15 décembre 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Historiquement implanté dans le centre-ville de Lyon, l’enseignement catholique se déploie dans le reste de la métropole, où la demande s’accroît. Reportage.
Par Amandine Hirou
Lire "A Lyon, la fuite vers l’enseignement privé : "C’est notre seul choix face aux ghettos" du public".
"Être à la fois ronds et carrés dans l’éducation" : la devise des pères maristes à l’origine de la création de Sainte-Marie Lyon se reflète jusque dans l’architecture de l’établissement la Solitude, un des fleurons du groupe scolaire catholique. L’aspect "carré" saute aux yeux une fois que l’on a passé le portail de cette institution nichée sur les hauteurs de la préfecture du Rhône, au pied de la basilique Notre-Dame de Fourvière. Au milieu d’un parc de 7 hectares, plusieurs grands blocs de béton armé percés de grandes fenêtres abritent 1 300 enfants et adolescents de primaire et de collège. Des façades brutes, sans peinture extérieure ; des salles de classe aux murs nus, sans affiches ni panneaux ; aucun miroir dans les toilettes : le décor est volontairement austère. "Cette sobriété traduit notre volonté de mettre l’accent sur l’intériorité des élèves et la concentration", explique Emmanuel Jaussoin, le directeur des lieux. Un credo que l’on retrouve sur les sept sites du groupe (écoles, collèges, lycées, établissement postbac) disséminés dans toute la métropole lyonnaise et comptant 5 000 élèves au total.
Dans l’agglomération de la troisième ville de France, l’enseignement privé sous contrat se porte bien : il attire 28,4 % des élèves du secondaire de l’académie (qui englobe le Rhône, la Loire et l’Ain). Au sein même de la métropole lyonnaise, le taux grimpe à 35 %, contre 17 % en moyenne dans le reste du pays. L’académie, avec une part du privé en augmentation relative mais constante, se hisse à la quatrième place nationale après celles de Rennes, Nantes et Paris, dans le second degré. Dans la capitale des Gaules, de vénérables institutions catholiques règnent depuis le XIXe siècle, comme les groupes issus des communautés des maristes, des chartreux ou des lazaristes. Mais pas seulement : d’autres ensembles plus récents ont également le vent en poupe. [...]
Dans ces quartiers excentrés, la dimension religieuse de ces établissements catholiques pèse moins qu’en centre-ville. "A La Verpillière, où nous sommes également présents, ou à Meyzieu, on compte sans doute moins d’élèves catholiques pratiquants. Le taux de familles musulmanes y est aussi plus élevé, on ne doit pas être loin des 20 %", estime Marc Bouchacourt. Officiellement, tous ces établissements lyonnais sous contrat avec l’Etat affirment ne pas demander de certificat de baptême au moment de l’inscription – ce qui serait illégal. La catéchèse n’y est pas non plus obligatoire. "Contrairement aux cours de culture religieuse qui, eux, sont inscrits dans les emplois du temps de chaque classe", précise Emmanuel Jaussoin, au collège la Solitude. Une bonne façon, selon lui, de parfaire sa culture générale, mais aussi de lutter contre ce qu’il estime être "les deux écueils du moment" : d’une part, un "fanatisme religieux" et, de l’autre, un "laïcisme militant". Seul impératif : tous les élèves, qu’ils soient athées, juifs ou musulmans, doivent participer à la "journée de témoignage chrétien", une fois par an, qui consiste à venir écouter un certain nombre de "grands témoins" venus "parler de leurs parcours de vie et de foi".
Si Farid Ben Moussa, élu d’opposition à Vénissieux et membre de No Ghetto, une association qui lutte pour une "mixité sociale et d’origine dans les collèges de la métropole de Lyon et d’ailleurs", a décidé d’inscrire sa fille dans une école catholique privée sous contrat, c’est pour une tout autre raison : il souhaitait fuir l’établissement public de son quartier. Cette stratégie d’évitement de la carte scolaire, souvent passée sous silence par les responsables d’établissements catholiques sous contrat, participe à une partie de leur succès. "J’ai fait toute ma scolarité à Vénissieux, du côté des Minguettes, où j’habite encore. Au collège Jules-Michelet, où j’étais, on cumulait les problèmes de violence, de discipline et la très grande faiblesse du niveau, raconte Farid Ben Moussa. A l’époque, il y avait encore quelques Yann, Bérangère et Karine dans ma classe. Aujourd’hui, on peut véritablement parler de ghettos qui concentrent les populations les plus en difficulté." Ce père de famille n’a pas hésité à activer son réseau pour inscrire sa fille à l’école Jeanne-d’Arc du centre scolaire la Xavière, puis au collège privé voisin, où les places sont chères. "Tant que le public ne reverra pas son système de carte scolaire, les habitants de ces quartiers n’auront d’autre choix que de contourner leur collège de quartier ou de s’en remettre au privé pour assurer un avenir à leurs enfants. Enfin ceux qui le peuvent !" regrette-t-il.
Chez les maristes comme dans la plupart des autres établissements privés catholiques, on préfère mettre en avant les valeurs propres à chaque structure. La plupart de ces cités scolaires assument une forme d’enseignement "à l’ancienne". C’est le cas à la Solitude. "Certaines équipes pédagogiques font le choix d’effacer les notes pour les remplacer par des smileys rouges ou verts sous prétexte de ne pas traumatiser ou blesser les élèves. Nous sommes à l’opposé de cette tendance", avance Emmanuel Jaussoin, qui insiste sur l’importance de multiplier les évaluations aussi bien orales qu’écrites. L’une des particularités de ce collège, connu pour sa dimension littéraire : le latin obligatoire pour tous les élèves de cinquième. Le grec est également dispensé à partir de la quatrième. "Contrairement à d’autres, nous assumons également d’avoir des classes de différents niveaux. Ce qui permet d’avancer au rythme qui correspond le mieux à chaque groupe", poursuit Emmanuel Jaussoin. Selon lui, les inspecteurs d’académie reprocheraient régulièrement aux enseignants de ne pas faire assez participer les élèves, de les faire trop écrire, de ne pas assez pratiquer d’activités de groupe… "L’idée que les jeunes doivent construire leur propre savoir, très peu pour nous. Nous croyons encore aux vertus de la verticalité de l’enseignement", assène-t-il. [...]
Un non-sens pour tous ceux qui, de leur côté, dénoncent "l’entre-soi" et le manque de diversité sociale dans ces établissements financés à 75 % par l’Etat et les collectivités territoriales. Depuis la publication en octobre des indices de position sociale (IPS) de tous les collèges de France, rendue obligatoire par une décision du tribunal administratif de Paris en juillet 2022, la polémique ne cesse d’enfler. Ces statistiques révèlent en effet que 39 % des élèves des collèges privés sous contrat sont de catégories sociales "très favorisées", tandis que les élèves de milieux "défavorisés", eux, ne représentent que 13 % de leurs effectifs. "Ce constat jette une lumière assez crue sur l’état de ségrégation du système éducatif en France. Dans les grandes villes comme Paris, Lyon, Bordeaux, Nice ou Lille, une certaine forme de séparatisme est à l’œuvre. Le phénomène est d’autant plus inquiétant lorsqu’il prend la forme d’un évitement scolaire dans certains quartiers", dénonce le chercheur Julien Grenet.
De nombreuses voix se sont élevées ces derniers mois pour demander une révision de la politique d’admission des élèves, plus ou moins opaque selon les établissements privés sous contrat. Récemment, le ministre de l’Education nationale Pap Ndiaye qui, en janvier prochain, devrait faire des annonces visant à encourager la mixité sociale dans les établissements scolaires, a lui-même estimé que le privé devrait "prendre sa part" à l’avenir. [...]"
Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Ecole privée dans Ecole, Rhône dans Localités, le communiqué du Cnal "Enseignement catholique : fournisseur d’accès au séparatisme scolaire" (Cnal, 9 sept. 22) (note du CLR).
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