Abnousse Shalmani, journaliste et écrivaine. 29 mars 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Et si on arrêtait d’"hygiéniser" les vies d’enfants ? Par Abnousse Shalmani"
"[...] Jusqu’aux années 2010, l’enfance et l’adolescence étaient vues pour ce qu’elles sont : une période de transition, un état passager, un apprentissage, mais aussi une période de doute salutaire, d’innocence contrariée, de désirs butés, de déceptions douloureuses. Un temps de liberté, certes limitée par l’école, les parents, les interdits, mais un temps libre car dénué de responsabilité d’adulte, un temps de répétition générale, un temps brouillon. Depuis, l’individualisme forcené a accouché d’une infantilisation généralisée qui se manifeste par une absence criante d’humour et une sensiblerie écœurante. Pourtant cette infantilisation est contrariée, pour ne pas dire contradictoire.
D’un côté l’enfance et l’adolescence sont surcotées à travers les ressentis et émotions qu’il faut dorénavant prendre au pied de la lettre. L’enfant et l’adolescent ont toujours eu des choses à nous dire, mais il s’agit dorénavant de considérer leurs ressentis comme ayant la même valeur que le savoir des adultes, effaçant les limites profitables, celles qui permettent justement à l’innocence toute-puissante de se castagner à la réalité et d’apprendre à vivre la vie avec ses impossibles. L’enfant ne doit plus être contredit puisqu’il sait - le punir en l’envoyant dans sa chambre réfléchir à sa bêtise relève de la maltraitance. L’enfant roi est devenu tyrannique, et l’adulte jaloux de tant de pouvoir préfère lui aussi son ressenti à la réalité, son sentiment à la réalité. L’écolier, le collégien, le lycéen et l’étudiant en savent autant que leurs instituteurs et professeurs, et leur micro-vécu doit être considéré au même titre que l’érudition accumulée au fil des études. Brouillage criminel de la transmission qui empêche la possibilité d’appréhender le monde en constatant sa saine ignorance et de s’offrir le cadeau inestimable de l’ambition intellectuelle, celle de la découverte de l’inconnu, qui ne se trouve évidemment pas dans un vécu, aussi passionnant, sordide, difficile, choyé qu’il soit d’individus aux dents de lait de 12, 15 ou 20 ans !
En parallèle, l’importance démesurée et la place illégitime données à ces états humains passagers que sont l’enfance et l’adolescence les chargent d’un poids bien trop lourd à porter et les envoient directement chez les psychologues, psychanalystes et psychiatres, qui les gavent en retour de problématiques qui ne sont pas de leurs âges et de psychotropes qui les abîment pour le restant de leurs jours. Car comment imaginer un instant qu’un "enfant" de 14 ans, sûrement encore vierge, est capable du haut de sa saine immaturité de se rendre à la préfecture pour choisir son sexe, comme la loi espagnole vient de le décréter dans un de ces moments politiques qui seront une honte nationale d’ici à quelques années ? Alors que, dans le même temps, la loi considère qu’un mineur ne peut avoir de rapport sexuel consenti !
On consulte des "enfants" pour réécrire des livres pour éviter d’en froisser d’autres, et on oublie qu’ils ont besoin d’être froissés, blessés, choqués pour avancer sainement sur le chemin des adultes. On "hygiénise" les vies d’enfants, mais on oublie de les mettre en garde contre la difficulté de vivre.
On somme des adultes en devenir de prendre des décisions d’adultes au cerveau fini en considérant cela comme un progrès, alors que c’est une terrible régression que de refuser à des enfants de vivre des vies d’enfants qui ne savent pas et questionnent à tout-va, et à des adolescents de se mouvoir dans un monde d’incertitudes, de choix bancals, de poussées hormonales incontrôlables, de sentiments sans conséquences. Dans Le Diable au corps, Raymond Radiguet écrit : "Si la jeunesse est niaise, c’est faute d’avoir été paresseuse." Je suis pour les jeunesses paresseuses qui accouchent d’adultes épanouis !"
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