Revue de presse / tribune

A. Sugier, L. Weil-Curiel : « Il est urgent d’étendre le statut de réfugié aux femmes victimes de violences de la part des Etats » (Le Monde, 3 sept. 21)

Annie Sugier et Linda Weil-Curiel, respectivement présidente et secrétaire générale de la Ligue du droit international des femmes. 5 septembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Qui peut aujourd’hui nier qu’il existe des Etats qui affichent avec fierté leur volonté de remettre en cause les droits universels des femmes tels que définis dans les textes internationaux ? L’alerte avait déjà été donnée avec l’abandon par la Turquie de la convention d’Istanbul pour l’élimination des violences à l’égard des femmes. Le régime qui vient de se mettre en place en Afghanistan constitue un véritable cas d’école depuis l’avènement de la République islamique d’Iran en 1979.

Certes, il en est qui croient encore que les talibans d’aujourd’hui sont plus sensibles aux droits des personnes que ceux d’hier, mais rien n’est moins sûr si l’on en juge par les propos de leur porte-parole Zabihullah Mujahid, qui déclarait mardi 17 août que le nouveau pouvoir restait attaché aux droits des femmes « dans le cadre de la charia ».

D’ailleurs, les Afghanes qui ont goûté à la liberté des Occidentales ne s’y trompent pas et n’ont qu’une idée en tête, partir. Mais elles ne seront pas les seules à tenter de fuir leur pays. Face à un tel afflux, prendra-t-on en considération le danger particulier guettant les femmes, les violences et interdictions spécifiques qui les ciblent pour la simple raison qu’elles sont femmes ? Leur statut est au cœur du système taliban, comme il l’est pour Daech. Car les frères ennemis sont au moins d’accord sur un point : leur vision du statut des femmes menant à toutes les formes de maltraitance imaginables.

Devant cette réalité, que dit la convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié ? Elle vise à protéger toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Le mot « sexe » n’est pas mentionné. Ce qui éclaire sur l’état d’esprit des rédacteurs de la Convention : les victimes susceptibles de solliciter une protection seraient avant tout des hommes.

Il y a quarante ans, demander de combler cette lacune a été l’une de premières revendications de la section internationale de la Ligue du droit des femmes, qui deviendra, en 1983, la Ligue du droit international des femmes sous la présidence de Simone de Beauvoir. Au lendemain de l’arrivée au pouvoir du président Mitterrand (en 1981), porté par la gauche, nous demandions au Quai d’Orsay, alors ministère de relations extérieures, dirigé par Claude Cheysson, que la France socialiste propose à l’Assemblée générale des Nations unies la modification de la convention de Genève en y ajoutant le mot « sexe ».

Le 12 novembre 1981, nous recevions une réponse éclairante : « Après réflexion et étude attentive de la question, il apparaît qu’une initiative en vue de modifier cette convention par l’adjonction du mot “sexe” aux causes de discrimination prévues, devrait, semble-t-il, pour avoir quelque chance d’aboutir, être précédée d’une large campagne de sensibilisation de l’opinion internationale, être proposée par des pays appartenant à l’aire culturelle concernée et éviter des jugements critiques ou des notions dévaluantes pour les civilisations traditionnelles. Toute tentative extérieure à ces pays, occidentale ou non, qui vaudrait condamnation morale, risquerait de provoquer de leur part, une réaction de rejet immédiate dont on ne saurait sous-estimer la vigueur. »

Un an plus tard, le 23 juin 1982, la Commission juridique du Parlement européen publiait un rapport sur le projet de résolution (doc-1-545/82) relatif à la révision du statut de réfugié de la convention de Genève, considérant qu’il « serait opportun de proposer que la convention s’applique également aux réfugiés qui, en raison de leur sexe, ont subi des persécutions dans leur pays d’origine ». Ces projets n’ont pas abouti.

Décidément l’heure n’était pas à la prise en compte des violences et restrictions de droit imposées aux femmes au gré des religions et des cultures… Dans un entretien accordé au Monde à l’occasion du 8 mars 1983, Simone de Beauvoir, interrogée sur « les enjeux du féminisme aujourd’hui », répondit : « Nous constatons avec peine que les droits dits de l’homme ne sont pas aussi universels qu’on veut bien le dire, et que dans ces droits de l’homme on ne comprend pas la spécificité des droits des femmes. Ils sont très souvent, à travers le monde, bafoués et les organismes officiels n’entendent pas les voix des femmes qui réclament qu’on mette fin à leur exploitation ou même à leurs tortures. »

Et puis il y a eu le cas d’Aminata Diop, jeune Malienne qui sollicitait le statut de réfugié en décembre 1990 : elle avait fui son pays pour échapper à l’excision qu’elle avait su habilement retarder. Stupéfaction à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). L’examen médical établissait que la jeune fille était intacte mais le « cas » n’entrait pas dans le cadre de la Convention. Demande rejetée. Saisine de la Commission de recours des réfugiés (instance d’appel), qui admettra l’argumentation développée par Aminata Diop – femme, elle fait partie d’un groupe social exposé à la torture qu’est l’excision – mais lui déniera le statut de réfugié. C’est l’époque où de nombreux cas d’excision d’enfants sur le territoire national sont portés devant les tribunaux, suscitant une réprobation militante chez certains intellectuels et membres des services sociaux…

Aujourd’hui, pour celles qui sont le plus exposées aux violences, qu’il s’agisse de mutilations sexuelles, de mariage sous la contrainte, ou même d’avortement – par exemple de gamines enceintes à la suite d’un viol –, il n’est parfois d’autre choix que l’exil et une situation d’errance si l’asile ne leur est pas accordé.

Il est temps de remettre à l’ordre du jour la réflexion sur l’extension du statut de réfugié aux femmes victimes de violences de la part par d’Etats ou de groupes constitués, violences de tous ordres « légitimées » par la religion ou la tradition, une notion différente de celle de persécution pour des raisons religieuses : ici il n’est pas question de dissidence puisque c’est au nom même de leur religion commune, interprétée au détriment des femmes par leurs bourreaux, qu’elles sont persécutées. Oser admettre, par l’intermédiaire de la convention de Genève, que des Etats se construisent sur la soumission des femmes serait un acte politique fort dont la conséquence sera la reconnaissance du statut de réfugié à celles qui, persécutées, n’ont vu de salut que dans l’exil."

Lire « Il est urgent d’étendre le statut de réfugié aux femmes victimes de violences de la part des Etats ».



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