par Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 5 avril 2019
Après l’atroce attentat de Nouvelle-Zélande contre des musulmans, considéré par d’aucuns comme la conséquence des critiques envers l’islam, on en tire argument pour tenter de faire plier les sociétés de libre pensée comme la nôtre au concept de tolérance, qui devrait conduire à reconnaitre juridiquement le terme « islamophobie ». Autrement dit, cela reviendrait à proscrire toute critique de l’islam et de ses manifestations, ainsi immédiatement assimilée juridiquement à une forme de racisme. Mais il semble qu’ici, on renverse la charge, car ce n’est pas ainsi que l’on désamorcera le terrorisme, d’où qu’il vienne, bien au contraire.
Une campagne pour faire taire toute critique de l’islam et donc, la liberté
C’est dans l’esprit de ce procès en responsabilité qu’une campagne a été lancée par le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), proche des Frères musulmans, à travers une Tribune intitulée « Appel contre une islamophobie grandissante » [1], publiée sur les sites Al-Kanz, Islam & Info, LeMuslimPost et Mizane Info, pro-islam et traditionalistes. Un appel qui ne cesse de rebondir à travers une multiplication d’articles et de déclarations. On retrouve dans cet appel un mélange curieux d’imams, de personnalités diverses, de responsables associatifs, alignés dans une liste ou figure Houria Bouteldja des Indigènes de la République, mise en cause par le sociologue Thomas Guénolé pour racisme, homophobie, et relents d’antisémitisme [2], ou encore Abdelaziz Chaambi, fiché « S », bien connu pour ses outrances intégristes avec pour conséquence une condamnation judiciaire pour outrage à fonctionnaire, et la sénatrice Nathalie Goulet, présidente de la commission d’enquête sur les réseaux djihadistes, déjà très controversée, qui joue là un mélange des genres à haut risque... Ils réclament « des actes forts » du président de la République et du gouvernement, en appelant à condamner « médias » et « politiques » pour « des propos islamophobes ». On y prend à témoin la lutte contre l’antisémitisme pour justifier la reconnaissance officielle du terme « islamophobie ». Mais la lutte contre l’antisémitisme n’a rien à voir avec l’interdiction de la critique du judaïsme, et concerne uniquement l’interdiction de s’en prendre aux personnes juives, d’inciter à la haine contre elles ou de nier la Shoah, alors qu’avec « l’islamophobie », qui prend pour objet une religion dont la critique est assimilée à une pathologie mentale, c’est cette religion elle-même, ses manifestations, qui deviennent interdites de critique, s’apparentant au délit de blasphème. Au regard du terme "antisémite", c’est le terme "antimusulman" qui conviendrait le mieux. Ce serait revenir au domaine de la raison pour envisager le dialogue, alors qu’ici on cherche l’affrontement autour de la question religieuse.
Ce droit à la critique est pourtant si essentiel, face à certaines des manifestations religieuses qui posent de plus en plus de problèmes à notre société, telle la multiplication des revendications identitaires à caractère religieux, et plus encore, la montée d’un communautarisme qui fracture le corps social et politique, et est considéré par l’un des derniers rapports du Sénat sur la radicalisation comme son terreau. C’est dire si l’enjeu est grand de pouvoir librement mener le débat pour le bien de tous.
L’affirmation d’un islam conservateur qui tourne le dos à la modernisation
Une réalité que nient bien sûr ces organisations qui font flèche de tout bois pour jouer la victimisation, comme le CCIF qui produit des chiffres d’actes islamophobes fantaisistes, en vue d’assimiler la France à un rejet viscéral de l’islam. Mais cette outrance à vouloir aboutir à l’interdiction de toute critique de l’islam qui contrevient à nos libertés fondamentales, liberté de pensée, d’expression, de conscience, n’a-t-elle pas de quoi inquiéter, au risque d’un rejet massif ? N’est-ce pas précisément le reflet des problèmes que posent une frange de plus en plus importante de nos concitoyens de confession musulmane, avec une généralisation du port du voile qui signifie le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, dans le sens de quoi pousse le CFCM, s’alliant à présent ouvertement au CCIF qui combat notre laïcité républicaine, et à des Indigènes de la République dont on connait la veine islamogauchiste avec son discours raciale et antiblancs, sur fond de polémiques post-coloniales. Cette alliance officialisée est un tournant bien inquiétant. Il faut dire que c’est tout ce beau monde qui a rêvé de faire taire par voie de justice Charlie hebdo, lors de la publication des caricatures de Mahomet, et n’y est pas parvenu. Mais il poursuit toujours le même but, celui de faire faire retour au religieux dans le politique. C’est un islam conservateur qui est défendu là, qui s’arc-boute contre toute modernisation, et qui joue la carte de l’affrontement avec nos principes démocratiques, nos mœurs libres, notre esprit critique. Il ne faut rien céder à cette pression, car ce serait ne plus protéger nos concitoyens de confession musulmane vis-à-vis de cette tendance contraire à leur intérêt et à leur liberté.
Le CFCM en a encore remis une couche, dans son communiqué réagissant aux propos de Ghaleb Bencheikh, à la tête de la Fondation de l’islam de France depuis peu, critiquant le port du voile comme une « atteinte à la dignité humaine », l’institution a affirmé : « le port du foulard par les femmes (...) est une prescription du Coran » et qu’il « s’inscrit dans une démarche générale de l’islam, qui est celui du respect d’une pudeur dans l’accoutrement ». Voilà la vision qui est celle à ce jour de l’organisation dite représentative des musulmans de France. Derrière cette orientation qui ne laisse aucune place au libre-arbitre de nos concitoyennes de confession musulmane, censées devoir respecter une prescription religieuse absolue qui signe leur inégalité sexuelle, il y a le rejet d’une société française pour laquelle c’est l’égalité des droits et particulièrement, entre hommes et femmes, qui est l’un des biens les plus précieux. Des droits conquis de hautes luttes, avec la citoyenneté qui surplombe les appartenances particulières, porte l’intérêt général au-dessus de tout, qui n’est nulle part dans la démarche de ces inquisiteurs. Cette rigidité religieuse, qui assigne les femmes au voile, c’est aussi le retour du pur et de l’impur, d’une idée du sacré qui sépare et oppose, entre ceux qui respectent ou non le dogme. Il n’y a dans tout cela rien qui soit susceptible d’apaiser les tensions et puisse ramener la concorde. Pire, rien qui ne puisse déjouer le risque d’une radicalisation à un bout ou à l’autre, et donc, de la violence aveugle.
La montée en tension entre égalité et multiculturalisme
Ce que nous voyons, c’est la tendance marquée d’une large partie de l’islam qui se referme, se sépare, en n’étant pas aidée par nombre de ceux qui se prévalent d’être ses représentants officiels. Il se trouve que les institutions de la France ont au cœur l’égalité des droits entre tous, et non l’égalité des différences comme dans les pays organisés sur le mode du multiculturalisme. Ces pays où, dans des territoires privatisés par le religieux ou le culturel, on vit hors du droit commun. Ces pays que l’on montre comme un exemple de tolérance, n’ont en fait qu’entériné un droit à la différence qui produit une différence des droits, qui rend aveugle aux tensions qui se raidissent de plus en plus entre démocratie et foi portée au-dessus de la loi. Ce n’est pas parce qu’on le cache derrière le mur du communautarisme que cela n’existe pas.
L’exemple du multiculturalisme allemand nous est présenté en modèle, par un article récent du magazine en ligne Le Temps [3], comme l’image de la tolérance. On prend l’exemple du voile pour, nous dit-on, en dédramatiser la question en France, parce qu’il serait porté sans restriction outre-Rhin dans l’indifférence. On notera que la journaliste qui nous en vante les mérites, oublie de nous préciser que ce modèle de société divisée en communautés est le produit d’une identité nationale fondée sur le sang et la race, où le mélange des populations n’est souhaité ni par les uns ni par les autres. Cette tolérance tant vantée, n’a rien empêché quant à la multiplication des attentats en Allemagne, que l’on ne peut détacher d’un islamisme qui galope à l’abri du multiculturalisme. On rappellera que Madame Merkel, et Monsieur Cameron lorsqu’il était à la tête de la Grande-Bretagne, ont chacun fait le bilan de l’échec du multiculturalisme [4], incapable d’unir les composantes de leur société, de la souder, et même constatant qu’il la divisait, au risque de tous les dangers.
La République égalitaire, un modèle de liberté pour tous et universel
La République égalitaire de la France est une chance au regard de ces pays, parce qu’elle favorise le mélange à considérer d’abord les individus comme des égaux, par-delà leurs différences. Elle est une chance, car elle donne à tous la possibilité de vivre libre en ne prédisposant personne à rejoindre une communauté d’assignation culturelle ou religieuse. Elle est une chance, car elle protège chacun dans ses droits, contre toute privatisation de ceux-ci par un groupe quel qu’il soit.
Ainsi, la France est un pays d’avant-garde au regard des libertés qu’elle offre, qu’elle se doit de défendre non seulement comme un bien qui est le sien, mais comme une conquête de portée universelle à la disposition de tous les peuples, en recherche d’émancipation.
Guylain Chevrier
[1] Tribune : Appel contre une islamophobie grandissante https://lemuslimpost.com/tribune-appel-contre-islamophobie-grandissante.html
[2] Indigènes de la République : Thomas Guénolé démontre le racisme, la misogynie et l’homophobie de Houria Bouteldja
https://www.marianne.net/politique/indigenes-de-la-republique-thomas-guenole-demontre-le-racisme-la-misogynie-et-lhomophobie
[3] Port du voile : un regard franco-allemand pour dédramatiser, Cécile Calla, journaliste, 31 mars 2019, https://www.letemps.ch/opinions/port-voile-un-regard-francoallemand-dedramatiser
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