Revue de presse

"Antiraciste ta mère !" (J.-P. Brighelli, causeur.fr , 28 av. 15)

Jean-Paul Brighelli, enseignant, essayiste, auteur notamment de "La Fabrique du crétin" (Gawsewitch, 2005) 29 avril 2015

"Ainsi donc, Valls s’émeut du racisme ambiant, et nous promet des cours d’antiracisme. Il a même débloqué pour cela 100 millions d’euros sur trois ans. Il y a des associations qui vont se gaver.

Baudrillard, avec l’humour qui le caractérisait, opéra jadis un rapprochement significatif entre SOS Baleines et SOS Racisme, l’un et l’autre ayant syntaxiquement (quand on la malmène, la langue se venge) la mission de sauver qui les baleines, qui le racisme [1].

Parce que l’antiracisme ne se décrète pas. Et il ne se prêche pas — on sait même à quel point le catéchisme anti-Shoah, répété trois ou quatre fois dans une scolarité, a eu des effets pervers dans certaines populations intellectuellement un peu fragiles. L’antiracisme ne peut naître que de l’apprentissage des Lumières. Mais les Lumières sont désormais optionnelles en classe de Cinquième.

[...] Imaginons donc un enseignement — nous y sommes — qui ferait d’un côté dans l’antiracisme explicite, et de l’autre rayerait Diderot et Voltaire des programmes (on garde Rousseau pour les raisons pédagogiques/pédagogistes expliquées la semaine dernière). Que croyez-vous qu’il arrivera ? C’est notre civilisation qui crèvera.

[...] Oui, lorsqu’on dit « antiracisme », chez les Khmers pédagos, comme disait jadis Laurent Lafforgue, on sous-entend le racisme dont sont victimes aujourd’hui les Musulmans (on garde parfois l’option « Juifs », mais pas toujours, et rarement pour souligner que le Grand Mufti de Jérusalem applaudissait la politique hitlérienne, et qu’il a fait des émules parmi ses coreligionnaires).
Rien sur le racisme anti-Blancs des Beurs et des Blacks, rien sur le racisme entre Noirs et Arabes (que développe très bien un article signé Balla Fofana édité sur l’un des blogs de Libé). Voire le racisme inter-Africains : depuis quinze ans, les Noirs musulmans massacrent les Noirs chrétiens ou animistes avec une constance admirable, de l’Ethiopie au Nigeria en passant par le Soudan ou le Kenya. Quant au racisme à l’œuvre entre Tutsis et Hutus (la « radio des mille collines » exhortaient à se débarrasser des cafards, un mot qui sonne un peu comme « cafre », le terme par lequel les suprématistes sud-africains désignaient les Noirs, au temps de l’apartheid), on le noie dans la responsabilité supposée de l’armée française.
Pourtant, les tueries inter-ethniques africaines ne sont pas forcément le résultat du colonialisme — et peut-être parfois celui de la décolonisation. Voir en Casamance.

C’est si vrai, au quotidien, que les 100 000 Comoriens installés à Marseille se gardent bien de se mêler de trop près aux 250 000 Musulmans d’origine maghrébine de la ville. Chacun chez soi, et les mosquées seront bien gardées. Dieu est amour. Et s’il est de bon ton pour un jeune Beur de sortir avec une Céfran hâtivement qualifiée de Gauloise (« tiens, fume ! »), il tolère mal que sa sœur en fasse autant avec un Souchien, comme ils disent élégamment : que le mot existe en dit long sur la tolérance des uns et des autres.

Spécifions pour ceux qui ne connaissent de la « cité phocéenne » que le Stade vélodrome et les sous-performances de l’OM : le « Marseillais de souche » est un composé de tous les peuples de Méditerranée, il a en lui de l’Italien, de l’Espagnol, du Catalan, de l’Arabe forcément (ceux du XVIIIème siècle), sans compter des apports de sang radicalement exogène et parfois même parisien.
Quant au Beur de service, il ignore la plupart du temps, les programmes d’Histoire étant ce qu’ils sont, qu’il a très peu de sang arabe (si tant est que cela signifie quelque chose) et beaucoup de sang turc, les Ottomans ayant contrôlé l’Afrique du Nord des siècles durant. Sans compter les Berbères, les Carthaginois, les Romains, les Vandales, les Espagnols et tutti quanti.

Mais si la Beurette susdite sort avec un kahlouche (NDLR : un noir), alors là, pas de quartier ! Touche pas à ma sœur, tu vas la salir. Et toi, tu vas me faire le plaisir de porter un voile, désormais, sinon on va croire que ma sœur est une salope.

Le problème, c’est l’incroyable ignorance de tous ces pauvres gens. L’Education nationale ayant renoncé à la fois à prendre le taureau par les cornes et à transmettre des savoirs cohérents depuis bientôt trois décennies, et Vallaud-Belkacem ayant décidé d’en rajouter une couche avec les Nouveaux Programmes de son Nouveau Collège, je prédis des frictions nouvelles, d’autres cimetières profanées, des églises, des synagogues et des mosquées incendiées, quelques meurtres aussi, l’art de la kalachnikov faisant chaque jour des progrès. Pas tout à fait la Troisième guerre mondiale, mais quelque chose qui ressemblera assez à une guerre civile.

Que suggérer ? Des infusions de Montesquieu et de Voltaire, du Traité de la Tolérance à Mahomet, mais aussi des pages de Condillac ou de Condorcet, des dialogues de Diderot, des mathématiques selon d’Alembert (bon, pas tout de suite, le fameux théorème n’est pas du niveau collège, mais réorganisons l’étude des maths de façon à arriver à d’Alembert — et au-delà), du libertinage selon Laclos et Sade, qui a écrit des choses percutantes « contre l’Être suprême », et quelques preuves sur la non-existence de Dieu au gré du curé Meslier ou d’Holbach… Allez, bon prince et dans un grand mouvement de respect pour l’autonomie professorale, je laisserai les plus pédagos insérer un peu de Rousseau dans cette anthologie de l’anti-bêtise — pour faire la tare. [...]"

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