Revue de presse

"Affaire du prix Nobel, brouilles et perquisition : un an de tempête à l’Académie française" (L’Express, 21 juil. 22)

22 juillet 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Quai Conti, la mort de Jean d’Ormesson a laissé un vide encombrant. De nouveaux clans s’affrontent, malgré les efforts d’Hélène Carrère d’Encausse, la patronne nonagénaire.

Par Étienne Girard

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[...] "Un coup à la Yourcenar !" s’est exclamée Mme le secrétaire perpétuel au téléphone, quand l’énarque Marc Lambron lui a présenté le plan consistant à faire entrer Mario Vargas Llosa - un Prix Nobel ! - sous la Coupole, au printemps 2021. Une référence à l’élection si médiatisée de la première femme académicienne, Marguerite Yourcenar, en mars 1980, sous l’impulsion forcenée de Jean d’Ormesson. Encore une preuve que le "roi Jean" demeure le modèle indépassable. Mais cette fois, "le choc qu’on pensait que cette élection susciterait n’a pas eu lieu", constate, un an plus tard, Pierre Rosenberg.

Marc Lambron s’est dit "Eurêka !" en lisant un entretien de Vargas Llosa dans Le Point en juillet 2021. Il a noté que le Prix Nobel de littérature 2010 a encore adressé un clin d’oeil à la culture française, lui qui a habité quelques années à Paris au début des années 1960. Et si le romancier hispano-péruvien les rejoignait ? Depuis 2019, la Française compte justement parmi ses membres un de ses amis, l’écrivain et ambassadeur Daniel Rondeau. Il se décide à appeler l’auteur de La Fête au bouc... qui lui donne immédiatement son accord. "Si c’est vrai, c’est le plus beau jour de ma vie", répond même le Nobel, euphorique. Un déjeuner parisien avec Rondeau, Lambron et Carrère d’Encausse scelle l’accord en septembre.

Effusion générale et fin de l’histoire ? Pas du tout. Car "les conjurés du Nobel" ont mis de côté deux éléments potentiellement délicats. Premièrement, l’âge limite pour candidater a été fixé à 75 ans en 2010. A l’époque, il s’agissait surtout de barrer discrètement la route à Pierre Bergé, au cinéaste Claude Lanzmann et à l’avocat Paul Lombard, à qui chacun ou presque devait quelques services, mais que personne ou presque ne souhaitait voir à ses côtés. Or Mario Vargas Llosa vient de fêter ses 85 ans. Deuxièmement, si le natif du Pérou parle bien le français, il a publié tous ses romans en espagnol. Marc Lambron et François Sureau, passés tous deux par le Conseil d’Etat, sont consultés pour trouver une solution. Ils concluent que la limite d’âge imposée est discriminatoire. Il convient donc de la supprimer. Lors de la séance de l’Académie du 7 octobre 2021, Hélène Carrère d’Encausse annonce, à la stupéfaction générale, la candidature de l’écrivain et propose de voter pour accepter ou non cette proposition inattendue. Dominique Bona puis Jean-Christophe Rufin demandent la parole. Ils s’emportent, s’émeuvent d’être ainsi mis devant le fait accompli, sans discussion préalable. Comme s’il existait un gouvernement occulte de la confrérie. De nombreux candidats ont été éconduits sur la base de leur âge, changer les règles si brusquement serait injuste envers eux, font-ils aussi valoir. Mais ils refusent de voter contre, arguant que la Française se ridiculiserait à se déchirer autour d’un Prix Nobel. Le 25 novembre, Mario Vargas Llosa est largement élu à l’Académie française... avec 18 voix : seulement 22 académiciens ont pris part au vote, un chiffre historiquement faible.

L’épisode aurait pu en rester là, même s’il se répète que l’absence prolongée de Danièle Sallenave, depuis lors, a tout à voir avec cette procédure qu’elle n’a pas digérée. "Chacun était libre de voter contre", rétorque à l’envi (et à raison) Hélène Carrère d’Encausse. Mais plusieurs habits verts qui ont voté pour Vargas Llosa ont tout de même été un peu affligés d’apprendre, dans les mois qui ont suivi, que le romancier avait déjà écrit son discours de réception, prévu à une date à déterminer... en espagnol, charge à son traducteur, Albert Bensoussan, de le transcrire dans la langue de Richelieu. [...]

Si François Sureau et Xavier Darcos ont dernièrement déjeuné ensemble, la compagne de Marc Lambron a refusé une invitation de l’épouse du chancelier. La dernière tentative de réconciliation, c’était dans la cour d’honneur, en habit vert, juste après la réception de François Sureau, le 3 mars, et l’homme politique a interpellé l’homme de loi : "Tu penses vraiment que je suis un escroc ?" Il n’a pas été rassuré. Entre eux, la rupture est survenue le 28 septembre 2021, lors d’une réunion de la commission administrative centrale de l’Institut. Ce jour-là, Lambron a regardé Darcos dans les yeux avant de demander que ses homologues dénoncent ses agissements au juge pénal. La "société d’admiration mutuelle" vantée par Jean d’O s’était volatilisée.

Autour de la table, une seule personne n’a jamais porté l’épée : Yasmine Tarasewicz, avocate en droit social. François Sureau l’a conseillée à Xavier Darcos pour régler le licenciement de David Teillet, le bras droit du chancelier, accusé de divers manquements. Sitôt désignée, elle a été avisée de l’existence de DaXa, pour David (Teillet) et Xavier (Darcos), une société de conseil aux entreprises. Les deux hommes étant associés dans le privé, l’embauche de l’un par l’autre sur des fonds publics pourrait constituer un délit de "prise illégale intérêts", passible de cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende, a-t-elle été obligée de prévenir. "Mais il existe le bracelet électronique", a précisé, pince-sans-rire, François Sureau lors d’une précédente réunion informelle, où il était convié en tant qu’expert. Dans les couloirs du Quai Conti, il s’est immédiatement murmuré que le nouvel immortel en aurait parlé entre-temps à un de ses proches qui travaille à l’Elysée, Emmanuel Macron. Ce qui lui a valu d’être foudroyé en son absence par Laurent Petitgirard, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts : "Qu’est-ce que c’est que ce type qui vient d’arriver et se permet de saisir le président de la République ?" Le rapport de Me Tarasewicz a finalement été mis au vote. Rejeté. Ces choses-là se règlent en famille. Sur-le-champ, l’avocate a démissionné. Deux témoins assurent l’avoir alors entendu désigner l’institution qui venait de la congédier d’une expression imagée : "un puits de pus".

Le 15 décembre 2021, le Parquet national financier s’en est mêlé. Une dizaine de gendarmes accompagnés de trois magistrats ont investi le bureau du chancelier de 8 heures à 16 heures, dans le cadre d’une enquête portant aussi sur les conditions d’un appel d’offres concernant le château de Chantilly, propriété de l’Institut de France. Une perquisition chez les immortels, inédit en 386 ans d’existence. De quoi affermir Lambron dans ses convictions, même si Xavier Darcos demeure très soutenu. [...]"



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