Revue de presse

A. Finkielkraut : "Admirable en tant que classe, le peuple devient détestable dès qu’il apparaît comme nation" (L’esprit de l’escalier, RCJ, Causeur, juin 14)

6 juillet 2014

"Elisabeth Lévy. L’Europe a élu ses députés. En France, le Front national est devenu le premier parti du pays, avec 25 % des voix, loin devant l’UMP (20 %) et le parti socialiste (14 %). Les médias n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts pour nous convaincre d’aller bien voter, c’est-à-dire de voter Europe. Ce chantage moral exercé sur les électeurs s’est-il révélé contre-productif ?

Alain Finkielkraut. Ce que construisent, depuis plus d’un demi-siècle, les Européens, ce n’est pas une démocratie à l’échelle du continent ; il faut, pour la démocratie, une langue commune, des références communes, l’attachement à une mémoire, bref il faut une nation. Et l’Europe est, irréductiblement, un espace plurinational.

L’Union européenne, c’est tout autre chose. Ses agences, ses administrations, ses commissions, ses cours de justice, son Parlement même forment une bureaucratie gigantesque qui donne aux citoyens européens le sentiment d’être dessaisis de leur identité, de leur souveraineté, du gouvernement d’eux-mêmes, sans pour autant résoudre leurs problèmes les plus aigus. L’Europe est impuissante à enrayer la désindustrialisation, les délocalisations, l’immigration, et la montée de l’insécurité. Pire encore, au lieu de ralentir les flux, elle les facilite, elle les accélère. Sa civilisation est même mise sous le boisseau pour que rien n’entrave ce que Jean-Luc Mélenchon appelle, sans en tirer toutes les conséquences, le « grand déménagement du monde ».

Et quand des électeurs protestent contre cette évolution en votant pour le Front national, les porte-parole des processus dénoncent « les pulsions délétères et détestables du national-populisme ». Admirable en tant que classe, le peuple devient détestable dès qu’il apparaît comme nation. Mais ce rejet ne traduit rien d’autre qu’un mépris de classe à l’encontre de ceux qui sont exposés à la violence de tous les flux.

Jamais je n’aurais donné ma voix au parti du « tous pourris sauf nous », nullement gêné de choisir pour modèle politique Vladimir Poutine, l’autocrate qui s’est enrichi dans l’exercice de ses fonctions au point de constituer l’une des plus grandes fortunes d’Europe et qui poursuit, sans vergogne, une politique impériale.

Nos sismographes officiels, cependant, se trompent une fois encore. Le vrai tremblement de terre, ce n’est pas l’élection au Parlement européen, c’est l’attentat au musée juif de Bruxelles. [...]"

Lire "Eurovision, FN : le journal d’Alain Finkielkraut".


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