Alain Finkielkraut, de l’Académie française, philosophe et écrivain. 4 avril 2022
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"Le philosophe, dont la mère est née à Lviv, livre son regard sur l’invasion russe à partir de son expérience familiale, mais aussi des lectures de Milan Kundera et Vassili Grossman."
"[...] Dans son article « La tragédie de l’Europe centrale. Un Occident kidnappé », qui vient d’être réédité chez Gallimard, Milan Kundera rappelle qu’en 1956, « au mois de septembre, le directeur de l’agence de presse de Hongrie, quelques minutes avant que son bureau fût écrasé par l’artillerie, envoya par télex dans le monde entier un message désespéré contre l’offensive russe, déclenchée le matin contre Budapest. La dépêche finit par ces mots : “Nous mourrons pour la Hongrie et pour l’Europe.” » Ce « et », en Europe centrale, va de soi. L’Europe n’y est pas conçue comme la maison de redressement des nations meurtrières, les nations y sont défendues comme un produit de la civilisation européenne. La nation, c’est l’architecture, la poésie de certains lieux, ce qui manque quand on est ailleurs, les soubresauts d’une histoire particulière, une langue commune - toutes ces choses qui ne sont pas la démocratie, mais qui la rendent possible. Il y a les concepts et il y a les noms propres. « Ukraine » est un nom propre que la Russie impériale veut rayer du monde. [...]
Jean-Luc Mélenchon, à la fin de son impressionnant rassemblement place de la République, a expliqué que, dans le monde qui vient, l’afflux de réfugiés était inéluctable et qu’il fallait y répondre par une hospitalité inconditionnelle. Les guerres et le dérèglement climatique vont conduire par milliers, par millions, voire par milliards, de pauvres gens à l’exode. Il faut être raciste, a ajouté Mélenchon, pour répondre à cette urgence par la discrimination entre le proche et le lointain, ou le réfugié politique et le réfugié économique. Il n’y a pas d’autre alternative, autrement dit, qu’entre le racisme et la submersion migratoire.
Les néoprogressistes plaident ardemment pour le grand remplacement qu’ils dénoncent pourtant à longueur de colonnes comme une théorie conspirationniste. Plus de France, plus d’Allemagne, plus d’Espagne, plus d’Ukraine, plus d’individus, plus de noms propres, mais une immense infirmerie, car, comme l’écrit Michel Serres, « à l’infirmerie, aucun ne souffre ni ne gémit bien différemment des autres. Universelle comme la violence et la mort, la douleur nous égalise. La même amertume sale la sueur, les larmes et le sang. » L’Ukraine et l’humanité tout entière méritent mieux que d’être noyées dans l’anonymat d’une espèce. D’autres leçons doivent être tirées de cette guerre que ce cauchemar de l’interchangeabilité des êtres, et notamment que tout doit être fait pour préserver le trésor de la pluralité humaine."
Lire "Alain Finkielkraut : « Cette guerre nous rappelle que les nations doivent être défendues »".
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