5 août 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Mikael Corre
"Entrer au Panthéon – comme visiteur, s’entend – ne va pas sans susciter une certaine confusion. Toute cette décoration désassortie, ces enchevêtrements, ces amalgames… Pour en prendre conscience, il faut se concentrer sur les détails, oublier un temps le bâtiment et ses écrasantes proportions. Se désintéresser de cette grosse croix grecque que l’architecte Jacques-Germain Soufflot avait voulue parfaite (quatre côtés égaux) mais que le clergé de la fin du XVIIIe siècle l’obligea à orienter, c’est-à-dire – littéralement – à tourner vers Jérusalem et l’orient, en rallongeant légèrement le côté ouest. Il s’agissait de se conformer au souhait originel formulé par Louis XV : bâtir la plus belle église de Paris. On distingue encore aujourd’hui ce gros rajout sur les murs perpendiculaires à la façade, visible à la différence de couleur des pierres.
Mais ne nous attardons pas à l’extérieur. Entrons directement à la lisière du chœur et de la croisée du transept. En haut, une poutre tordue témoigne du choix de l’architecte d’ajouter à son bâtiment déjà corpulent un triple dôme de 17 000 tonnes ! Son effondrement sera prédit par de nombreux architectes parisiens, jaloux de l’attribution d’un tel chantier à un jeune confrère lyonnais.
Lors de la pose du dôme dans les années 1780, l’édifice tient bon, vaille que vaille. Il s’enfonce tout de même d’une bonne dizaine de centimètres, créant ainsi cet écart entre les pierres du chœur et celles du transept, qu’il a fallu relier par des tiges métalliques. Le décalage est encore bien visible au-dessus du pilier sud-est et du socle supportant les généraux de la Révolution, sans doute l’une des réalisations les plus ennuyeuses de tout le statuaire du Panthéon. Le conservateur général du patrimoine François Macé de Lépinay évoquait à son sujet « une facture assez molle » [1]. Molle ? Le mot traduit bien, en effet, l’étonnante apathie de Bonaparte et des autres chefs des armées de la jeune République représentés ici par Paul Gasq. On les imaginait plus combatifs !
« Un peu comme l’Arche de la Défense »
Leur posture, qui frise l’indolence, s’explique peut-être par la plus ou moins bonne compagnie que leur ont imposée les architectes successifs. Car au milieu des odes à la Révolution, au courage des soldats français lors de la mythique bataille de Valmy (Jules Desbois), ou encore à l’héroïsme du Vengeur du peuple (Ernest Dubois), ce navire qui refusa de se rendre aux Anglais et dont les marins furent panthéonisés le 9 juillet 1794, même si leurs corps sont restés en mer d’Iroise, on est surpris de rencontrer autant de représentations monarchistes et religieuses sur les murs du très républicain et laïc temple des grands hommes.
Le Panthéon est en effet aujourd’hui tapissé de toiles marouflées représentant, dans un style plus ou moins pompier, le baptême de Clovis, immédiatement dans l’entrée (peint par Joseph Blanc), le martyre de saint Denis, dans la nef (par Léon Bonnat), la vie de Saint Louis, dans le bras nord du transept (par Alexandre Cabanel), ou encore l’histoire de Jeanne d’Arc (par Jules-Eugène Lenepveu), juste en face… Pour le visiteur, comme pour l’auteur de ces lignes, il aurait été plus simple que la décoration suive chronologiquement les évolutions politiques des XIXe et XXe siècles. Que les peintures et les sculptures évoluent au gré des changements de régime, afin que l’on se repère bien dans les références temporelles et stylistiques. C’est du reste comme cela que tout avait commencé.
Avant la Révolution, le Panthéon est une église en construction, promise aux Parisiens par Louis XV en 1744 à la suite d’un pèlerinage d’action de grâce du monarque dans la vieille abbatiale alors délabrée construite au XIIe siècle sur la colline Sainte-Geneviève. « Louis XV a ainsi voulu revivifier le quartier de la montagne Sainte-Geneviève, centre du Paris antique, en accomplissant un geste architectural, urbanistique, un peu comme quand François Mitterrand fait construire l’Arche de la Défense », explique David Madec, conservateur du Panthéon jusqu’en juin 2022.
Financé par des loteries successives
Le discours officiel précise que le roi, tombé malade à Metz au cours de la guerre de Succession d’Autriche, souhaite remercier sainte Geneviève pour sa guérison. La grande sainte du Ve siècle, issue d’une riche famille de l’aristocratie gallo-romaine, avait sauvé à plusieurs reprises les Parisiens de la famine en les ravitaillant en blé issu de ses terres de Champagne. Au milieu du XVIIIe siècle, sa châsse est depuis longtemps réputée miraculeuse. Lors de l’invasion des Normands, au milieu du IXe siècle, on avait ainsi sorti ce grand coffre renfermant ses reliques hors de Paris, générant une foule de miracles. [...]
Le Panthéon de Rome, l’original
Destins croisés. Alors que la copie (le Panthéon parisien) est définitivement laïcisée en 1885, l’original (le Panthéon romain) est converti en église au VIIe siècle par le pape Boniface IV.
La basilique de la Sainte-Vierge-et-de-tous-les-Martyrs – c’est aujourd’hui son nom – a d’abord été le plus grand monument de la Rome antique. Sa première version (27 avant Jésus-Christ) est détruite lors du grand incendie de Rome en 80, avant d’être reconstruite au IIe siècle sous le règne d’Hadrien. L’empereur décrit d’ailleurs l’incroyable édifice, dans son journal fictif imaginé par Marguerite Yourcenar (Mémoires d’Hadrien, 1951) : « J’avais corrigé moi-même les plans trop timides de l’architecte Apollodore. (…) Ce temple ouvert et secret était conçu comme un cadran solaire. Les heures tournaient en rond sur ces caissons soigneusement polis par les artisans grecs ; le disque du jour y resterait suspendu comme un bouclier d’or ; la pluie formerait sur le pavement une flaque pure ; la prière s’échapperait comme une fumée vers ce vide où nous mettons les dieux. »
Les empereurs romains ne deviendront chrétiens qu’avec Constantin au IVe siècle. Aussi l’immense autel de Rome accueille-t-il, à l’origine, la vénération de Mars, Saturne, Jupiter et Vesta, ainsi que celle d’Isis, Cybèle et de tous les autres dieux célébrés à Rome, cette ville-monde, la seule de l’Empire à dépasser à l’époque le million d’habitants.
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Lire "Aux origines du Panthéon : sainte Geneviève, une histoire de châsse".
[1] Peintures et sculptures du Panthéon, Éditions du patrimoine, 1997, 64 p., 12 €.
Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier La Croix "Aux origines du Panthéon" (août 22) dans Commémorations dans la rubrique Histoire (note du CLR).
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