Alain Seksig, Secrétaire général du Conseil des sages de la laïcité 18 décembre 2024
Dans notre pays, le lien entre l’École, la République et la laïcité est consubstantiel. Dès les années 1880, les lois Ferry et Goblet assurent le caractère laïque des programmes d’enseignement et des personnels qui les servent. Avant même la République, avec vingt ans d’avance sur la loi de séparation des Églises et de l’État, promulguée le 9 décembre 1905, l’École est laïque.
Trente ans plus tard, les circulaires de 1936 et 1937 de Jean Zay, ministre du Front Populaire, étaient on ne peut plus claires : « Tout a été fait dans ces dernières années pour mettre à la portée de ceux qui s’en montrent dignes les moyens de s’élever intellectuellement. Il convient qu’une expérience d’un si puissant intérêt social se développe dans la sérénité. Ceux qui voudraient la troubler n’ont pas leur place dans les écoles qui doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas. » Quelques mois plus tard, Jean Zay précisait à l’intention des chefs d’établissement : « L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance. »
Et puis un demi-siècle plus tard, en 1989, il y eut l’affaire de Creil, que vous connaissez tous et qui devait déboucher, après beaucoup d’atermoiements, sur la loi du 15 mars 2004 d’interdictions des signes et tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
Notre ami Philippe Guittet qui était alors Secrétaire national du principal syndicat des principaux de collèges et des proviseurs de lycée (SNPDEN) a d’ailleurs joué un rôle essentiel dans l’avènement de cette loi.
Cette loi était d’autant plus attendue que les chefs d’établissements avaient majoritairement le sentiment d’être livrés à eux-mêmes, de se heurter à l’absence de cadre qui vienne légitimer leur action. Concrètement ils ne savaient plus s’ils pouvaient dire oui ou s’ils devaient dire non au port de signes et tenues d’appartenance religieuse. La loi du 15 mars 2004 dont nous avons célébré les 20 ans cette année apportera cette clarification.
Encore la loi ne réglait-elle pas tous les conflits qui se sont fait jour, au fil du temps, dans nos établissements, tant dans le cadre des enseignements disciplinaires eux-mêmes que dans celui de la vie scolaire.
Il en a confié la présidence à la sociologue Dominique Schnapper, qui fut également membre du Conseil Constitutionnel. Le Conseil des sages (CSL) est tout à la fois une instance de conseil et d’orientation pour la politique éducative en faveur de la laïcité et les principes républicains, un organe de production et d’élaboration de ressources et une instance de formation, notamment aux côtés de l’institut de formation des cadres de l’EN (l’IH2EF) et des principales directions du ministère.
On connaît ses travaux, pour certains consignés dans le « Guide républicain », conçu avec l’Inspection générale et pour ce qui est du vademecum, avec la Dgesco et la DAJ. On peut les retrouver sur le site du ministère dans l’espace dédié au Conseil des sages, ainsi d’ailleurs qu’un bilan succinct de l’activité du Conseil. Celui-ci a aussi accompagné les missions confiées en 2021 par le gouvernement, d’une part à Jean-Pierre Obin, sur la formation des enseignants aux principes républicains, et d’autre part, à Isabelle de Mecquenem, professeure de philosophie, membre du CSL, et au préfet Pierre Besnard, sur la formation à la laïcité, désormais obligatoire pour tous les agents de la fonction publique.
Cet effort de formation axé sur la laïcité et les principes républicains, nous paraît d’autant plus nécessaire que, depuis déjà de nombreuses années, une partie croissante de nos élèves manifeste de la défiance voire de l’hostilité vis-à-vis de l’Ecole, rejette la laïcité qu’elle perçoit comme une abstraction, voire une oppression.
Plus préoccupant, un sondage IFOP pour la Fondation Jean Jaurès réalisé en décembre 2020, soit deux mois après le terrible assassinat de Samuel Paty, révélait déjà qu’un quart des professeurs reconnaissait s’autocensurer régulièrement en classe sur les sujets liés à la laïcité, à la liberté d’expression et aux religions en général, afin d’éviter les situations potentiellement litigieuses et les réactions véhémentes de certains élèves auxquelles ils s’avouent incapables de répondre.
D’autres sondages depuis et même une étude du SNPDEN ont confirmé, ces dernières années, cette tendance à l’autocensure.
Nous avons certes des raisons d’être inquiets comme le montre encore la violence exercée l’année dernière contre le proviseur du lycée Maurice Ravel à Paris ou à l’endroit de cette professeure d’un lycée de Tourcoing qui avaient, l’un comme l’autre, simplement demandé à des élèves, d’ôter leur voile dans l’enceinte de l’établissement et, ce faisant, de respecter la loi. Voici quatre ans, le 13 octobre 2020, le professeur des universités Bernard Rougier l’un de nos plus fins analystes du danger islamiste, expliquait aux référents académiques Valeurs de la République présents dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne que « la France républicaine et son École sont les cibles privilégiées de l’islamisme ». Trois jours plus tard, le 16 octobre 2020, le professeur Samuel Paty était assassiné dans les conditions que chacun sait. Suivra deux ans plus tard l’assassinat de Dominique Bernard à Arras.
Le meilleur hommage que nous pouvons rendre à nos collègues sauvagement assassinés en raison de leur profession, est précisément de faire rempart au découragement, à la peur et au renoncement, qui ne doivent pas gagner nos salles de classe. C’est de résister aux tentatives d’intimidation, de sortir du déni et de nous montrer collectivement plus forts que la volonté d’imposer la peur.
C’est de cette manière que l’Ecole retrouvera et inspirera pleinement confiance en elle, qu’elle gagnera en cohérence et en cohésion. A la condition, il est vrai, qu’au plus haut niveau de l’institution, la même impulsion soit donnée. C’est aussi cela la leçon de Creil en 1989 : les professeurs et les chefs d’établissement doivent pouvoir s’adosser à l’institution, sentir cette confiance pour l’insuffler à leur tour.
La tâche est loin d’être achevée.
Comité Laïcité République
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