Revue de presse

"A Strasbourg, la Turquie ouvre une "faculté" de théologie pour former des imams" (Le Monde, 1er sept. 12)

4 septembre 2012

"Le projet était dans les cartons depuis de longues années. La Turquie a finalement ouvert en février à Strasbourg, une "faculté de théologie musulmane", une première sur le sol français. La "faculté", en réalité un institut de formation des imams, est pilotée par l’Union turco-islamique pour les affaires religieuses, la branche française du Diyanet, l’administration turque des affaires religieuses, placée sous l’autorité du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, une sorte de ministère de l’islam officiel turc.

L’établissement strasbourgeois accueillera une trentaine d’étudiants et effectuera sa première rentrée en septembre, dans les locaux qu’elle a acquis avec le soutien de la municipalité socialiste : un ancien bâtiment appartenant à La Poste, dans le quartier de Hautepierre. Pour le gouvernement turc, qui pilote cette installation, comme en témoignent les visites récentes du ministre des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, et du numéro deux du cabinet, Bülent Arinç, la faculté servira de laboratoire à l’organisation de la diaspora turque en Europe.

L’objectif de cette "université", dont le diplôme sera délivré par le département de théologie de l’université d’Istanbul, est avant tout de former les imams turcs qui officient auprès de la communauté nationale en France. Actuellement, la Turquie dépêche 236 imams dans les mosquées françaises tenues par le Diyanet, 2 000 au total dans les pays européens. Mais au moins 250 demandes d’imams supplémentaires ne peuvent être satisfaites. "La France souhaite que les imams soient formés en France. C’est pour remplir cet objectif que nous avons créé cet établissement privé", explique Fazli Arabaci, le "recteur", un ancien fonctionnaire des affaires religieuses détaché par Ankara.

Le cursus s’adresse aux titulaires du baccalauréat âgés de plus de 25 ans. "Les cours seront donnés en turc, par des enseignants de Turquie. Le diplôme et les stages seront délivrés par la Turquie. La formation ne peut donc pas s’adresser à toute la population musulmane de Strasbourg, comme le prétend le projet", souligne Samim Akgönül, maître de conférences à l’université Marc-Bloch de Strasbourg. Ce spécialiste des minorités qui enseigne au département d’études turques estime que l’institut de formation des imams a usurpé le terme de faculté et qu’il a utilisé sans autorisation le logo de l’université publique.

A terme, le projet de la Turquie est d’ouvrir également un "établissement secondaire privé". Ce lycée devrait être calqué sur le modèle des imams hatip, les lycées d’enseignement religieux qui connaissent un succès grandissant en Turquie.

Le projet de Strasbourg a été porté par le Cojep (Conseil pour la justice, l’égalité et la paix), une association de quartier fondée à Belfort dans les années 1980 et devenue, vingt ans plus tard, la tête de pont en France et en Europe des réseaux pro-AKP (Parti de la justice et du développement, le parti au pouvoir en Turquie). "Dans les années 1990, lorsque le mouvement islamiste Milli Görüs [Vision nationale] structurait la diaspora turque, l’école des cadres était à Cologne. Aujourd’hui, pour l’AKP, le parti au pouvoir, c’est Strasbourg qui joue ce rôle", explique Samim Akgönül.

La mairie (PS) a soutenu l’implantation de l’université privée, notamment grâce à l’engagement de Saban Kiper, conseiller municipal délégué aux questions de sécurité et proche du Milli Görüs. M. Kiper avait déjà obtenu du maire, Roland Ries, le jumelage de Strasbourg avec Kayseri, ville conservatrice d’Anatolie, considérée comme la cité modèle des islamistes turcs.

Le projet viendra renforcer l’organisation de la diaspora turque de France par Ankara. "L’AKP a injecté pas mal d’argent depuis 2004. Avant, il y avait une logique de marché, chaque réseau communautaire ou religieux ayant ses mosquées. Aujourd’hui, l’idée est d’unir les forces", souligne M. Akgönül. Des centres Yunus Emre, des instituts culturels et religieux d’Etat, devraient aussi ouvrir dans plusieurs villes de France. Début juin, environ 500 associations de la diaspora turque en Europe ont été invitées à Ankara par le premier ministre Erdogan pour souder la communauté. Une initiative diversement appréciée.

"Il est clair que le gouvernement cherche à unifier la diaspora. Mais en tant que citoyen français d’origine turque, c’est plutôt le ministre français que je devrais rencontrer. Je ne suis pas aux ordres d’Ankara", fait remarquer Nihat Sarier, président de la Plate-forme de Paris, la vitrine en France du mouvement Gülen, un puissant réseau d’influences économico-religieux qui suit les préceptes de l’imam Fethullah Gülen. Ce mouvement a ouvert un collège en région parisienne en 2010 et projette d’en ouvrir un autre à Strasbourg.

Pour M. Sarier, la formation des imams en France est une nécessité. "Mais cela ne devrait pas être le modèle turc copié et appliqué à Strasbourg. Il faut qu’ils délivrent un diplôme français."

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