Abnousse Shalmani, journaliste et écrivaine. 20 janvier 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire ""Charlie" est persan, par Abnousse Shalmani".
"Les mollahs ont perdu dès le premier jour, dès le jour où les femmes ont retiré leurs voiles, dès le premier jeté de turban, dès l’instant où les portraits de Khomeyni et Khamenei ont brûlé, dès le premier doigt d’honneur de lycéennes, dès le premier corps de femme qui a tournoyé autour du feu avant d’y jeter son voile sous les applaudissements d’une foule libérée après quarante-trois ans de chape de plomb politique et d’hypocrisie morale.
Ils sont pourtant encore là, les enturbannés et leurs supplétifs militaires, pasdaran et bassidjis, ils sont là dans la répression, dans les condamnations à mort, dans les pendaisons. Quatre hommes ont déjà été exécutés, avant la première prière du petit matin, sans prévenir la famille pour mieux la torturer, pour l’entendre hurler sa douleur devant la tombe ; des jeunes hommes de la classe moyenne et des hommes des classes laborieuses, pour "inimitié envers Dieu", "corruption sur terre" et autres balivernes de mollahs dépassés voulant faire des exemples dans toutes les classes sociales, du jeune international de karaté à l’éleveur de poules.
Mais les mollahs ont perdu leur pouvoir. Ils ne soulèvent plus l’espérance d’une réforme possible. En juillet 2015, lorsque fut enfin signé, après treize ans de négociations, l’accord sur le nucléaire, les Iraniens sont descendus dans les rues, ils ont dansé, ils ont chanté leur espérance d’un quotidien amélioré, d’un avenir assuré pour leurs enfants. Aucune femme n’avait alors pensé à retirer son voile, aucun slogan hostile à la "mollahrchie" n’avait été entonné. Les Iraniens pensaient continuer de respecter le deal : l’espace public aux mollahs et leurs règles puritaines, aux têtes baissées, aux corps couverts, l’espace privé à la fête, à l’alcool, aux films américains, à la joie, à la vraie vie. Paradoxalement, le régime islamique iranien est le plus fermé à l’Occident en comparaison des pays sunnites, qui négocient, commercent, font la guerre avec le Grand Satan américain et ses alliés, mais sa population est le plus occidentalisée possible.
Les Iraniens ne veulent plus vivre leur vie dans le lieu clos du privé
Nous avons pu le constater lors de la Coupe du monde du Qatar, où les supporters issus des pays sunnites, en particulier les signataires des accords d’Abraham avec le Petit Satan Israël, arboraient le drapeau palestinien et refusaient brutalement de répondre aux journalistes israéliens, tandis que les supporters iraniens fraternisaient avec eux et se revendiquaient iraniens avant d’être musulmans. Ce qui se passe depuis quatre mois en Iran est aussi la grande décompression : les Iraniens, population particulièrement jeune, qui n’ont jamais connu que la République islamique, ne veulent plus, ne peuvent plus vivre leur vie seulement à l’intérieur, ils ont débordé à l’extérieur, colonisé l’extérieur - sans possibilité de revenir en arrière.
Les mollahs ont perdu, mais les Iraniens ont besoin d’aide. Il faut une pression plus accrue de l’Occident, qui semble ne pas avoir appris les leçons de l’Ukraine. Il faut rappeler les ambassadeurs, bombarder les mollahs de sanctions, les empêcher de continuer à s’oxygéner grâce aux Russes et aux Chinois. Il est temps d’asphyxier les mollahs, tout en faisant parvenir à la population de quoi financer la grève générale. L’indignation aux mains propres, les actrices qui se coupent la pointe des cheveux face caméra, les reprises de la chanson Barayé par des enfants, des personnalités, les conférences bien au chaud, les politiques vendus aux islamistes qui refusent d’amalgamer voile et oppression ne sont utiles que pour l’entre-soi de la bonne conscience. Il est temps de passer à la vitesse supérieure.
Charlie Hebdo l’a fait. Ses caricatures circulaient en Iran avant d’être publiées en France ! Des banderoles reprenant les dessins étaient accrochées aux murs des villes. Charlie Hebdo a compris avant les politiques de quoi les Iraniens avaient besoin : de reconnaissance. Que le monde reconnaisse leur révolution pour ce qu’elle est : un refus définitif de l’islamisme, des bigots assassins et du puritanisme étouffant.
Les mollahs ont perdu, exactement comme la monarchie absolue a perdu à Pâques 1739 lorsque Louis XV a refusé de se confesser et de communier. En refusant de jouer le jeu du sacré, il a désacralisé sa charge et ouvert les vannes de la transgression. Les libertins se sont engouffrés dans la brèche et, à coups de satyres, caricatures, libelles, ils ont fait tomber les rois pour que naisse la république. La seule différence est une question de vitesse : les mollahs tomberont plus vite que les rois du XVIIIe siècle. Allez, encore un effort pour être libres !"
Voir aussi VIDEO Webinaire "Le peuple iranien face à la répression du régime islamique" (CLR, 12 jan. 23), le communiqué du CLR Mahsa Amini tuée en Iran par l’islamisme : un crime abject au nom du voile (CLR, 26 sept. 22),
dans la Revue de presse Shirin Ebadi : « On est obligés de faire cette révolution » (Charlie Hebdo, 18 jan. 23), "Mollahs attacks !" (Riss, Charlie Hebdo, 11 jan. 23), Riss : "Le dessin satirique, guide suprême de la liberté" (Charlie Hebdo, 4 jan. 23), "Dessiner, créer, libérer !" (Riss, Charlie Hebdo, 14 déc. 22) dans Iran (note du CLR).
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