Gérard Biard, rédacteur en chef de "Charlie Hebdo". 5 février 2017
"Les académiciens ne sont pas encore au courant, mais la langue française compte un nouveau gros mot : laïcité. Quand on est de gauche et poli, il faut maintenant tourner sa langue sept fois dans la bouche de Tariq Ramadan avant de le prononcer. Et surtout prendre soin de lui adjoindre un adjectif qui rime avec « intégrisme », pour bien signifier à quel point on réprouve. Il est également fortement conseillé, comme c’est devenu la règle dans la presse progressiste, de l’associer au mot « identité », afin de faire comprendre au lecteur que c’est vraiment un truc puant de droite, voire d’extrême-droite. Le nec plus ultra consistant à caser le nom de Valls l’infâme dans la même phrase, afin d’écarter définitivement tout soupçon d’islamophobie stigmatisante rejetant le vivre-ensemble.
On se dirige droit vers la catastrophe. Vu la façon dont la campagne électorale s’est engagée, Marine Le Pen risque d’être désormais la seule candidate à parler sans détours ni colifichets sémantiques de laïcité. François Fillon, qui a clairement fait le lien entre son programme et sa foi, est disqualifié d’emblée. Macron s’en cogne allègrement, car il n’y a aucun moyen de lier ça à la compétitivité, à l’entrepreneuriat dynamique et à la circulation des autocars. Quant à la gauche, à quelques trop rares exceptions que beaucoup souhaiteraient voir marginalisées, elle patauge au mieux dans l’ambigüité, au pire dans la complaisance. Quand elle ne considère pas purement et simplement que c’est un non-sujet.
Autrement dit, si rien ne change, c’est le Front National qui orientera les débats, on ne peut plus d’actualité, concernant l’un des socles de la République. Et c’est lui qui s’en proclamera le garant face aux attaques qui lui sont portées de toutes parts. Ce qui est une escroquerie. Il est possible que Marine Le Pen soit sincèrement laïque — peut-être même est-elle athée, allez savoir… —, mais le parti qu’elle préside, et avec lequel elle prétend diriger la France, outre le fait qu’il est d’essence anti-démocratique, abrite ou copine avec les franges les plus extrémistes du catholicisme de combat. Et sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, qui l’exaspère sans doute mais qu’elle ne peut écarter, ne cache rien de ses convictions politico-religieuses. Ni de ses ambitions d’aligner une partie du programme du parti sur le dogme chrétien, version dure et chaussée de rangers.
Le principe de laïcité est inscrit dans la constitution depuis 1958. Mais la gauche qui va mener campagne a décidé, par lâcheté, par stratégie électoraliste locale — pourtant vouée à un échec de plus en plus patent — ou par déni idéologique clairement assumé, d’abandonner ce principe à l’extrême-droite. Bref, de le sacrifier. Une partie de la gauche et la majorité de l’extrême-gauche a même choisi de le trahir, en légitimant, voire en soutenant, des militants religieux souvent radicaux au prétexte qu’il représenteraient, à eux seuls, les plus faibles. Elle renie les valeurs qui la fondent — l’égalité des droits, entre autres — et défend l’indéfendable, au nom du « respect » et du relativisme, au prix de zigzags et de contorsions idéologiques absurdes : la même vision rétrograde de la société sera critiquée, à juste titre, si elle est défendue par une militante en carré Hermès, mais approuvée si elle est défendue par une militante en hijab.
Les religions, à plus forte raison lorsqu’elles se mêlent de politique, n’ont jamais accordé de droit supplémentaire à quiconque — au contraire, leur principal objectif est d’en retirer — ni contribué, loin s’en faut, à l’évolution des sociétés. La gauche semble malgré tout résolue à leur ouvrir une autoroute, sans même une barrière de péage. Elle serait bien sympa d’y réfléchir. Il serait salutaire, pour le prochain scrutin présidentiel, que l’électeur ait le choix, pour contrer une extrême-droite qui trempe ses battes de base-ball dans l’eau bénite, entre autre chose qu’une droite qui revendique son « identité » chrétienne et une gauche qui collabore de bon cœur avec les barbus."
Comité Laïcité République
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