Revue de presse

"Au lycée, des ateliers d’« autodéfense intellectuelle » contre les théories du complot" (lemonde.fr , 9 fév. 16)

11 février 2016

"Ses cours d’" autodéfense intellectuelle " n’ont pas encore commencé cette année – le coup d’envoi sera donné après les vacances de février –, mais les affiches à placarder dans les couloirs du lycée sont prêtes. " La laïcité est-elle, comme le pot-au-feu, une spécialité française ? ", " Mon supermarché peut-il savoir, avant mes parents, que je suis enceinte ? ".

Depuis cinq ans qu’elle a lancé ses ateliers contre le complotisme, Sophie Mazet, enseignante d’anglais, mise sur l’humour et la provocation pour faire venir à elle, chaque semaine, une petite trentaine de lycéens volontaires. " Une goutte d’eau ", confie, modeste, cette normalienne et agrégée d’anglais, affectée depuis neuf ans dans un établissement de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) qu’elle n’a aucune envie de " lâcher ".

L’initiative pédagogique a été remarquée : elle compte parmi celles mises en avant, mardi 9 février, par le ministère de l’éducation nationale qui organisait, au Muséum national d’histoire naturelle à Paris, une journée d’études sur les réponses à apporter face aux théories du complot. Au lendemain des attentats de janvier 2015, la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, avait avancé un chiffre : un jeune sur cinq adhérerait à ce type de théories, des Illuminati au " complot judéo-maçonnique " en passant par celui qui rend l’administration Bush responsable de l’attaque du 11 septembre 2001.

Sophie Mazet ne doute pas qu’un défi majeur se pose à l’école, et même à la société tout entière. " Face à la complexité du monde, face à ses difficultés, notre jeunesse est en quête de réponses. Et quoi de plus tentant qu’un discours manichéen qui vous donne, de surcroît, le sentiment d’être le plus malin ? "

L’enseignante, qui, plus jeune, se destinait davantage au journalisme qu’à exercer en zone d’éducation prioritaire (ZEP) – " C’était avant de découvrir Shakespeare ", glisse-t-elle –, n’a pas attendu la fusillade contre Charlie Hebdo pour miser sur l’esprit critique. Son " déclic " s’est produit en deux temps. D’abord lors d’un voyage scolaire au Rwanda : Sophie Mazet est ressortie du mémorial de Gisozi, à Kigali, sûre de l’urgence à élaborer une " boîte à outils " contre la manipulation, " que ce soit par une rhétorique haineuse comme celle de la radio des Mille Collines lors du génocide rwandais… ou par une publicité mensongère ". Deuxième déclic, cette phrase du linguiste Noam Chomsky : " Si nous avions un vrai système d’éducation, on y donnerait des cours d’autodéfense intellectuelle. " Chiche !

En 2010, les ateliers hebdomadaires sont lancés. Deux heures à peine, en fin de journée, dans des emplois du temps déjà chargés, durant lesquelles on débat de tout : racisme, antisémitisme, homophobie, genre, laïcité… Des sujets graves mais traités avec une pointe de légèreté : c’est aussi ce ton qui frappe à la lecture du Manuel d’autodéfense intellectuelle (Robert Laffont, 270 p., 18 euros) que Sophie Mazet vient de publier.

Politologues et intellectuels n’hésitent pas à venir jusqu’au lycée de Saint-Ouen pour rencontrer des lycéens : la journaliste Caroline Fourest, mais aussi l’historien des idées Tzvetan Todorov, l’écrivain Abdelwahab Meddeb, la philosophe Catherine Kintzler… Le politologue Gilles Kepel est attendu, ainsi que Rudy Reichstadt, fondateur de Conspiracy Watch. [...]"

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