Revue de presse

"A Saint-Denis, « l’école des imams » dans le viseur de la justice" (leparisien.fr , 29 juil. 20)

31 juillet 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Selon nos informations, une enquête préliminaire pour « abus de confiance » et « recel d’abus de confiance » a été ouverte il y a un mois par le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) et vise la gestion de l’Institut européen des sciences humaines.

Par Jean-Michel Décugis

C’est journée portes ouvertes, ce dimanche 12 juillet, à l’Institut européen des sciences humaines de Saint-Denis, plus connue sous l’acronyme IESH. Ici, on forme les futurs imams et les enseignants des écoles coraniques mais aussi de simples citoyens qui veulent apprendre l’arabe ou se rapprocher de l’islam. Environ 1500 étudiants passent chaque année dans cet établissement supérieur privé qui bénéficie « d’une reconnaissance académique délivrée par le Rectorat de Créteil » et déploie des partenariats avec des universités, comme l’Institut catholique de Paris.

Voilà, pour la façade. La réalité est plus trouble. Il demeure autour de l’organisme des zones d’ombre à la fois dans le contenu de l’enseignement dont les programmes sont néanmoins consultables sur le site de l’Institut, l’idéologie des fondateurs et professeurs ainsi que dans les sources de financement. Nous sommes en mesure de révéler que l’IESH, défavorablement connu des services de renseignement pour prôner un islam radical, est visé par une enquête préliminaire, ouverte, le 18 juin, par le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) pour abus de confiance, complicité et recels de ce délit. Les investigations ont été confiées à la brigade financière de la police judiciaire parisienne.

Dans la bibliothèque, un livre embarrassant

Cheveux blancs et lunettes sur le nez, c’est le cheikh Ahmed Jaballah, en personne qui, ce dimanche, renseigne, masque sur le visage, les visiteurs intéressés par la théologie. Le doyen, d’origine tunisienne, est à l’image de l’IESH, ambivalent. Côté face, il arbore un impressionnant CV (imam, professeur de théologie, docteur en islamologie à la Sorbonne) et prône un islam apaisé fidèle aux valeurs républicaines. Côté pile, il est l’ancien président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), devenue depuis Musulmans de France (MF), une émanation des Frères musulmans (NDLR : organisation islamique née en 1928 en Egypte pour lutter contre « l’emprise laïque occidentale »). Les services de renseignement lui prêtent une phrase embarrassante qu’il nie pourtant avoir prononcée mais, qui lui colle à la peau. « L’UOIF est une fusée à deux étages, le premier étage est démocratique, le second mettra en orbite une société islamique. »

Ce dimanche, son discours est sans aspérité lorsque nous le sollicitons en vue de notre prétendue inscription en théologie, seule issue possible pour contourner l’interdiction à la presse de participer à cette journée. Pourtant en fouillant dans les rayons de la bibliothèque, nous sommes tombés sur l’ouvrage « Le Licite et Illicite en Islam ». Un livre interdit en France en 1995 avant d’être autorisé, et considéré par certains comme antisémite, homophobe et misogyne… Son auteur, Cheikh Youssouf Al-Qaradawi, d’origine egyptienne, n’est autre que l’un des concepteurs du programme académique de l’IESH et le leader spirituel des Frères musulmans.

Des étudiants devenus des figures du djihadisme

Quelle est l’influence réelle des Frères musulmans au sein de l’IESH ? La bibliothécaire ne souhaite pas rentrer dans le débat. « On étudie toutes les écoles et même les écoles salafistes. Un même texte est interprété de plusieurs façons. C’est à toi de choisir. » Ce libre arbitre ne peut-il pas se révéler dangereux ? Dans l’annuaire des étudiants passés par l’IEHS de Saint-Denis, certains noms détonnent tel celui du djihadiste Reda Hame, recruté en Syrie pour venir frapper une salle de concert à Paris. Ou celui d’ Inès Madani, condamnée à 30 ans de réclusion en première instance pour avoir tenté de faire exploser une voiture près de Notre-Dame en septembre 2016. Une poignée d’autres étudiants de l’IESH, aux résonances moins médiatiques, est aussi partie combattre en Syrie.

Ces départs ne font pas de l’IEHS de Saint-Denis une école du djihad mais le passage de ces brebis galeuses par l’institut a fait redoubler les autorités de vigilance. D’autant que l’institut élabore un ambitieux projet de campus universitaire à Saint-Denis. Une ville dans la ville que les autorités ne voient pas d’un bon œil. Pas un hasard si en octobre dernier, la sous-commission contre les risques d’incendie et de panique a effectué une visite surprise à l’IESH. S’en est suivi un avis défavorable à l’accueil du public, et dans la foulée un arrêté préfectoral de fermeture. Une première torpille.

Pour financer les travaux de mise aux normes, l’établissement, dont les frais d’inscriptions des étudiants (NDLR : ils sont de 2 500 euros pour un doctorat et 275 euros pour une formation du soir), et les dons de fidèles assurent le fonctionnement, a lancé une souscription sur son site. Le 18 janvier dernier, Ahmed Jaballah a posté une vidéo sur la page Facebook de l’Institut indiquant que la somme de 152 000 euros avait été réunie. L’IESH a-t-il été poussé à la faute ?

Des sources de financement dans le viseur

Depuis, alors qu’un avis favorable a été rendu pour la réouverture de l’IESH, une deuxième torpille a été lancée : une enquête financière sur les sources de financement de l’Institut. Selon nos informations, les autorités auraient relevé une discordance entre le chiffre d’affaires de l’IESH et ses investissements immobiliers. La justice s’intéresse notamment aux sources de financement qui ont permis la réalisation discrète, en 2018, d’une résidence de 26 logements étudiant à La Courneuve pour un montant de 2 millions d’euros. Le projet de campus universitaire est aussi dans le collimateur.

Les autorités s’interrogent sur plusieurs transferts financiers récents entre les pays du golfe, Koweït et Qatar, et l’IESH. En août 2018, l’établissement privé aurait reçu sur un fonds de dotation ouvert au Crédit Mutuel 750 000 euros de Qatar Charety, une organisation non gouvernementale d’aide au développement au Moyen-Orient. Puis encore 150 000 euros, en novembre 2019, du département des affaires islamiques du Koweït. 600 000 euros supplémentaires auraient été versés sur le même fonds de dotation par un compte bancaire britannique ayant financé un centre musulman à Marseille. Ceci n’est pas en soi illégal. Mais les enquêteurs cherchent à déterminer si ce fonds de dotation n’aurait pas financé des projets donnant lieu à facturation. Ce qui en revanche le serait. Un fonds de dotation, en vue de la réalisation d’une œuvre ou mission d’intérêt général, ne peut engendrer en aucun cas des activités commerciales.

Les enquêteurs s’intéressent aussi au train de vie des dirigeants dont les comptes bancaires ne connaîtraient que peu d’opérations. La brigade financière cherche à vérifier si une partie des bénéfices des dons destinés au fonctionnement de l’institut n’aurait pas été détournée à des fins privées. Sollicité, Ahmed Jaballah n’a pas souhaité répondre à nos questions."

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