27 décembre 2015
"[...] Aujourd’hui, tout est déréglé. Le regrettent aussi bien un nostalgique de l’antique gauche de combat comme Daniel Mermet - « L’extrême droite copie la vraie gauche et la gauche copie la vraie droite ! » - qu’un éternel centriste de bonne volonté comme Jean-Louis Bourlanges - « François Hollande parle à la droite. Alain Juppé parle à la gauche. Nicolas Sarkozy parle à l’extrême droite. Et Marine Le Pen parle à l’extrême gauche ». Pas étonnant que 73 % des Français estiment « les notions de droite et de gauche dépassées ». Ils n’étaient que 33 % en 1981. L’époque où Jack Lang opposait « la lumière » de la gauche à « l’ombre » de la droite. Toutes les deux se retrouvent aujourd’hui dans le même brouillard. Après trois décennies d’un chassé-croisé qui a tout brouillé.
Le ralliement sans débat de la gauche à un capitalisme en ébullition néolibérale a dérouté la droite dépossédée de sa défense de la « société libre » face au danger communiste. Privées de leurs vieux programmes, et faute d’en proposer un autre, droite et gauche ont rallié de concert celui promis par Bruxelles : le Grand Soir postnational et les lendemains heureux de la mondialisation. Un programme commun bien vu par Philippe Séguin : « La droite et la gauche sont des détaillants qui ont le même grossiste, l’Europe. »
La collusion de Nicolas Sarkozy et de François Hollande pour faire voter le traité constitutionnel en 2005, puis mépriser son rejet démocratique par les Français en le leur imposant par voie parlementaire en 2008, symbolise cette érosion du clivage droite-gauche.
Elle résulte de leurs choix similaires sur l’essentiel. Et de leurs échecs communs face à leurs conséquences : chômage de masse et inégalités croissantes, désindustrialisation et crise agricole, crise migratoire et désintégration nationale, insécurité physique et culturelle. Autant de problèmes aux premiers rangs des préoccupations des Français mais guère mieux traités par la droite que par la gauche.
Ils ont suscité de nouveaux clivages fracturant tous les partis (protectionnisme ou mondialisme, assimilation ou multiculturalisme, atlantisme ou non-alignement, prévention ou répression, laïcité ou communautarisme). Ils auraient pu remplacer ou remodeler le clivage droite-gauche. Après tout, son histoire est plus courte qu’on ne le dit en le faisant toujours remonter à la Révolution française. Le XIXe siècle a en réalité vécu sur d’autres oppositions. Monarchistes et républicains. Aristocrates et bonapartistes. Cléricaux et laïques. Dreyfusistes et antidreyfusistes. Une lecture postérieure, qui doit beaucoup à René Rémond, a repeint toutes ces divisions en droite contre gauche. Il a fallu en réalité attendre le XXe siècle pour que la naissance de l’URSS ordonne l’axe droite-gauche avec des objectifs de guerre politique sans nuances tels que la lutte des classes, la sortie du capitalisme, l’appropriation collective des moyens de production.
Il n’en reste rien. Commencée au sortir de 14-18, cette confrontation sérieuse se termine dès les années Mitterrand et la chute du mur de Berlin. Et son rôle explicatif est très surestimé, les événements majeurs de ce petit siècle ayant ignoré l’axe droite-gauche : la colonisation et la décolonisation, Munich et Vichy, la collaboration et la Résistance recrutèrent à gauche comme à droite.
Les nouveaux clivages nés ces trois dernières décennies n’ont pas trouvé de traduction politique parce qu’ils ne se recoupent pas. Ceux, de droite et de gauche, qui s’accordent sur une question (l’école, les 35 heures ou les sans-papiers) s’opposent sur d’autres (l’euro, l’islam ou la GPA). L’échec de Jean-Pierre Chevènement, qui en appelait en 2002 aux « républicains des deux rives », illustre le constat paradoxal de Marcel Gauchet : « Le clivage droite-gauche est un fantôme, mais il continue à dominer la vie politique. » Fantôme artificiellement défendu comme principe vital par le personnel des partis toujours à la recherche de la plus petite différence. Mais qui désespère une « demande de politique qui en a marre de cette forme d’indifférenciation droite-gauche », comme le reconnaît aujourd’hui Benoît Hamon.
Pour l’instant, seul le Front national s’intéresse avec succès à cette demande politique orpheline « qui en a marre ». Il a désormais le renfort de ceux qui n’ont plus d’autre ambition que de sauver leur existence en s’unissant contre lui. Et plus d’autre programme que de s’opposer ensemble à ce que leur bilan commun a produit."
Comité Laïcité République
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