Revue de presse

"Assassinat de Samuel Paty : les collégiens mouchards prennent du sursis pour une mort ferme" (Charlie Hebdo, 13 déc. 23)

(Charlie Hebdo, 13 déc. 23) 19 décembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Les cinq gamins qui ont guidé le terroriste Abdoullakh Anzorov vers Samuel Paty ont été condamnés à des peines allant de quatorze mois de prison avec sursis à deux ans, dont six mois ferme. Quant à la « menteuse originelle », selon les propos de l’avocate de la famille Paty, elle a écopé de dix-huit mois de sursis.

Yovan Simovic · Jean-Loup Adénor

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C’est tout ce qu’on en saura. Pour la première fois ­depuis deux semaines, ce vendredi 8 décembre, les portes de la salle d’audience du tribunal pour enfants de Paris qui accueille le procès des collégiens impliqués dans la mort de Samuel Paty s’ouvrent pour laisser entrer les gratte-papier de tous les canards du pays. En effet, mineurs au moment des faits, les six accusés ont pu bénéficier d’un procès à huis clos, mais n’ont pu échapper aux regards inquisiteurs de la presse, autorisée à assister au verdict.

« Vous avez ­compris  ? » lance la présidente à chacun des accusés, comme le veut la procédure, pour vérifier qu’ils ont bien intégré leur condamnation. Cinq d’entre eux étaient accusés d’« association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées ». Il leur est reproché, le jour du drame, d’avoir surveillé les alentours du collège et facilité l’accès du terroriste à sa cible.

Rembobinons. Le vendredi 16 octobre 2020, Abdoullakh Anzorov, le terroriste russe d’origine tchétchène débarque tout de noir vêtu devant le collège du Bois-d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine (78). Le jeune homme de 18 ans cherche un professeur d’histoire-géographie : Samuel Paty. Il veut le faire payer pour avoir montré une caricature du Prophète dans sa classe. Problème, il ne sait absolument pas à quoi il peut bien ressembler. Un peu avant 15 heures, il interpelle donc un premier élève de quatrième qui sort de cours et lui propose 300 euros pour qu’il pointe le mécréant du doigt. Officiellement, il explique vouloir filmer le professeur pendant qu’il l’oblige à « demander pardon », dans le but de « venger Dieu ».

« La menteuse originelle »

Pendant plus d’une heure, le collégien, qui a déjà empoché la moitié de la somme promise, va rester aux côtés du terroriste. Il sera rejoint par quatre élèves de troisième à qui, grand prince, il distribue à la volée des billets de 10 euros. L’un d’eux décrira le professeur, avec qui il a eu cours le matin même, un autre le désignera de l’index quand il sortira du collège. C’est notamment cette chronologie et les différentes implications des gamins que le tribunal de Paris a dû éclaircir. Et il n’y aura finalement qu’un seul d’entre eux, celui qui a rencontré Anzorov le premier, qui sera condamné à deux ans d’emprisonnement, dont six mois ferme, aménagés avec un bracelet électronique. Pour les autres, les peines s’échelonnent de quatorze à vingt mois avec sursis probatoire, assortis d’une série d’obligations, notamment de formation.

« C’est une grande déception », confessait à Charlie Virginie Le Roy, l’une des avocates de la famille Paty. Notamment la faible peine prononcée à l’encontre de « la menteuse originelle », condamnée pour « dénonciation calomnieuse ». Car la petite bande n’aura été que le dernier maillon d’un engrenage qui a débuté par un bobard.

Dix jours avant l’assassinat, les parents de Z., élève de quatrième, reçoivent une notification d’exclusion de deux jours de la part de son établissement. La jeune fille cumule les problèmes de comportement, et l’école veut marquer le coup. Mais l’adolescente, visiblement peu encline à se remettre en question, explique à ses parents que le collège la sanctionne car elle a refusé d’obéir au moment où son professeur d’histoire-géo, Samuel Paty, aurait demandé aux élèves musulmans de se désigner avant de leur montrer des caricatures du Prophète signées Charlie.

Le blasphème, c’est péché

En réalité, sa version est fausse – l’enseignant avait au contraire proposé avec prévenance à ceux qui pourraient être choqués de fermer les yeux – et elle n’était même pas présente en cours ce jour-là. Trop tard, le mal est fait. Son père, Brahim Chnina, lance une cabale sur les réseaux sociaux avec le soutien du militant islamiste Abdelhakim Sefrioui. La machine est lancée.

Alors bien sûr, ni la petite menteuse ni la bande de mouchards ne pouvaient imaginer les conséquences de leurs actes. Mais tout de même, les faits démontrent qu’ils ont tous plus ou moins accepté l’idée qu’un professeur qui montrait une caricature du Prophète à ses élèves dépassait les bornes. Que le blasphème, c’est péché.

Interrogé par Charlie en septembre dernier, à l’occasion de la sortie d’un sondage sur l’abaya, la gauche et les Français, le directeur du pôle Opinion de l’Ifop, Frédéric Dabi, expliquait qu’il existe une réelle « fracture générationnelle » vis-à-vis du respect du religieux et de la laïcité. « Les jeunes sont favorables, par exemple, à ce que des mamans voilées soient présentes lors des sorties scolaires, alors que pour l’ensemble des Français, c’est un non à plus de deux tiers ou trois quarts, de mémoire », détaillait-il. Pour le spécialiste, « il se passe quelque chose du côté de la jeunesse, on a parfois parlé de « génération offensée », eh bien, l’idée selon laquelle il ne faut pas se moquer des religions pour ne pas offenser les croyants est ultramajoritaire chez les plus jeunes ».

Toujours est-il que ce huis clos n’était qu’une première étape pour la justice. Fin 2024, la cour d’assises spéciale de Paris jugera pour terrorisme huit prévenus adultes. Parmi eux, Brahim Chnina, le père de Z., et l’islamiste Abdelhakim Sefrioui. De quoi établir pour de bon les responsabilités dans la mort de Samuel Paty."


Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Assassinat de l’enseignant Samuel Paty (16 oct. 20), Atteintes à la laïcité à l’école publique dans Ecole (note de la rédaction CLR).


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