(Le Figaro , 4 nov. 24) 27 novembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
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Assassinat de Samuel Paty : la plainte contre l’État toujours à l’instruction
DÉCRYPTAGE - Déposée par les parents et les sœurs de Samuel Paty en 2022, pour « non-empêchement de crime » et « non-assistance à personne en péril », elle vise des services des ministères de l’Intérieur et de l’Éducation nationale.
Par Jean Chichizola
C’est l’enquête dans l’enquête. Avec deux questions qui planeront sur le procès qui s’ouvre lundi : l’État a-t-il failli ? Samuel Paty aurait-il pu être sauvé ? Le 6 avril 2022, Me Virginie Le Roy, agissant au nom de la famille de Samuel Paty (ses parents, ses deux sœurs et leurs compagnons, ses neveux et nièces), saisissait le parquet de Paris d’une plainte pour « non-empêchement de crime » et « non-assistance à personne en péril », visant des fonctionnaires des ministères de l’Intérieur et de l’Éducation nationale. L’affaire est toujours à l’instruction.
À l’époque, Me Francis Szpiner, avocat de l’ex-compagne et du fils de l’enseignant, avait précisé que, pour sa cliente, « l’idéologie salafiste est seule responsable de la mort de Samuel Paty et que l’État l’a toujours, ainsi que son fils, soutenue ».
En 81 pages, nourries de très nombreuses références à la jurisprudence, Me Le Roy dénonce des failles dans la prise en compte de la menace.
Concernant le délit de « non-assistance à personne en péril », la plainte insiste sur l’existence, en ces jours d’octobre 2020, de périls « imminents et actuels ». Un péril ressenti sur place car, « dès le 8 octobre et jusqu’au 16, Samuel Paty, la principale et les enseignants ont identifié une menace grave pour leur intégrité physique et la sécurité du collège ».
Le dispositif aurait été dissuasif
La peur règne : le professeur, qui porte plainte, se fait parfois raccompagner chez lui. Après l’attentat, un collégien confiera à un journaliste : « Il avait insulté le prophète. On en parlait dans la cour. » Aux critiques formulées contre lui par deux de ses collègues dans le week-end des 10 et 11 octobre, le professeur répond : « Il n’y a aucune crainte juridique à avoir, par contre il faut savoir que je suis menacé par des islamistes locaux ainsi que l’établissement tout entier… »
Dans ce contexte, la plainte déplore d’abord l’absence de protection policière, justifiée par deux critères (rupture de l’anonymat de l’enseignant et gravité d’une affaire liée aux caricatures de Charlie Hebdo et qualifiée de « blasphème » par des islamistes en furie). Même dans sa dimension la plus légère (« accompagnement de sécurité », avec un ou deux policiers du service de protection), le dispositif aurait été dissuasif et, précise la plainte, « avec un tel accompagnement, Samuel Paty aurait été sauvé ».
D’autres mesures auraient pu avoir le même effet et Me Le Roy cite plusieurs exemples : en septembre 2020, l’exfiltration de son domicile de la directrice des ressources humaines de Charlie Hebdo ou encore, « antérieurement à l’attentat », la déscolarisation très rapide de Mila « à la suite des menaces proférées à son encontre ». Enfin, en janvier 2022, à la demande du renseignement territorial des Yvelines, le départ précipité d’une enseignante menacée. « Si Samuel Paty, conclut la plainte, avait été éloigné du collège et de son lieu de résidence, (le terroriste) n’aurait pu le localiser. »
« Nombreuses menaces ciblant Samuel Paty »
Concernant toujours la « non-assistance à personne en péril », Me Le Roy cible ensuite des agents du renseignement territorial des Yvelines (RT 78). En soulignant que leur note du 12 octobre détaillait, certes, l’affaire mais concluait à l’apaisement des tensions au niveau du collège. Or, « entre le 13 et le 15 octobre », le RT 78 « a considéré que la situation n’évoluait pas, n’a pris aucune mesure de protection, n’a mené aucune investigation, n’a réalisé aucune remontée d’information dans la chaîne du renseignement antiterroriste ».
Côté DGSI, chef de file de la lutte antiterroriste qui reçoit la note du RT, Me Le Roy insiste sur son « inaction » : pas d’exploitation du lien vers une chaîne YouTube utilisée pour attaquer le professeur, pas de veille sur les réseaux sociaux ou de surveillance du téléphone de l’islamiste Brahim Chnina, aujourd’hui au banc des accusés, qui auraient pu « révéler l’existence de nombreuses menaces ciblant Samuel Paty, portées » par des tenants de l’islam radical.
Sont ensuite notamment épinglés le conseiller technique sécurité, policier intégré au cabinet de la rectrice de Versailles, le directeur académique adjoint des services de l’Éducation nationale, le référent laïcité au collège, le directeur et le chef de cabinet de la rectrice, le haut fonctionnaire adjoint de défense et de sécurité au ministère et la cellule ministérielle de veille et d’alerte. Bref, tous les maillons de la chaîne censée protéger un enseignant menacé. Tous responsables, à des degrés divers, de mauvaises évaluations et analyses, d’inaction, de passivité ou de manque d’implication.
Propos antisémites, homophobes, racistes...
La plainte traite ensuite du cœur de la matière antiterroriste en abordant le délit de « non-empêchement de crime ». Me Le Roy déplore une « absence de détection et de suivi de la radicalisation violente (du terroriste Anzorov) ». Alors même que, le 12 juillet 2020, la plateforme Pharos — renforcée depuis mais toujours en grande difficulté — était alertée de la publication d’Abdullakh Anzorov sur un compte Twitter gagné aux thèses de Daech. Le signalement était transmis le 13 à l’Uclat, intégrée à la DGSI.
Le même compte était signalé le 27 puis le 30 juillet par la Licra pour des propos antisémites, homophobes, racistes et faisant l’apologie de la violence. Par ailleurs, le propriétaire de ce compte menaçait d’égorger des « blasphémateurs » et, dans un tweet du 25 septembre, semblait rechercher des cibles.
Mais, constate Me Le Roy il n’y eut « aucune exploitation, même superficielle » du signalement du 13 juillet, aucun suivi et aucune exploitation ultérieurs. Donc aucune enquête administrative et aucun suivi par le groupe d’évaluation départemental de l’Eure (Anzorov habitait Évreux). Et bien sûr aucune « enquête préliminaire pour entreprise individuelle terroriste » qui, assure le texte, « aurait dû être ouverte ».
Passé inaperçu
Reste l’absence de suivi d’un des acteurs clés du procès d’assises : Priscilla Mangel, qui est au banc des accusés. Elle était « connue depuis 2017 de la DGSI, note la plainte, en raison de ses liens avec des terroristes islamistes et de sa radicalisation ». Son téléphone et ses comptes Twitter s’activent : deux tweets, les 31 août et 1er septembre 2020, incitant à commettre un nouvel attentat contre Charlie Hebdo, un compte Twitter créé le 8 octobre exclusivement consacré à l’affaire du collège du Bois-d’Aulne.
Enfin des échanges avec Anzorov qui, repérés, auraient justifié « leur appréhension pour des faits d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». Malheureusement, tout ceci est passé inaperçu. Jusqu’au 16 octobre.
L’État n’est pas près d’en avoir fini avec l’affaire Paty : en sus de la plainte de 2022, l’une des sœurs de l’enseignant, Mickaëlle, a saisi la justice administrative (tribunal administratif de Nice) en juillet dernier.
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Procès de l’assassinat de Samuel Paty (2024) dans Assassinat de l’enseignant Samuel Paty (16 oct. 20) dans la rubrique Terrorisme islamiste (note de la rédaction CLR).
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