Revue de presse

"Alain Finkielkraut, un Immortel contesté" (Le Monde, 12 av. 14)

12 avril 2014

"Alain Finkielkraut a été élu jeudi 10 avril à l’Académie française, au premier tour, par 16 voix sur 28 – 3 voix sont allées à Gérard de Cortanze, une à Athanase Vantchev de Thracy. Huit bulletins ont été barrés d’une croix en signe de désaveu, après une polémique qui a échauffé les esprits.

Il y a eu a-t-on appris des « éclats ». Quelques académiciens, dont une académicienne, ont fait savoir le 3 avril qu’ils désapprouvaient sa candidature, jugeant le philosophe trop « réactionnaire », parlant d’une personnalité « clivante » – un adjectif pourtant absent du dictionnaire de l’Académie. L’un d’entre eux est allé jusqu’à dire que c’était le lepénisme qui entrait sous la Coupole.

Aussitôt, plusieurs des « Immortels » réagissaient avec force. L’écrivain Jean d’Ormesson, selon Le Figaro du 3 avril, faisait savoir son sentiment : « Si Finkielkraut n’est pas élu jeudi, je ne mettrai plus les pieds à l’Académie. » Une déclaration aussitôt démentie par l’intéressé.

Revenant sur ces faits, l’historien de l’art Jean Clair, académicien depuis 2008, précise : « Quelques académiciens, comme Pierre Nora, Michel Déon, Max Gallo et même Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie, ont laissé entendre qu’ils soutenaient aussi Finkielkraut. Il faut dire qu’en écoutant ces critiques, nous doutions de la santé morale et mentale de nos confrères. » Jean Clair trouve en effet qu’accuser Alain Finkielkraut d’être « un fourrier du FN » est « une ignominie » , quand on sait que le père de celui-ci, juif polonais, a été déporté à Auschwitz, avant d’émigrer en France.

Comment a réagi l’intéressé ? D’après la philosophe Elisabeth de Fontenay, une de ses amies, « il est très content, très fier ». Elle précise : « C’est formidable qu’il entre à l’Académie française, lui, un enfant de l’école de la République, naturalisé. » Elle reconnaît qu’« elle n’est pas toujours d’accord avec lui » et « ne partage pas toutes ses idées sur le déclin de la société française et surtout sur l’importance de l’écrivain Renaud Camus » – ce dernier, qui a appelé à voter Marine Le Pen en 2012, a été condamné jeudi pour provocation à la haine ou à la violence. Mais elle trouve « honteux » d’assimiler sa pensée à du lepénisme.

Alain Finkielkraut lui-même a déclaré sur France Info, après son élection : « Il est tout à fait normal d’avoir des opposants. Je regrette que cette opposition ait pris la forme d’une campagne politique et qu’on m’ait traité de réactionnaire. Parce que je ne vois pas au nom de quel progressisme je pourrais être classé au nom de la réaction. » Il a poursuivi : « Il y a cinquante ans, soixante ans peut-être, on se serait offusqué dans certains cercles de l’Académie contre un enfant de juif polonais avec un nom à coucher dehors. Aujourd’hui, on me reproche mon identité nationale. »

Fils d’immigré, le philosophe de 64 ans s’inquiète des ratés de l’immigration et de l’intégration dans L’Identité malheureuse (Stock, 2013). Il défend la thèse d’un « refus d’intégration » gagnant la jeunesse française, ce qui a suscité un débat animé, sur un plateau télévisé, en février dernier, avec Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur – ce dernier lui reproche son « absence de confiance dans ce pays » .

Sa propre histoire est pourtant un magnifique exemple de l’intégration à la française. Naturalisé à l’âge de un an, fils d’un maroquinier, il va suivre une belle scolarité, qui le mène en 1972 à l’agrégation de lettres modernes. En 1976, il enseigne à l’université de Berkeley, au département de littérature française. En 1989, il devient professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique.

En même temps, il écrit. Beaucoup. Avec La Défaite de la pensée (Gallimard, 1987), il commence son grand réquisitoire sur le déclin de la culture française, qui serait menacée par la culture de masse, le jeunisme, le multiculturalisme, la perte de l’écrit. Selon lui, nous entrons dans une époque où « un clip vaut Shakespeare », « un feuilleton vaut Homère », la « vidéosphère » a remplacé l’écriture, le relativisme aplatit toute hiérarchie de valeurs.

Il continue cette plainte « antimoderne » avec Le Mécontemporain (Gallimard, 1992) consacré à Charles Péguy, où il s’en prend « au modèle cumulatif des sciences et des techniques », qui s’étendrait désormais « à tous les secteurs de l’existence » au nom du « progrès », jusqu’à détruire l’humain artiste, idéaliste, cultivé. Il poursuit cette critique teintée de technophobie avec Internet, l’inquiétante extase (Mille et une nuits, 2001), où il affirme qu’à l’âge du réseau les outils critiques et théoriques disparaissent au profit d’une dilution du réel, de la pensée et de la mémoire.

En 2007, reprenant les débats qu’il anime dans son émission de France Culture, « Répliques », il publie Qu’est-ce que la France ? (Gallimard), où il entame sa recherche sur l’identité française et défend « la patrie charnelle », qu’il juge menacée. Une quête qu’il continue dans L’Identité malheureuse, un livre très critiqué, et très lu : 80 000 exemplaires sont vendus. [...]"

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