“Alain Morvan L’intransigeant de la laïcité” (Le Monde, 24 mars 07)

mars 2007

"Dans son bureau, entouré de ses plus proches collaborateurs, le recteur encaisse. "L’épreuve est très cruelle." Il balaie du regard les lieux. "Tous mes repères sont là depuis des années, il va falloir tout reconstruire." Après quatre ans et demi à la tête du rectorat de Lyon, Alain Morvan quitte ses fonctions, limogé en conseil des ministres, mercredi 21 mars. Officiellement coupable de n’avoir pas respecté son devoir de réserve.

L’universitaire, spécialiste de littérature anglaise et directeur de deux collections aux Presses universitaires de France, va retrouver sa chaire de Paris-III. Depuis le 16 mars, l’homme savait son destin scellé. Convoqué au ministère de l’éducation nationale, le directeur de cabinet du ministre lui avait annoncé son congé. "Ils m’ont fait une dernière vacherie en me proposant de consulter mon dossier, comme si j’étais un délinquant", confie Alain Morvan. "I will spend more time with my family", ironise le très anglophile fonctionnaire, avec son air pince-sans-rire.

Derrière son style très british, l’ex-recteur de Lyon, fils d’un inspecteur de l’éducation nationale, cache un personnage inclassable et surtout incontrôlable. "Je n’ai jamais croisé quelqu’un d’aussi paradoxal", dit de lui Philippe Meirieu qui, lorsqu’il était directeur de l’IUFM de Lyon, l’a fréquenté plusieurs années "sans la moindre anicroche". Pour Emmanuel Guichardaz, secrétaire de la FSU du Rhône, l’homme est "une personnalité complexe".

A 62 ans, après une carrière sans histoire passée à l’université Paris-III, puis à la direction des rectorats de Clermont-Ferrand et d’Amiens, ponctué par un bref passage au cabinet de François Bayrou au ministère de l’éducation nationale, l’universitaire s’est mué en rebelle. "Une conversion tardive", reconnaît cet homme à l’allure raide, mi-Breton, mi-Lorrain, né en Ardèche "quatorze jours après la rafle des enfants d’Izieu".

Depuis quelques semaines, même son physique a changé. Il a troqué ses lunettes d’universitaire pour des montures branchées en aluminium. La mèche de cheveux, d’habitude impeccablement plaquée, s’est allongée. Surtout sa parole s’est affranchie de toutes règles hiérarchiques. Que s’est-il passé ?

La métamorphose remonte à l’année 2004. Bruno Gollnisch, numéro deux du Front national et professeur à l’université Lyon-III, tient des propos publics révisionnistes sur la Shoah. La direction de Lyon-III hésite, tergiverse sur les sanctions à prendre.
Alain Morvan prend la tête d’un combat qu’il ne lâchera plus contre le négationnisme et l’extrême droite qui gangrène l’université lyonnaise depuis vingt ans. Il prévient Guy Lavorel, le président de l’université, que s’il n’agit pas "contre ces finasseries cousues de fil brun", il se substituera à lui.
Quelques semaines plus tard, le recteur de Lyon choisit définitivement son camp : il témoigne devant la 17e chambre correctionnelle de Paris en faveur de Marc Jampy, le président de l’association Hippocampe, fer de lance de la lutte contre le négationnisme, accusé de diffamation envers un ancien directeur de l’université.

Sa hiérarchie lui indiquera, assure-t-il, qu’il n’a pas "vocation à jouer les Don Quichotte". Malgré les avertissements, il poursuit sa bataille contre ceux qu’il nomme "les affairistes de Lyon-III", plusieurs anciens dirigeants de l’université accusés de malversations. "J’ai mené une opération "Mains propres"", se félicite-t-il.

Jugées courageuses, ses prises de position lui valent le soutien des étudiants et des associations antiracistes, et lui assurent une place de choix dans les médias. Le recteur prend goût à ce rôle d’aiguillon. Mais l’affaire Al Kindi, du nom de cet établissement scolaire musulman qui a fini par ouvrir à Décines, souligne les limites de sa posture.

Sous couvert d’hygiène publique et de sécurité, le recteur de Lyon, qui instruit le dossier technique de l’affaire, s’opposera par trois fois à l’ouverture du collège-lycée. Des musulmans viendront manifester leur colère sous ses fenêtres et réclamer sa démission. "Tentatives d’intimidation" menées par des "intégristes" et des "islamistes", se défend Alain Morvan, qui dénonce "un complot contre la République".

Des syndicalistes enseignants de la FSU du Rhône déplorent depuis longtemps son "autoritarisme". Le syndicat n’aperçoit, dans le projet Al Kindi, "aucun élément" de nature à corroborer des soupçons d’extrémisme. Au nom de la laïcité et des principes républicains pourtant, Alain Morvan continue de pourfendre, dans cette affaire, ces politiques qui encouragent selon lui le communautarisme et "veulent vendre la République à la découpe". Incapable d’engager un dialogue avec les associations musulmanes, il se radicalise. On l’accuse d’islamophobie, il se défend obstinément de "toute attitude antireligieuse".

Convoqué en août 2006 place Beauvau par le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy qui lui signifie que son combat est perdu d’avance, Alain Morvan refuse de plier. La suite est connue. Il est lâché par sa propre hiérarchie. Tout au long de l’affaire Al Kindi, il a eu le sentiment de se trouver face à une citadelle - le ministère de l’intérieur - qui a, selon lui, la prétention de gouverner l’Etat. "J’ai eu la faiblesse de croire qu’il y avait un ministère de l’éducation nationale. Mais en fait le pouvoir est ailleurs." Depuis sa conférence de presse du 21 mars, Alain Morvan a un ennemi juré : Nicolas Sarkozy. S’il s’est évertué à ne pas le citer, sa déclaration - "Le recteur de Lyon a été kärchérisé" - ne laisse aucune place au doute. Face à son franc-parler et à ses foucades, ses détracteurs le soupçonnent d’être un protégé de Jacques Chirac avec lequel il serait lié. "C’est un fantasme", dit-il. On le présente comme un ancien membre du Club de l’horloge, proche de l’extrême droite. "C’est totalement faux ! De la calomnie pure." Est-il de droite ? Le recteur concède avoir "eu de la sympathie pour le RPR au début des années 1990". Il reconnaît avoir été adhérent pendant trois ans du parti gaulliste. "J’étais un cotisant, rien de plus. J’ai sans doute été à droite, mais je ne le suis plus."

Il explique qu’il a acquis au fil de l’expérience et des contraintes de la vie publique "une mystique de la fonction publique indépendante" au service de l’intérêt général. "Je suis un fonctionnaire loyal." Les responsables socialistes lyonnais ne disent pas le contraire. Gérard Collomb, le maire de Lyon, a tenté jusqu’au dernier moment de plaider à Paris la cause de M. Morvan. Jean-Jack Queyranne, le président de région, salue "la très haute stature intellectuelle et l’élégance de ce défenseur de la laïcité et de la fonction publique".

Amertume ? L’ancien recteur se présente comme un simple républicain qui n’a connu que "deux bons ministres, Jack Lang et François Bayrou". Pour dépasser l’épreuve, l’universitaire va écrire un livre. "Pas pour cracher mon venin, mais pour rappeler l’Etat à son devoir de vigilance." "

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