Vice-président du CLR, ex-président de la mission Laïcité de l’ex-Haut Conseil à l’Intégration (HCI). 19 mars 2015
Voici quelques jours, comme je l’ai fait souvent ces deux derniers mois depuis les funestes jours de janvier à jamais gravés dans nos mémoires, je participais à un moment d’échange et de réflexion avec les professeurs d’un lycée parisien. Le thème : comment faire vivre la laïcité et les valeurs de la République dans son école même ?
Les plus jeunes paraissaient un peu surpris, pour certains même presque envieux, lorsque je leur expliquais qu’à notre entrée dans la carrière, en 1970, nous ne parlions jamais de laïcité, pas plus dans les salles de professeurs que dans nos discussions de bistrot. La question nous paraissait depuis longtemps réglée même si nous descendions rituellement dans la rue pour protester contre le financement public de l’école privée. Nous ne parlions jamais de laïcité, sans doute parce qu’au fond, ce principe de concorde était simplement admis, reconnu, et bien compris du plus grand nombre.
Il n’en va plus de même aujourd’hui et après 25 ans -un quart de siècle désormais !- la question hante en permanence le débat public et nos conversations, sur fond de confusion, de peur, de renoncement, quand ce n’est pas de trahisons généralisées.
Quand, dans ses circulaires de 1936 et 1937, le ministre de l’éducation nationale et des beaux-arts du Front populaire, Jean Zay, exhortait les professeurs à tenir tout prosélytisme hors les murs de l’école, "qui doit rester cet asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas", leur demandant d’y veiller "avec une fermeté sans défaillance", c’est bien souvent le discours et plus encore l’attitude inverses que nous avons observés chez ses lointains successeurs et ministres récents, à quelques notables exceptions près, tels Vincent Peillon ou encore Luc Chatel.
C’est en effet à une défaillance sans fermeté que nous avons eu le plus souvent affaire. Ce fut le cas en 1989, moment "fondateur" si l’on peut dire, lors de la première affaire (médiatisée) de voiles en collège, avec un ministre de l’Education nationale qui se défausse sur le Conseil d’État en lieu et place de la décision politique qu’il lui revenait d’assumer. On dit, ici ou là, que ce dernier aurait en privé reconnu avoir alors commis une erreur. Que ne le dit-il publiquement ? Faute avouée pourrait faire progresser…
À droite aussi, la confusion est de mise. Pour ne prendre qu’un exemple, François Fillon, alors ministre de l’éducation nationale, refusait en 2004 la diffusion du rapport Obin et expliquait déjà que les mères voilées pouvaient accompagner des sorties scolaires. Plus près de nous, en 2010, devenu Premier ministre, il accueillait d’un haussement d’épaules la proposition de l’ex-Haut Conseil à l’intégration d’interdire les manifestations religieuses sur la voie publique "pour des motifs de sécurité, tranquillité, salubrité et dignité humaine", en un mot, pour faire respecter l’ordre public. Il a fallu, qu’un an plus tard Marine Le Pen s’empare de la question des prières de rue pour que, dans l’urgence, on se décide alors à considérer le problème.
L’incapacité de nombre de nos responsables politiques, de gauche comme de droite, à anticiper les problèmes, ne lasse d’interroger et de consterner. On ne cesse de nous dire : "N’inventez pas des problèmes qui n’existent pas" ou encore, variante : "Nous n’allons tout de même pas légiférer pour deux ou trois tapis de prière dans une salle de réunion d’une seule université !" En 1989 aussi, on nous disait que deux fillettes voilées, tout de même, n’allaient pas mettre la République en péril. On connaît la suite…
Et, quand on se montre incapable de régler des problèmes d’apparence anodine mais qui entretiennent de sérieuses tensions et interrogations, pense-t-on vraiment qu’on peut affronter les grands problèmesque nous exposait à l’instant André Gérin ?
On ne cesse de nous dire qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre l’attitude responsable de la majorité de nos concitoyens de confession musulmane et le terrorisme islamiste. Oui bien sûr, sans conteste. Mais qui en réalité pratique l’amalgame à grande échelle sinon ceux-là même qui tiennent les discours et comportement antirépublicains de militants intégristes pour de banales expressions, des signes anodins de la foi religieuse de citoyens tranquillement pieux ? Faisant fi de la signification même du voile, les bien-pensants de la "laïcité ouverte" nous accusent de vouloir exclure les étudiantes voilées de l’université, les mères voilées des sorties scolaires, les nounous voilées des crèches. Ce sont les mêmes qui militèrent et militent toujours contre la loi du 15 mars 2004. Mais, avec le voile, c’est bien l’ensemble des signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, que nous voulons voir exclus de ces lieux, non les personnes qui les portent dès lors qu’elles sont à même d’opérer cette distinction des espaces différents. La ministre des Droits de la Femme, Pascale Boistard, que je veux saluer ici, n’a pas dit autre chose.
Certes, toutes les femmes voilées ne sont pas terroristes mais toutes les femmes terroristes et toutes les épouses de terroristes sont voilées.
Aujourd’hui, aux dires de la ministre de l’éducation nationale, "accepter les mamans voilées pour encadrer les sorties scolaires aux côtés d’enseignants de l’école publique doit être la règle, les refuser, l’exception".
Encore une fois, cela revient à laisser les directrices et directeurs d’école se débrouiller seuls. Quand les juristes eux-mêmes divergent sur l’interprétation des lois et règlements - pas moins de cinq jugements différents pour Baby-Loup - ce serait aux chefs d’établissements de faire preuve de discernement et de reconnaître le moment où prosélytisme il y a ! Ajoutez à cela le maintien affirmé des dispositions de la circulaire Chatel de 2012 prônant, dans ce cas de figure, la neutralité religieuse des parents d’élèves, et chacun perçoit que la confusion est à son comble ! Mais l’assurance de qui croit-on conforter, notamment dans les quartiers populaires, avec de telles prises de position ? L’autorité de l’école, vraiment ? Évoquée dans les discours de façade, elle est ici sapée dans les faits ! Les personnels ne peuvent s’adosser à une parole institutionnelle claire. Ils ne se sentent pas vraiment soutenus.
Autre exemple concernant l’enseignement supérieur : les étudiants des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espé) qui se destinent au métier de professeur peuvent, durant le temps de leur formation, hors période de stage pratique en établissement scolaire -encore heureux !- arborer tous les signes d’appartenance religieuse qu’ils souhaitent. Ces étudiants seront pourtant, au terme de leur formation, évalués sur leur capacité à transmettre les valeurs de la République. Une amie, à présent formatrice en Espé après avoir longtemps exercé à l’Iufm de Créteil, me disait, fin janvier, que parmi les quelques enseignants de Seine-Saint-Denis qui ont refusé d’organiser la minute de silence dans leur classe se trouvaient d’anciens étudiants de l’Iufm qui affichaient en permanence leur appartenance religieuse durant leur formation !
En 2003 pourtant, une note de la direction des affaires juridiques enjoignait les directeurs d’Iufm à inscrire un article dans le règlement intérieur de leur établissement pour affirmer l’interdiction des signes d’appartenance religieuse dans le cadre de la formation. Un pas en avant, deux pas en arrière !...
Les valeurs de la République, il en est beaucoup question à présent et le Premier ministre et la ministre de l’éducation nationale ont initié une "grande mobilisation de l’école" sur ce vaste chantier. S’il n’est pas question de bouder son plaisir, force est de constater, là encore, que confusion et incohérence vont bon train.
À titre d’exemple, figurent sur une liste d’intervenants potentiels diffusée dans les académies par le ministère, aussi bien notre ami Henri Pena-Ruiz que Jean Baubérot qui, on le sait sont loin de partager les mêmes vues sur la laïcité. Encore les placerait-on à la même tribune pour des échanges contradictoires, mais imagine-t-on l’incohérence qu’il y aurait à faire intervenir l’un dans une académie et l’autre dans une autre selon l’inclination de son recteur ?
Plus encore, sont aussi présentés comme intervenants possibles, les deux auteurs du livre "La laïcité au risque de l’autre" (éditions de l’Aube, 2014). Leur propos s’inscrit pourtant dans le droit fil du rapport sur l’intégration, remis en 2013 au premier ministre Ayrault et écarté par le gouvernement en raison de son penchant communautariste et notamment de sa présentation de la loi du 15 mars 2004 comme liberticide ! Diffuser semblable discours dans les sessions de formation de l’Education nationale tiendrait à tout le moins de l’inconséquence.
Nous pouvions espérer en avoir durablement fini avec le déni, le refus de dire ce que l’on voit et, plus encore, le refus de voir ce que l’on voit donc parlait Péguy. Et voici que "les escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des communautaristes et des racistes" pour le dire comme Charb qui a donné ce titre à son livre à paraître – faut-il le rappeler, à titre posthume – tiennent à nouveau le haut du pavé. Parmi eux, écœurement suprême, certains de ceux qui – tel le PCF – étaient présents aux obsèques de Charb. Il faut lire à cet égard la forte tribune de Caroline Fourest : "Ces progressistes qui crachent sur les morts du 7 janvier". Contre la veulerie, la lâcheté et le renoncement, la lucidité et le courage – les deux derniers mots du rapport Obin – doivent reprendre le dessus.
Oui, plus que jamais la laïcité ! Plus que jamais la République laïque !
Lire aussi Colloque du CLR « L’après-janvier : plus que jamais la République laïque » (Paris, 14 mars 15) (note du CLR).
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