(Le Figaro, 14 nov. 24) 15 novembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "« Je suis en deuil » : au procès Paty, des enseignants encore très marqués".
"[...] Après l’ex-principale du collège, mardi, chaque enseignant raconte à la barre la façon dont il a vécu les onze jours qui ont mené au drame. La cour d’assises spécialement composée s’intéresse en particulier à un épisode : le mail envoyé par la chef d’établissement le vendredi 9 octobre 2020 pour tenter d’apaiser la situation et appeler les professeurs à rester soudés. Sophie C. puis Jeff T. répondent publiquement qu’ils ne soutiennent pas Samuel Paty.
« J’ai dit que je refusais de m’associer au fait d’avoir proposé à certains enfants de sortir du cours. En revanche, je n’ai pas parlé du contenu du cours ou de l’usage des caricatures, qui sont parfaitement conformes. Je regrette d’avoir dit que je me désolidarisais de mon collègue. S’il était là, je lui demanderais pardon d’avoir été aussi dur avec lui », déclare Jeff T. en se raclant la gorge à plusieurs reprises, visiblement ému. Si le quinquagénaire maintient qu’« un cours doit s’adresser à tout le monde », il admet aujourd’hui « s’être trompé » en accusant Samuel Paty de « discrimination » envers ses élèves de confession musulmane.
« Il a insulté le prophète Mahomet »
Le dimanche 11 octobre, Samuel Paty écrit à son tour un message dans lequel il répond vertement à ses collègues. Il conclut son propos en indiquant que le collège et lui sont « menacés par des islamistes locaux ». Le lendemain, les cours reprennent dans une ambiance délétère. « La salle des profs était divisée en deux », relate un enseignant. Tous attendent avec impatience les vacances de la Toussaint, espérant qu’elles permettront à la « tension » de « retomber ». « Une collègue m’a dit : “Je n’ai pas envie de me prendre des balles de kalachnikov à cause de ce cours”. Je sais que certaines collègues femmes ont hésité à mettre des talons parce qu’elles se disaient que si elles avaient besoin de courir, ce serait plus facile de le faire en baskets… », illustre David R.
Le vendredi 16 octobre tant attendu arrive. Après la sonnerie de 16 h 45, Charlie J. quitte le collège en voiture. Son chemin du retour vers son domicile passe par Éragny-sur-Oise. « À un moment, sur le côté de la route, je vois deux hommes au sol, un allongé, l’autre au-dessus, agenouillé. Je ne reconnais pas du tout la personne allongée, qui a les yeux fermés et du sang sur le visage. Je vois la personne au-dessus qui fait des mouvements dynamiques de va-et-vient », raconte Charlie J., qui pense alors à un accident de la route. « Je me gare, je sors de ma voiture et là, je vois une personne debout, et au sol, un corps en deux parties. La personne debout me dit : “Il a insulté le prophète Mahomet”, mais je ne le regarde même pas, je suis vraiment fixé sur le corps. Au fond, j’ai compris ce qui s’est passé, mais j’essaie de me persuader que c’est autre chose. Je me dis que c’est un sac à dos, rien d’autre. »
Sous le choc, « dans un état second », Charlie J. repart en voiture. Puis il tente de revenir sur les lieux mais la police a bloqué l’accès. Il rentre alors chez lui et allume la télévision. « Pendant l’heure qui passe, je suis dans le déni total. Puis la nouvelle tombe : un homme a été décapité, un professeur a été décapité, Samuel Paty a été décapité. À ce moment-là, je fais le lien et je réalise. » Au retour des vacances de la Toussaint, Charlie J. accueille une classe pour évoquer le drame. « Ça se passe bien, mais c’est difficile », se souvient celui qui « bloque » au moment de prendre en charge une deuxième classe. « Je me suis dit que j’étais censé aider les élèves alors que c’était moi qui avais besoin d’aide. » Le professeur est alors arrêté pendant un mois et demi.
David R., lui, enseigne encore pendant quelques mois, puis se reconvertit dans le marketing digital. « Du fait de ce que j’avais vécu, c’était compliqué de mettre de côté mes émotions, de faire cours de manière sereine et de me donner à 200 % comme c’était le cas avant. La relation de confiance que j’avais bâtie avec les élèves a été très abîmée à la suite de l’attentat, notamment quand on a appris que certains étaient impliqués dans la désignation de Samuel Paty au terroriste. Continuer d’enseigner, dans ce collège ou dans un autre établissement, c’était compliqué à envisager. Quelle aurait pu être mon attitude, un an après l’assassinat, lors de l’hommage rendu à Samuel Paty, si un élève avait dit “c’est bien fait pour lui” ? » En octobre 2021, le ministère de l’Éducation nationale a relevé une centaine d’incidents lors de cet hommage. Un nombre sensiblement équivalent à celui enregistré cette année."
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Procès de l’assassinat de Samuel Paty (2024) dans Assassinat de l’enseignant Samuel Paty (16 oct. 20) dans la rubrique Terrorisme islamiste (note de la rédaction CLR).
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