur. Treize mille deux cent maisons et jusqu’à l’imposante cathédrale Saint Paul ont été réduites en cendres. Après un pareil désastre, l’amateurisme n’est plus de mise. « Les pavés luisaient d’un rougeoiement sinistre, tel que ni cheval ni humain ne pouvaient les fouler », raconte le diariste Samuel Pepys, rescapé du brasier. L’encorbellement comme à Paris des étages supérieurs des bâtisses (pour gagner de la surface) a décuplé la progression du feu. Pour finir, les explosions coordonnées de barils de poudre réussiront à souffler les flammes avant qu’elles ne gagnent la rive sud de la Tamise après la combustion des ponts habités. Restait à trouver un bouc émissaire plausible pour exonérer le lord-maire Thomas Bloodworth, bon à rien notoire. Averti du déclenchement de l’incendie, il avait osé rétorquer qu’ « une femme réussir [ait] bien à l’éteindre en pissant dessus ! » Horloger de son état, le Français Robert Hubert va constituer un coupable acceptable même s’il s’est installé à Londres deux jours après la fin de l’incendie… Malmené par la foule, le satané « papiste » sera pendu haut et court.
"Partout, le pschit des pompes"
En 1781, à la suite du sinistre qui ravage l’opéra de Paris, les théâtres sont obligés par décret royal de se doter d’un « garde pompe » homologué. Une loterie est même organisée pour doter la capitale de 12 pompes car l’Etat, ruiné notamment par la guerre d’Amérique, se défausse, comme aujourd’hui, sur le secteur privé. Une trouvaille dérisoire car, bientôt, c’est le royaume tout entier qui va s’embraser. Escamoté par la prise de la Bastille, l’incendie de la totalité des bâtiments de l’octroi qui ceinturent Paris résume le ressentiment, venu de loin, des émeutiers. Détruire les bâtisses où l’on encaisse les taxes, c’est signifier que l’impôt ne peut résulter que d’un consentement. Ensuite, ce sont les châteaux eux-mêmes qui vont brûler ; comme si le feu pouvait faire table rase d’un passé soudain détesté. Bonaparte, couronné empereur, sifflera la fin de la récréation. L’incident en juillet 1810 à l’ambassade d’Autriche, lors d’une cérémonie marquant ses épousailles avec Marie-Louise (un rideau de mousseline a effleuré un chandelier !) l’induit à réagir sans délai, l’Empereur jugeant là aussi que la « malchance est l’ultime excuse des incapables ». Un corps de sapeurs-pompiers encadrés par des officiers retraités du génie est créé. Le décret précise que les nouvelles recrues devront être âgées de 16 à 30 ans, mesurer au moins 1,60 met produire un certificat de probité. La nouvelle phalange attire immédiatement les fils de familles fortunés, trop contents d’échapper aux campagnes de la Grande Armée, d’autant qu’il leur est loisible de payer un remplaçant… Lors de la campagne de Russie, les tout nouveaux pompiers font acte de présence mais leurs huit voitures pompes sont hors d’état d’éteindre, lors de l’incendie de Moscou, les multiples départs de feu. On perd ensuite la trace de ces mirobolantes citernes roulantes, congelées comme leurs équipages dans l’implacable hiver russe.
Déjà populaires, les pompiers vont survivre à l’écroulement du régime et au retour des Bourbons en 1815. A l’inverse de la troupe, ces combattants sans arme n’auront en effet pas sur la conscience la répression des soulèvements des Trente Glorieuses et de juin 1848. D’autant que la généralisation de l’éclairage au gaz et la multiplication de grands magasins, surchargés de clients et de marchandise attisent la hantise d’un embrasement monstrueux. Le renom des pompiers ne souffre même pas, à Belleville ou à Montmartre, de leur enrôlement dans l’armée de Versailles pendant la Commune. Les terribles pétroleuses surgies des faubourgs ne sont-elles pas la négation vivante de leur vocation ? C’est, de fait, un pompier qui s’empare le premier du drapeau rouge, hissé sur la flèche de la Sainte-Chapelle. « Ah ! pour vous engloutir, il vous fallait un bûcher. Vous avez voulu les Tuileries en flammes, la bibliothèque du Louvre brûlée, la rue Royale, longue fournaise où s’écroulent les murs ! » enrage l’historien Catulle Mendes. « De tous côtés, on entend le pschit des pompes », précise l’un des frères Goncourt qui se risque au milieu des ruines pour mieux applaudir les exécutions de « partageux ». Encore faut-il préciser que certains incendies sont provoqués par les tirs de batteries versaillaises et que la légende de la pétroleuse, harpie sanguinaire, héritière des tricoteuses de 1793, relève largement de la fantasmagorie.
Légendaire polyvalence
Après les horreurs de la guerre civile, les pompiers sont restitués à leur mission première qui est de sauver. Faut-il attribuer à la loi des séries le fait qu’en cette fin du XIX siècle, éperdue de nouveautés, la besogne ne manque pas. En 1887, l’incendie de l’Opéra-Comique fait 80 morts mais c’est, surtout, celui du Bazar de la charité (112 morts) qui frappe l’opinion. Jusqu’à l’arrivée des soldats du feu, on y a vu, en effet, des messieurs du meilleur monde se frayer un chemin à coups de canne jusqu’à l’unique porte de sortie ! Empêtrés dans leurs robes à crinoline, les victimes sont pour la plupart des femmes… Ironie terrible, les pompiers sont priés, en 1914- 1918, de se muer en incendiaires pour défendre la patrie envahie. En février 1916, on les envoie à Verdun pour actionner les premiers lance-flammes à la suite de leurs expérimentations -comme les gaz asphyxiants -par l’armée du Kaiser… Une entorse à leur mission vite effacée par l’entracte illusoire de l’entre-deux-guerres. Le pompier redevient, jusqu’à aujourd’hui, celui que l’on appelle en dernier recours, quitte à abuser de son dévouement. Escaladeur, cascadeur, sauveur de chats en détresse et, même, de boas neurasthéniques, abandonnés par leurs maîtres partis en vacances… « En intervention, il faut savoir nouer le contact avec la bête. Nous pouvons être confrontés à un chien qui prétend défendre son maître, victime d’un accident », explique le lieutenant-colonel Vincent Bosquet, chef du groupe de secours animalier du Loiret. La légendaire polyvalence des sapeurs induit la population à abuser de leur abnégation : « Les gens nous appellent même lorsqu’ils ont oublié leurs clés à l’intérieur de leur appartement », déplore le colonel Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. A noter que les agressions de pompiers ont triplé entre 2008 et 2017, jusqu’à atteindre dans les quartiers difficiles 2 813 incidents par an. Faut-il préciser que la résurgence de la menace terroriste, comme aux pires moments de la guerre d’Algérie, renforce encore leur rôle d’anges gardiens tout-terrain. Au fort de Villeneuve-Saint-Georges, quartier général des anciens gardes-pompes, on entraîne désormais la « bleusaille » à parer à d’éventuels attentats bactériologiques ou nucléaire. Au cas où…"
Lire "Histoire : aux pompiers, la République reconnaissante".
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