Note de lecture

Amoz Oz : Ultime salve contre le fanatisme avant de mourir (P. Kessel)

par Patrick Kessel, président d’honneur du Comité Laïcité République. 7 janvier 2019

Amos Oz, Chers fanatiques. Trois réflexions, éd. Gallimard, 2018, 128 p.

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Une dernière mitraille contre l’obscurantisme et la haine avant de nous quitter pour toujours. Amos Oz, l’écrivain israélien, décédé le 28 décembre 2018, aura jusqu’où bout mené la guerre contre le fanatisme aux formes multiples.

Dans son dernier essai, Chers Fanatiques (Gallimard, sep. 2018), l’écrivain et essayiste, auteur d’une vingtaine de livres traduits dans le monde entier, voix politique du Mouvement pour la paix, et qui se présentait non sans humour comme "expert en fanatisme comparé", lançait un ultime appel à combattre ce "monstre hideux".

"Le fanatisme est bien antérieur à l’islam, au christianisme, au judaïsme et à toutes les autres idéologies universelles. C’est une constante de la nature humaine", écrit-il. Et de citer "le fanatisme de l’islam radical", les "déferlantes de fondamentalismes religieux chrétiens envahissant différents points du globe ( les États-Unis, la Russie et certains pays d’Europe orientale), le rôle du fondamentalisme religieux juif en Israël, le nationalisme séparatiste et xénophobe en Europe de l’Ouest de l’Est, la montée du racisme qui affecte des sociétés de plus en plus nombreuses".

Mais il existe "des formes de fanatisme moins flagrantes, autour de nous et parfois en nous, aux apparences plus paisibles mais porteuses de sectarisme", nous dit l’auteur, qui évoque, parmi d’autres exemples, le comportement agressif de certains non-fumeurs, de végétariens et "autres végan", de certains militants politiques agressifs, en l’occurrence à son égard dès lors que sa pensée se voulait autonome. Des critiques qui se transforment en intolérances, en sectarisme, en formes collectives d’embrigadement. Dans le même ordre d’idées, l’auteur dénonce l’ "idéalisation de leaders religieux et politiques désormais ultra-médiatisés" et la fascination qu’exercent les stars du show-business et du sport. Tout cela contribue à "l’infantilisation croissante des populations", berceau du fanatisme.

Pour autant, "la première responsabilité qui nous incombe est de savoir distinguer entre les différents degrés du mal", écrit Amos Oz, et donc refuser le relativisme qui conduit à juger que tout vaut tout et interdit de désigner l’ennemi par son nom. "Ceux qui refusent ou sont incapables de catégoriser le mal peuvent en devenir esclaves. Ceux qui mettent dans le même panier l’apartheid, le colonialisme, Daech, le sionisme, le politiquement incorrect, les chambres à gaz, le sexisme, les plus grandes fortunes de la planète et la pollution servent le mal par leur refus même de le catégoriser". Il est clair qu’à maints égards nos sociétés sont engluées dans ce relativisme qui fait le lit de la confusion. En témoigne la difficulté en France, à affirmer que la laïcité s’applique à toutes les religions, islam compris.

Le combat contre le fanatisme est une nécessité pour nos démocraties. Mais "la maladie débute souvent par des symptômes anodins au sein de la famille" et se "développe par le besoin de vivre par procuration l’existence d’un prophète", poursuit l’auteur. La question que pose le religieux à la démocratie n’est pas de l’ordre de la foi mais de la soumission de l’individu à un imaginaire du monde, unique et omniprésent, et le plus souvent à un ordre social.

La laïcité, en France, par la séparation des églises et de l’État, préserve en principe des dangers qui pèsent sur l’embrigadement des consciences. Encore faut-il que les principes de la loi, fondements de la République, soient appliqués réellement.

Mais au-delà des institutions laïques qu’il nous faut plus que jamais défendre, il convient aussi d’évoquer cet inlassable travail sur soi pour s’immuniser contre le fanatisme. C’est le testament philosophique sur lequel Amos Oz nous invite à méditer : vivre avec le secret des questions en suspens, avec le charme des situations non résolues, vivre "non pas une lumière mais plusieurs".

Les membres du jury du Nobel n’auront probablement pas assez médité, ou pas apprécié cette sagesse qui considère le doute et les erreurs humaines comme une composante essentielle de la liberté, sans quoi, ils n’auraient pas laissé partir Amos Oz sans lui décerner le prix Nobel de littérature.

Patrick Kessel


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