(Marianne, 19 sept. 24) 20 septembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Si le rejet du tribun insoumis envers les Français vivant à la campagne s’est intensifié ces derniers mois sur fond de bataille idéologique avec François Ruffin, la carrière politique de Jean-Luc Mélenchon est émaillée de déclarations condescendantes à l’égard des ruraux. Magnéto.
Par Hadrien Mathoux
Le malentendu est tenace entre une famille politique, la gauche, qui s’est donnée pour vocation première d’émanciper les classes populaires, et la fraction rurale de ces dernières, qui se refuse à elle depuis des décennies. Trop conservateurs, trop attachés au terroir et aux traditions, les habitants des campagnes ? Trop urbaine, trop bourgeoise, finalement méprisante, la gauche ?
Ces dernières années, la question de la sous-performance historique de la gauche dans les campagnes a pris un tour plus décisif : sous l’impulsion de Jean-Luc Mélenchon, la France insoumise accentue jusqu’à la caricature une stratégie électorale uniquement tournée vers les grands centres urbains peuplés d’électeurs diplômés, et leurs banlieues remplies de citoyens de culture musulmane que LFI tente de séduire via un discours communautariste. Face à cette tendance, toute une partie de la gauche, François Ruffin en tête, s’insurge : non seulement la gauche pourrait parler aux ouvriers et employés qui peuplent la « France périphérique » et la ruralité, argue-t-il, mais en plus elle en aurait le « devoir moral ».
Le choix de Mélenchon semble pourtant fait. Ce samedi 7 septembre, en marge d’une manifestation, il lâche, capté par des micros : « Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers. Tout le reste, laissez tomber, on perd notre temps. » Une saillie qui a excédé Ruffin, déjà en rupture de ban avec LFI, et provoqué des échanges d’une violence inouïe entre le Picard et les insoumis. Une saillie qui s’inscrit surtout dans la longue durée : en réalité, Jean-Luc Mélenchon a toujours considéré avec méfiance, voire avec mépris, ces Français des champs qu’il préconise aujourd’hui d’abandonner dans les bras du Rassemblement national. Retour en arrière à travers cinq épisodes clefs.
Le gamin de Tanger
Jean-Luc Mélenchon est un immigré. Le futur candidat à la présidentielle est né en 1951 à Tanger, de parents pieds-noirs. Son déménagement en Normandie, en 1962, est un traumatisme. Outre les rudesses du climat et le divorce de ses parents, le jeune Mélenchon supporte mal de passer du Maroc à la campagne métropolitaine. Un entretien accordé à Hit-Radio garde la trace de cette rancœur, à l’origine des choix de vie de l’homme politique : « Je ne supporte plus de vivre autrement que dans un endroit où les gens sont mélangés », revendique le résident du 10e arrondissement de Paris, qui affirme qu’il « ne peut pas survivre quand il n’y a que des blonds aux yeux bleus ».
Dans le même entretien, Mélenchon se montre particulièrement désobligeant envers les habitants du « coin perdu » qu’est le pays de Caux, contrée normande dans lequel il débarque à onze ans : « Les gens n’avaient jamais vu personne, hélas pour eux les malheureux souffraient d’un alcoolisme épouvantable. (...) Donc nous étions consternés. Et personne ne parlait aucune espèce de langue étrangère, la France des campagnes était extraordinairement arriérée par rapport au Maroc des villes. Casablanca était une ville plus moderne que Clermont-Ferrand. » Ses écrits le montrent, en matière de lieux de vie, Mélenchon a toujours réservé sa fascination pour les aires urbaines : c’est ici que les choses se passent, que les humains se mélangent, que les révolutions se forment. Mais à de plus rares instants, comme ici, il laisse transparaître un mépris affiché pour le peuple des campagnes.
Sur la Corse, le regard du jacobin
Une première trace de ce trait de caractère mélenchonien peut être trouvée en août 2000. « JLM » est alors ministre délégué à l’enseignement professionnel, et il écrit au sujet d’un thème qui fracture la gauche plurielle du gouvernement Jospin : la question corse. Faut-il laisser davantage d’autonomie à l’île de Beauté ? Mélenchon répond, forcément, par la négative, dans une tribune publiée par… Marianne. Son jacobinisme conséquent lui intime alors logiquement de militer pour l’application uniforme et égalitaire de la loi sur tout le territoire national, et de lutter contre le régionalisme ethniciste des Corses.
Mais dans le texte affleure également un rejet plus profond, plus viscéral : « Le déshonneur ordinaire de l’île contamine l’État Républicain : faute d’être capable de l’éradiquer, il en devient partie prenante », estime Mélenchon, qui y ajoute un passage lourd de sous-entendus sur l’arriération supposée d’une partie du peuple corse : « N’en déplaise aux griots du culte des racines et aux rebouteux de l’identité par le terroir, nous sommes très nombreux aussi à vouloir construire nous-mêmes notre identité culturelle en faisant librement notre miel de tout ce qui nous convient, sans subir au préalable l’accord du clan, la loi du grand-père, les préceptes de la grand-mère ni les coutumes dignes de leurs ancêtres ». Au point d’estimer qu’il serait « préférable de perdre la Corse que d’être obligé de lui ressembler. Car bien sûr, mieux vaudrait perdre la Corse que la République ».
La blessure d’Hénin-Beaumont
Lors des législatives de 2012, Mélenchon tente un coup politique : il vient défier Marine Le Pen sur les terres ouvrières d’Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais. Quelques mois après sa défaite dès le premier tour, le leader du Front de gauche avouera qu’il s’agissait de sa « pire campagne ». Dans le bassin minier, « JLM » découvre un peuple qui ne correspond pas à l’image d’Épinal (ou de Germinal ?) qu’il s’est forgée. Un reportage le montre, en mai 2012, injurier un partisan du Front national qui l’accuse de gagner 40 000 euros par mois : « Regardez moi ce gros imbécile », « Tu es un crétin et c’est tout », « Vous avez un pois chiche à la place du cerveau »… les noms d’oiseaux pleuvent.
Mais il y a peut-être plus grave que cet échange viril. François Ruffin le relate dans son dernier livre, Itinéraire - Ma France en entier, pas à moitié ! (Les Liens qui libèrent) : « Quand [Mélenchon] me racontait Hénin, c’était à la limite du dégoût, écrit le Picard : “On ne comprenait rien à ce qu’ils disaient…”, “Ils transpiraient l’alcool dès le matin…”, “Ils sentaient mauvais…”, “Presque tous obèses…” ». Propos inventés de toutes pièces pour régler des comptes, ou échanges véridiques ? Impossible de trancher, mais les réflexions de l’insoumis concernant l’alcoolisme et l’arriération des Nordistes ressemblent à d’autres propos qu’il a pu tenir, micro ouvert cette fois-ci…
La théorisation du rejet
Après la présidentielle 2022, Jean-Luc Mélenchon se met à théoriser explicitement ce qu’il avait jusqu’ici seulement mis en pratique : l’abandon des zones rurales et périphériques, au profit d’une stratégie électorale uniquement conçue pour surperformer dans les banlieues. L’insoumis veut triompher avec la « nouvelle France », celle « dont les parents émigrés des autres continents et des autres provinces de France se sont rassemblés dans ces grands ensembles urbains que l’on voit partout sur notre territoire ».
Dans les colloques de l’Institut La Boétie, qu’il a fondé, Mélenchon assume son virage : « Bien sûr, il faut aller chercher les milieux ruraux, déclassés, etc. Qui va dire le contraire ? Mais le gros de la troupe, qui va nous faire gagner, ce sont les quartiers populaires où on vote pour nous à 80 % au premier tour, mais où 30 % seulement vont voter. Si nous montons à un niveau égal à celui de la participation du reste de la société, nous avons gagné. »
Dans Le Monde, François Ruffin, encore lui, dénonce les propos tenus par « JLM » après l’entrée de 89 députés RN à l’Assemblée : « Mélenchon déclarait : "De toute façon, ces terres-là n’ont jamais accepté la démocratie et la République" », désignant pourtant « le Pas-de-Calais, la Picardie, le Midi rouge, qui pendant un siècle ont envoyé des députés communistes et socialistes dans l’hémicycle ». Le tribun aurait ajouté, dépité : « Pour dénazifier l’Allemagne, ça a pris un demi-siècle, alors bon… ». Une manière, selon Ruffin, de « choisir l’abandon » et de « découper la France en "segments" ».
De l’indifférence à l’injure
Non content de renoncer à conquérir ces territoires dans lesquels la gauche recule d’année en année, Jean-Luc Mélenchon s’est récemment mis à leur asséner toute sa morgue. Ce faisant, il s’inscrit dans les pas d’une certaine gauche urbaine, qui ne l’a pas attendu pour cracher son mépris à l’égard du Français des champs, forcément « beauf », vulgaire, à l’esprit étriqué. En juillet dernier, le patron de la France insoumise estime dans La Repubblica qu’il est impossible de « reconquérir les électeurs du RN » dans les campagnes : « Nous avons proposé un salaire minimum à 1 600 euros, la restauration des maternités, la réouverture des écoles dans les zones périphériques… ça ne marche pas, et vous savez pourquoi ? Leur priorité, c’est le racisme. Leur problème numéro 1, c’est les Arabes et les Noirs. »
Plus récemment, c’est à l’occasion des universités d’été de LFI que Mélenchon s’autorise une énième pique, totalement gratuite celle-ci. Lors de son discours, l’insoumis dresse d’abord l’éloge des Martiniquais, qui selon lui « ont toujours cultivé un certain sentiment d’élite intellectuelle. (...) Quand vous faites à la fois Césaire, Frantz Fanon, Glissant et Chamoiseau, vous ne pouvez pas dire, on est n’importe où ». À ce compliment envers les Antillais, l’ancien candidat à la présidentielle croit alors bon d’ajouter : « En Lozère, vous n’avez pas ça, vous avez juste à vous en rendre compte ». L’attrait pour la « créolisation » semble décidément devoir être systématiquement associé, chez Mélenchon, au dégoût pour la France profonde."
Voir aussi dans la Revue de presse les dossiers La gauche et les classes populaires, La France insoumise (LFI), Terra Nova, Gauche et islamisme, LFI et islamisme (note de la rédaction CLR).
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