« La gauche, la droite... et la laïcité », 8 fév. 14

André Henry : "Soyons ambitieux pour l’Education nationale !" (Colloque du CLR, 8 fév. 14)

André Henry, ancien ministre, ancien dirigeant syndical, au Colloque du CLR « La gauche, la droite... et la laïcité », 8 fév. 14. 10 février 2014

Mesdames et Messieurs, chers amis

Quand le temps est compté, il faut être sobre et clair. Je vais m’y efforcer.

Il est une vérité à laquelle nous adhérons tous : la grandeur d’un pays dépend d’abord des chances qu’il donne à sa jeunesse. L’école, le service public de l’Éducation Nationale représentent la volonté de la nation toute entière de remplir cette obligation. Obligation tout autant économique qu’intellectuelle, si l’on veut que la France maintienne son rang au niveau des grandes puissances mondiales, anciennes ou émergentes.

Mais instruire, éduquer ne sont pas des actes neutres. Ils reposent sur les valeurs républicaines, et, en premier lieu, sur la laïcité. Laïcité de l’école, laïcité de l’État. On me dit parfois : « Mais la laïcité est inscrite dans la Constitution…que faut-il de plus ? ». Eh bien, c’est simple, que la Constitution soit respectée. Et si nous poursuivons aujourd’hui le combat pour le respect de la laïcité, c’est qu’elle est sans cesse déformée, caricaturée, dévoyée, voire méprisée, sans que celles et ceux qui devraient en être les défenseurs naturels, réagissent avec la vigueur, l’engagement, l’ambition qui devraient être les leurs.

Ainsi, grands et petits accommodements, comme on dit au Québec, grandes et petites dérogations, deviennent progressivement des grandes et des petites lâchetés politiques à l’égard du principe républicain de laïcité.

Est-il besoin de rappeler le Concordat, anomalie séculaire, excessive exception dont le plus grand danger est de servir de référence pour d’autres exceptions ?

Est-il besoin de rappeler les accords « Lang-Cloupet » favorisant l’intrusion religieuse dans les diplômes nationaux ?

Est-il besoin de rappeler que la loi Carle, qui oblige les Communes à financer la scolarisation de leurs enfants dans les écoles confessionnelles d’une autre commune, porte en germe l’idée du chèque-éducation individuel tant vanté par les tenants de l’enseignement privé ? Qui ne voit que cette démarche tend à détruire la notion même d’Éducation Nationale c’est-à-dire du devoir d’Etat d’assurer l’éducation et l’instruction de tous les enfants ?

Est-il besoin de rappeler les aggravations successives de la loi Debré de 1959 portant atteinte au principe républicain « à école publique fonds publics, à école privée fonds privés » ? Et plus encore le financement des activités extra-scolaires liées aux nouveaux rythmes d’apprentissage dans les écoles confessionnelles ?

Celles-ci ne sont pas obligées par la Charte de la laïcité. Elles ne sont pas astreintes non plus aux nouveaux rythmes, mais elles percevraient cependant les crédits qui leur sont attachés ! Et ces activités seront-elles à caractère propre ? Je le dis tout net : ce n’est pas acceptable.

Je sais bien que les conditions de la vie politique sont complexes, mais sur ces sujets comme sur celui des cantines scolaires par exemple, à un moment, il faut savoir dire non.

De même, on peut marquer notre surprise quand un syndicat de l’Éducation nationale qui se prétend laïque et revendique d’être majoritaire, interprète le récent avis du Conseil d’État sur l’accompagnement des sorties scolaires, de la manière la plus favorable aux tenants des signes ostentatoires. J’aimerais me tromper, mais si non, c’est bien d’une laïcité ouverte qu’il s’agit : ouverte sur toutes les compromissions.

Soyons vigilants. Ne lâchons rien. C’est par manque de courage politique que les démocraties vacillent.

Et c’est par un langage ferme et sincère que je veux m’adresser à notre ministre Vincent PEILLON.

Je crois savoir les difficultés de sa tâche. Et je reconnais qu’en construisant et en diffusant la Charte de la laïcité, il a utilement œuvré pour redonner à l’école de la République l’ambition d’apprendre aux jeunes le sens et la portée de l’esprit laïque, fondement de la République. Je reconnais aussi qu’en construisant et en imposant, contre tous les atermoiements et les corporatismes exacerbés, les nouveaux rythmes scolaires, il a corrigé la stupidité de la semaine de quatre jours. Celle-ci, trop facilement acceptée il y a cinq ans, avait pourtant été condamnée dès l’origine par tous les médecins, tous les chrono-biologistes comme contraire aux rythmes de vie des enfants. Je reconnais enfin que Vincent PEILLON a eu l’audace – car c’en est une – de créer sans délai, les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation. Car, l’a-t-on oublié…le gouvernement de MM. FILLON et SARKOZY avait purement et simplement supprimé la formation des enseignants. C’était là un acte politique honteux, heureusement réparé.

C’est pourquoi nous devons être exigeants. Exigeants, parce que c’est à l’école première, maternelle et primaire que tout commence. Exigeants aussi, parce que l’esprit laïque, comme le principe laïque ne sont pas innés, lis s’apprennent. Et ils s’apprennent à l’école.

Veillons à ne pas trop diluer l’enseignement de la morale laïque ou l’enseignement laïque de la morale, dans diverses matières. L’expérience a déjà eu lieu et ce fut un échec.

Veillons à intégrer dans les programmes solaires et par conséquent dans ceux des Ecoles supérieures de formation des maîtres, l’enseignement de l’article premier de la Constitution. Qu’est-ce qu’une République indivisible ? Qu’est-ce qu’une République démocratique ? Qu’est-ce qu’une République sociale ? Et qu’est-ce qu’une République laïque ? La Charte est là, adaptable à tous les âges de l’enfance et de l’adolescence pour y répondre.

Apprendre la laïcité, c’est d’abord enseigner la différence entre la liberté de conscience et la liberté religieuse, mais c’est surtout promouvoir la culture de l’émancipation et aider les jeunes à se l’approprier, contre les illusions identitaires à la mode Buisson-Sarkozy. Apprendre la laïcité, à partir de ce principe, que je considère comme universaliste, c’est donner sens aux valeurs constitutionnelles de la République et en premier lieu à l’égalité.

Chacun sait combien les enfants sont très tôt sensibles aux injustices et aux inégalités. Égalité des droits, égalité filles-garçons, égalité femmes-hommes. Ce sont là des clés de citoyenneté. Des clés d’autant plus essentielles, face à la scandaleuse instrumentalisation de l’école et des enfants eux-mêmes, par les ultras conservateurs et les fanatiques anti-laïques de tous bords.

Veillons en conséquence à doter nos nouvelles Écoles supérieures du professorat et de l’Éducation des moyens utiles pour acquérir l’art pédagogique. Car les enseignants ne sont pas seulement des pourvoyeurs de connaissances mais des passeurs, des transmetteurs. Ils ont pour mission, dans une école qui évolue sans cesse, d’apprendre aux enfants et aux adolescents, non seulement les bases incontournables de l’instruction, mais aussi les fondamentaux de la citoyenneté, le vivre ensemble. D’apprendre à apprendre les méthodes et les démarches qui conduiront les jeunes, aidés par les enseignants, à découvrir par eux-mêmes le savoir, en utilisant utilement les outils à leur disposition.

Plus encore qu’hier, cette nécessité s’impose quand la République est confrontée à une métamorphose sociologique sans précédent, avec la révolution de l’Internet, qui bouleverse les codes, introduit l’instantanéité, quand, à l’école, la transmission des savoirs et des valeurs exige une temporalité différente, celle de la réflexion.
Et il me semble évident que l’esprit laïque doit irriguer les programmes de formation des maîtres. Car là aussi, la laïcité s’apprend. La loi du 9 décembre 1905 est là, comme un phare, un repère républicain. Sa place est au cœur de ces programmes de formation.

Ce sont là Mesdames et Messieurs des ambitions de gauche, des ambitions laïques, des ambitions militantes, sans doute, mais profondément ancrées dans la conviction que le principe de laïcité est une chance. Une chance pour la France, mais aussi une chance pour la paix, comme un étendard de liberté, face à tous les dogmes contraignants.

Alors, je sais bien que d’aucuns, et parfois à gauche, nous reprochent d’en faire trop et de « prêcher » la laïcité comme un concept sacré.

Sacré ! Si l’on veut évoquer le sacré, je n’y suis pas opposé. Le sacré, ce n’est ni l’invisible, ni l’irrationnel, c’est la puissance créatrice de l’Homme, sa volonté de transcender sa propre lumière, pour en créer une autre, toujours plus haute et plus pure. Cette transcendance laïque n’est autre que la force d’émancipation de l’espèce humaine dont l’école est à la fois l’illustration et le socle républicain.



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