(Le Point, 20 juin 24) 21 juin 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Antisémitisme : l’affront populaire".
Reniements. Dans les rangs de la nouvelle alliance, la haine s’affiche au grand jour.
Par Erwan Seznec
Tout semblait pourtant avoir plutôt bien commencé. Au soir des européennes, Jean-Luc Mélenchon prononçait un discours rassembleur, sans un mot pour le sujet qui avait monopolisé sa campagne : la Palestine. Autour de lui, le cercle des fidèles, de Manon Aubry à Sophia Chikirou. L’activiste Rima Hassan, fraîchement élue au Parlement européen, n’était même pas sur l’estrade. Après avoir joué à outrance la carte du vote arabo-musulman dans l’espoir de redevenir le pivot de la gauche, le leader Insoumis tentait de rassembler la social-démocratie et de faire oublier ce tropisme.
Mais le mauvais génie réveillé lors de la campagne n’entend pas retourner dans sa bouteille. En une semaine seulement, l’évidence s’est imposée : l’antisionisme forcené, tutoyant sans complexe l’antisémitisme, n’est plus vraiment un problème dans la gauche incarnée par le Nouveau Front populaire (NFP). Socialiste et juif, le député de l’Essonne Jérôme Guedj en a tiré les conséquences, il se présentera devant les électeurs sans l’investiture de cette néo-Nupes.
Les autres, de François Hollande à François Ruffin, regardent ailleurs, alors que s’enchaînent des annonces et des incidents qui auraient provoqué un tollé il y a quelques années seulement. Il paraît que chaque voix compte, il faudrait donc se résigner à faire campagne dans le même camp que Philippe Poutou, leader du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), sous le coup d’une enquête pour « apologie du terrorisme ». Au soir du 7 Octobre, le NPA diffusait des messages enthousiastes, reprenant les images des ULM du Hamas et glorifiant les assassins des kibboutz et de la rave party.
Petite touche de mauvais goût supplémentaire, Philippe Poutou est désormais candidat dans la circonscription où Arnaud Beltrame a été assassiné, en 2018. Les délais serrés de cette campagne lui épargneront peut-être, au moins, d’avoir à tracter sur le marché de Trèbes. À sa décharge, il n’a pas choisi son terrain de parachutage. Comme il l’a expliqué dans un entretien à L’Indépendant le 17 juin, cette circonscription lui a été imposée par les Insoumis, qui mènent manifestement le bal au sein de ce Nouveau Front populaire.
Les couleuvres du Nouveau Front populaire
Raphaël Glucksmann, éphémère vainqueur à gauche des européennes, avale jour après jour les couleuvres du NFP. Lionel Jospin lui en a fait implicitement le reproche le 17 juin, admettant que l’antisémitisme s’exprime « chez certains Insoumis », mais refusant de les condamner… puisque le chef de file de Place publique ne le fait pas.
C’est avec l’accord au moins tacite des Insoumis que les activistes du parti des Indigènes de la République tonnaient sur leur char contre les « sionistes » lors de la manifestation contre l’extrême droite organisée à Paris le 15 juin. « On exige que la gauche française arrête ses conneries et se lève contre le sionisme », criait au micro une de leurs militantes, Layla, keffieh au cou, faisant reprendre à la foule le slogan « Sionistes, fascistes, c’est vous les terroristes ». « On est amenés à crever tous ensemble parce qu’on est face au même système colonial et capitaliste », à Paris et à Gaza, enchaînait une autre intervenante voilée, Aida, hurlant qu’elle n’accepterait pas que « la gauche française qualifie la résistance de terroriste »… Réactions au PS et chez les écologistes : néant. Plus loin dans le cortège, Gérard Filoche, exclu du PS en 2018 pour « tweet antisémite », serre la main d’Olivier Faure.
L’historien Serge Klarsfeld, 88 ans, a déclaré qu’il voterait pour un candidat du centre au premier tour, et « sans hésitation » pour le RN au second en cas de duel avec LFI, parti devenu selon lui « antijuif ». Manuel Bompard lui a fait la leçon, dénonçant « la perte de valeurs et de repères » de l’ancien chasseur de nazis ! Ni le secrétaire national de LFI ni aucun autre membre de l’état-major du parti ne semblent pressés de comprendre pourquoi Serge Klarsfeld juge que La France insoumise fait monter l’antisémitisme, conclusion… partagée par 92 % des juifs de France, selon une enquête d’opinion publiée début juin par l’American Jewish Committee. Peut-être y a-t-il un lien avec le fait que des activistes désormais intégrés au Nouveau Front populaire versent dans le racialisme, employant couramment sur les réseaux sociaux l’expression « gauche blanche » ?
Le parti sait pourtant parfois être inflexible. Ainsi, il n’a pas donné l’investiture à cinq sortants, Hendrik Davi, Danielle Simonnet (qui avait invité l’ex-leader travailliste Jeremy Corbyn, viré de son parti pour antisémitisme), Frédéric Mathieu, Alexis Corbière et Raquel Garrido, coupables d’avoir protesté contre le manque de démocratie interne. Les deux derniers appartenaient à la frange refusant de glorifier le Hamas. Raquel Garrido avait jugé « consternant » le mot de sa collègue Danièle Obono, qui avait qualifié l’organisation islamiste de « mouvement de résistance ».
Un précédent préoccupant
Aujourd’hui, la députée Raquel Garrido trouve face à elle, dans la 5 e circonscription de Seine-Saint-Denis, un candidat officiellement investi par le NFP, Aly Diouara. Ce militant associatif avait qualifié Raphaël Glucksmann de « candidat sioniste » pendant les européennes. Dérapage de campagne ? Malheureusement, il y a un précédent préoccupant. À l’été 2022, Aly Diouara comptait parmi les soutiens de Hassan Iquioussen, sur le point d’être expulsé pour discours haineux envers les valeurs de la République, propos antisémites et remise en cause de l’égalité homme-femme. Aly Diouara assimilait l’imam à une victime d’un « climat racistement hostile », avait-il écrit. Voler au secours de ce Frère musulman avéré n’était pas anodin.
Pas anodin non plus, le tweet de Raphaël Arnault, candidat investi par le NFP dans la 1re circonscription du Vaucluse. « Soixante-quinze ans de colonialisme, de racisme et d’attaques meurtrières de l’État israélien », écrivait-il le 7 octobre 2023. Il postait en même temps un communiqué lunaire de son organisation d’extrême gauche, la Jeune Garde, évoquant « l’offensive sans précédent » de la « résistance palestienne ». Seulement voilà, Raphaël Arnault est fiché S. Dans le Vaucluse, son parachutage fait des vagues. Cécile Helle, maire PS d’Avignon, ne décolère pas. Elle va soutenir un candidat local indépendant, persuadée que ce Lyonnais radical fera fuir l’électorat de gauche modérée d’Avignon. Sans parler de la petite communauté juive, implantée depuis l’époque des papes, au XVe siècle.
Les probabilités de retrouver ces avocats du Hamas à l’Assemblée nationale sont inégales. Philippe Poutou est en terre de mission dans l’Aude, département qui a voté massivement pour le RN. Raphaël Arnault ne part pas perdant. Il affronte une députée sortante RN, Catherine Jaouen. Elle était la suppléante de Joris Hébrard (redevenu maire du Pontet en 2023). En 2022, ce dernier avait été élu avec 670 voix d’avance seulement sur un candidat Nupes. Aly Diouara, enfin, dans une circonscription très à gauche, est promis à un combat fratricide, avec des probabilités élevées de surenchère antisioniste. Ce serait le simple prolongement de la direction indiquée par Jean-Luc Mélenchon lors des européennes.
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