(Le Figaro , 4 nov. 24) 27 novembre 2024
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Assassinat de Samuel Paty : l’engrenage islamiste au cœur du procès
DÉCRYPTAGE - Huit accusés vont être jugés à partir de lundi jusqu’au 20 décembre dont deux pour complicité d’assassinat terroriste et les six autres pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Au centre des débats : l’escalade qui, en dix jours, a conduit à la décapitation d’un professeur.
Par Jean Chichizola
Pourquoi et comment, un vendredi d’octobre 2020, « entre 16 h 51 min 45 s et 16 h 55 », un professeur, seul face à l’islamisme et trahi par des collégiens, a-t-il été décapité par un djihadiste à quelque 300 mètres du collège où il guidait ses élèves sur les voies du savoir ? Des interrogations au cœur du procès qui s’ouvre ce lundi devant la cour d’assises spécialement composée. Dans leur énormité sidérante et intolérable, elles se poseront encore, sans doute à jamais, à l’issue des débats.
Jugées jusqu’au 20 décembre, huit personnes sont accusées d’être impliquées dans l’assassinat de Samuel Paty, enseignant en histoire-géographie au collège du Bois-d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, le vendredi 16 octobre 2020. Un collège qui, quatre ans après les faits, vient tout juste de prendre le nom de son professeur, père d’un petit garçon de 5 ans, assassiné un mois après avoir fêté son 47e anniversaire.
On sait déjà que le terroriste sera absent du box des accusés : Abdoullakh Abouyezidovitch Anzorov, né le 12 février 2002 à Moscou, a été tué le jour des faits par des policiers alors qu’il fonçait sur eux armé d’un couteau. Arrivée en France en 2008, la famille de ce jeune Tchétchène s’était vu refuser l’asile par l’Ofpra en 2010 avant que la Cour nationale du droit d’asile ne revienne sur cette décision l’année suivante. Dans l’intervalle, les Anzorov s’étaient installés à Évreux (Eure).
Simplement un prof
Radicalisé au cours de l’année 2020, sans être repéré par les services antiterroristes, ne pouvant partir en Syrie ou en Afghanistan, Anzorov cherchait des « blasphémateurs » à punir en France. Après quelques pistes avortées, en un automne 2020 marqué par le procès de l’attentat contre Charlie Hebdo et des tensions entre la France et le monde arabo-musulman, il ciblait Samuel Paty pour avoir montré à ses élèves l’une des caricatures de Mahomet publiées par l’hebdomadaire satirique.
Immédiatement après son crime, et avant d’être tué par la police, à 17 h 04, il mettait en ligne, à 16 h 55, une photo de la tête décapitée de sa victime avec ce message : « À Marcon (sic) le dirigeant des infidèles, j’ai exécuté un de tes chiens de l’enfer qui a osé rabaisser Muhammad. »
À la grande fureur des soutiens du terroriste, et il en est encore beaucoup en France, les débats évoqueront la personnalité de sa victime, Samuel Paty. Ils permettront de se souvenir de qui il était. Non point assurément un « chien de l’enfer », non plus un martyr ou un saint laïque, mais simplement un prof. Un prof qui « s’investissait beaucoup », qui « travaillait sur des projets scolaires, notamment sur la chrétienté et l’islam », au programme de 5e.
« Être Charlie ou ne pas être Charlie »
L’évocation dans le prétoire du « point III du cours d’enseignement civique et moral : “Situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie” », cours s’inscrivant dans le programme et dans une séquence dédiée à la liberté d’expression, révélera là encore un prof comme des milliers d’autres. Lire ce cours tel qu’il était préparé par Samuel Paty, reconstitué à partir de ses diapositives, c’est plonger dans un questionnement mesuré, respectueux, un appel à la nuance et au dialogue.
Sous le titre « Une liberté peut entrer en conflit avec d’autres droits ou avec le respect dû aux autres personnes », une diapositive comportait un tableau séparé en deux cases : « Être Charlie (publier des caricatures de Mahomet) / Ne pas être Charlie (ne pas publier des caricatures de Mahomet). »
Quatre ans après la décapitation du professeur, cinq ans après l’attentat contre Cabu, Wolinski et tous les autres, la lecture de la case reprenant les arguments « pro-Charlie » résonne terriblement : « La liberté de la presse est un droit de l’homme », « Publier les caricatures par solidarité car la vie est le droit de l’homme le plus sacré » et enfin « Le blasphème n’est pas interdit par la loi ».
Mais aux yeux d’Abdoullakh Anzorov, adepte de la seule loi d’Allah, ce cours, tout à la fois simple et exemplaire, condamnait à mort Samuel Paty juste parce qu’il y montrait une caricature de Mahomet.
Trois groupes distincts pour l’accusation
Il reviendra donc à la cour d’assises, après un débat judiciaire et juridique qui s’annonce intense, de déterminer si les huit accusés dans le box, dont six sont encore en détention provisoire, ont aidé et/ou encouragé le terroriste à commettre son crime. Pour l’accusation, ces individus constituent trois groupes bien distincts.
Au premier rang, deux amis d’Abdoullakh Anzorov : Azim Epsirkhanov, 19 ans au moment des faits, né en Russie et issu de la communauté tchétchène, et Naïm Boudaoud, 18 ans, né à Évreux. Tous deux sont soupçonnés d’avoir su ce que préparait le terroriste et, à ce titre, ils comparaissent pour complicité d’assassinat terroriste. Outre leur proximité et leurs échanges avec Anzorov, ils sont accusés de l’avoir accompagné pour acheter des armes (couteaux et pistolets airsoft). Le jour de l’attentat, Boudaoud a également conduit en voiture son ami jusqu’aux abords du collège du Bois-d’Aulne.
Le deuxième groupe, que l’on pourrait qualifier d’« amis virtuels » du terroriste, est constitué de quatre personnes, jugées pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Tenants de l’islam radical, ils sont accusés d’avoir été en contact avec Anzorov, de l’avoir conforté dans son projet et d’avoir salué l’attentat après coup.
Convertie née à Meudon, Priscilla Mangel, 32 ans au moment des faits, a par exemple échangé 46 messages sur l’affaire avec Anzorov entre le 9 et le 13 octobre. Elle appelait à frapper tous ceux qui « insultaient le Prophète ». Pour leur part, Louqmane Ingar, né à Saint-Denis de La Réunion, et Ismail Gamaev, né en Russie, tous deux âgés de 18 ans en octobre 2020, étaient en contact avec Anzorov sur un groupe Snapchat. Yusuf Cinar, alors âgé de 18 ans, né à Évreux, était aussi en contact avec le terroriste sur un autre groupe Snapchat.
Reste le troisième et dernier groupe, qui donnera probablement lieu aux joutes judiciaires les plus acérées. Jugés pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, Brahim Chnina, âgé de 48 ans au moment des faits, né en Algérie mais d’origine marocaine, et Abdelhakim Sefrioui, né au Maroc en 1959, se voient reprocher d’avoir, dans un contexte terroriste des plus clairs, fourni une cible au terroriste en attaquant publiquement et sur internet le professeur « blasphémateur » mais aussi en divulguant son nom ainsi que celui de son collège. Ils ont ainsi déclenché en l’espace de quelques jours, du 6 au 16 octobre, l’engrenage qui a conduit au drame. Lequel sera mis sous la loupe du tribunal et où Chnina et Sefrioui ont joué un rôle central.
Craignant d’être choqués
En guise de préambule, les juges reviendront d’abord au 5 octobre 2020. Samuel Paty donne, de 10 h 30 à 11 h 30, son cours sur la « situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie » à la classe de 4e5, dont il est le professeur principal. L’espace de quelques secondes, une de ses diapositives reprend l’une des caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo en solidarité avec un dessinateur danois frappé par une fatwa des islamistes. Une caricature qu’il a déjà utilisée au cours des années précédentes, le professeur entamant sa troisième année d’enseignement au collège du Bois-d’Aulne.
Ce jour-là, Samuel Paty confie à ses élèves qu’il va leur montrer une caricature violente. Il offre la possibilité à ceux craignant d’être choqués de sortir quelques minutes dans le couloir, en présence d’une accompagnante d’élève en situation de handicap (AESH) qui assiste au cours. Quelques élèves sortent. Une collégienne de confession musulmane se serait alors sentie discriminée : sa mère appelle la principale, Samuel Paty rappelle la mère de l’élève, et l’incident est clos.
L’engrenage s’enclenche le 6 octobre. À 12 h 50 et jusqu’à 13 h 45, Samuel Paty donne, à la 4e4 cette fois, son cours d’enseignement moral et civique. Nouvelle mise en garde sur la caricature. En l’absence d’AESH, les élèves potentiellement choqués sont invités à fermer les yeux ou à détourner le regard s’ils le souhaitent. L’une des élèves de 4e4, qui a de sérieux problèmes de discipline, est absente ce jour-là.
Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui
Le 7 octobre, le collège décide, sur la base de ces problèmes récurrents de discipline, l’exclusion de cette élève pendant deux jours, les 13 et 14 octobre. Et en informe ses parents. Son père, Brahim Chnina, se lance dans la soirée dans une campagne très violente contre le professeur. Il envoie des messages à des dizaines d’individus, y compris à l’étranger, reprenant le mensonge de sa fille.
Cette dernière affirme que son exclusion est liée non pas à des problèmes de discipline mais bien au cours du 6 octobre, auquel elle affirme avoir assisté. Elle y aurait été malmenée par un Samuel Paty islamophobe et ayant montré l’image du Prophète nu… Brahim Chnina est déchaîné : il appelle à « virer ce malade », donne le nom du collège et de l’enseignant, annonce qu’il ira voir la principale le lendemain.
Le 8 octobre est la date d’une double escalade : Brahim Chnina reprend ses attaques dans une vidéo sur le net et il se rend au collège. Mais il n’est plus seul : fiché S, Abdelhakim Sefrioui l’accompagne. Sefrioui est un militant islamiste notoire depuis son arrivée en France, en 1982 ; il l’était d’ailleurs déjà au Maroc. Proche des Frères musulmans, il a fondé en 2004 le Collectif Cheikh Yassine, du nom du fondateur du Hamas. Chnina et Sefrioui se sont rapprochés sur fond de soutien à la cause palestinienne.
La rencontre entre la principale et les deux militants, qui affirment au passage qu’on les aurait mieux reçus s’ils avaient été juifs, est très tendue. Chnina dénonce le « voyou » Paty. La menace d’une manifestation islamiste devant le collège plane. Le vendredi 9 octobre, Brahim Chnina et sa fille portent plainte pour « diffusion d’images pédopornographiques à un mineur » au commissariat de Conflans-Sainte-Honorine.
La peur règne dans la salle des professeurs
Le week-end n’apporte aucun répit. Le dimanche 11, Sefrioui diffuse une nouvelle vidéo avec Brahim Chnina et sa fille. Samuel Paty est plus que jamais la cible de leurs calomnies et de leur agressivité. Au sein du collège, la communauté enseignante se divise. Deux professeurs se désolidarisent de leur collègue. Ce dernier leur répond : « Il faut savoir que je suis menacé par des islamistes locaux ainsi que l’établissement tout entier . »
Le lundi 12, la peur règne dans la salle des professeurs. Certains sont en larmes, parlent de leur droit de retrait. D’autres évoquent des attaques au couteau, se souviennent de l’attentat du 25 septembre devant les anciens locaux de Charlie Hebdo. Samuel Paty est inquiet en raison de la vidéo dans laquelle son nom a été diffusé. Il a par ailleurs appris, probable allusion à Sefrioui, que Brahim Chnina « connaît un fiché S ».
Samuel Paty ne sait pas que, depuis le 9 octobre, Abdoullakh Anzorov a contacté Brahim Chnina par SMS et par WhatsApp pour lui apporter son « soutien ». En fait, le terroriste veut surtout vérifier les informations diffusées par son contact et Sefrioui. Pour les enquêteurs, le 12 octobre, Anzorov a décidé : il veut tuer le « blasphémateur ».
Sanctions « pas à la hauteur du drame »
À Conflans-Sainte-Honorine, Samuel Paty, accompagné de la principale, dépose plainte le 13 octobre pour dénonciation calomnieuse. Les policiers lui conseillent d’aller au collège en voiture. Une patrouille est prévue pour « sécuriser » l’établissement. Mesures humaines mais dérisoires : à plusieurs reprises, des collègues raccompagnent à son domicile le professeur, qui cherche visiblement à dissimuler son visage. Le jour de son assassinat, les policiers retrouveront un marteau dans son sac.
Le jeudi 15 octobre, Samuel Paty confie que « ce n’est pas la grande forme » et qu’il attend les vacances de la Toussaint qui commencent le lendemain. Le vendredi 16, il se dit très en colère contre Brahim Chnina et contre les deux professeurs l’ayant critiqué. Puis il demande à un collègue de le raccompagner, ce que ce dernier ne peut faire. Samuel Paty sort seul. Abdoullakh Anzorov l’attend, renseigné par des collégiens à qui il a promis quelques centaines d’euros. C’est peut-être le plus terrible dans cette tragédie : le professeur trahi par des collégiens pour le prix d’une console de jeux.
La cour n’aura toutefois pas à juger de cette trahison : le 8 décembre, le tribunal pour enfants de Paris a condamné six adolescents, âgés de 13 à 15 ans au moment des faits. L’élève qui a menti sur son exclusion a été condamnée à 18 mois avec sursis pour dénonciation calomnieuse. Cinq collégiens ont été condamnés pour association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées après avoir surveillé les abords du collège et désigné Samuel Paty à Anzorov.
Quatre d’entre eux ont écopé de peines allant de 14 à 18 mois avec sursis. Celui qui avait organisé la surveillance et désigné le professeur a été condamné à 24 mois, dont 6 mois ferme aménagés avec port de bracelet électronique. Du côté des parties civiles, on avait alors estimé que ces sanctions n’étaient « pas à la hauteur du drame ».
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Procès de l’assassinat de Samuel Paty (2024) dans Assassinat de l’enseignant Samuel Paty (16 oct. 20) dans la rubrique Terrorisme islamiste (note de la rédaction CLR).
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