Amélie Chelly, sociologue, spécialiste de l’Iran et politologue du monde musulman contemporain, auteur de "Dictionnaire des islamismes" (Cerf). 10 août 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Propos recueillis par Jean-Loup Adenor
[...] Il est très difficile de qualifier une personne de « frère musulman » tant que celle-ci ne le révèle pas elle-même. L’exemple le plus intéressant est celui de Tariq Ramadan et son frère, Hani, tous deux petits-fils du fondateur de la confrérie, l’égyptien Hassan al Bana. Tariq Ramadan n’a jamais dit publiquement son appartenance à la confrérie. Son frère Hani, en revanche, ne s’en cache pas. Ils sont en fait les deux faces d’une même pièce : le premier est vraiment dans une perspective d’immixtion et d’intégration sociale, notamment dans le monde universitaire, le second évolue exclusivement dans les cercles communautaires avec un discours beaucoup plus décomplexé. [...]
Dans le cas d’Hassan Iquioussen, dont on ne peut pas affirmer qu’il est membre de la confrérie, il est intéressant de noter que les juges de référé qui ont suspendu son expulsion ont reconnu qu’il avait bien tenu des propos antisémites, qui ont provoqué un tollé. Mais le tribunal a également noté qu’à l’occasion d’une vidéo diffusée le 19 février 2015, il a condamné l’antisémitisme et n’a plus jamais tenu ce genre de propos.
Il tient aussi des propos plutôt ouverts sur les musulmans homosexuels.
Il est connu pour être un imam plus souple sur la question de l’homosexualité. Il n’est pas totalement impossible qu’il ait été confronté à des expériences comme il les décrit dans ses vidéos, où des fidèles l’ont appelé et ont confessé leur attachement à leur religion musulmane en dépit du fait qu’ils se savaient homosexuels. Il explique avoir ressenti la sincérité de la souffrance de ces personnes et c’est qui lui aurait interdit de les juger. Il peut être sincère, incliné par ce qu’il a vécu. [...]
On voit de plus en plus sur Instagram se multiplier des vidéos de jeunes femmes qui font la promotion du voile. Elles ne le font pas de façon politique, mais elles montrent comment on attache bien son voile, ou quel maquillage peut aller avec. On n’a pas l’impression d’être chez les salafistes, mais sur le compte d’influenceuses à la mode. Mais quand on regarde les commentaires, on en voit deux types : des salafistes, des madkhalites par exemple, qui disent « une femme ne se montre pas devant la caméra » et d’autres, souvent rattachés à des sites fréristes, qui disent « il faut aider nos sœurs, c’est leur liberté ».
En réalité, les madkhalites et les Frères musulmans sont d’accord sur le fait que ces vidéos n’ont pas lieu d’être. Mais pour les premiers, elles doivent disparaître tout de suite quand, pour les seconds, l’objectif est d’abord d’islamiser la société.
Dans cette entreprise, les Frères musulmans ont-ils des objectifs de court et moyen termes ?
Le but de la confrérie est d’utiliser les armes qui sont à sa portée dans les lieux où elle se trouve. Ici dans un pays en paix, ce qu’il faut c’est de déstabiliser le débat public. En France, ils ont trois leviers phares : la laïcité et surtout derrière la laïcité, atteindre le droit au blasphème, la question du voile et la question de l’islamophobie. [...]
Dans une administration, une femme se présente avec un excellent CV, le directeur lui dit qu’il aimerait beaucoup la recruter mais, comme elle porte le voile, il n’en a tout simplement pas le droit, au nom du principe de neutralité du service public. La jeune femme va alors témoigner pour discrimination devant l’observatoire du Conseil français du culte musulman. Là, on lui répond que ce n’est pas une discrimination, mais une règle légale disposée par la loi de 1905. Elle va ensuite en parler à l’observatoire lié aux Frères musulmans, l’ex-UOIF devenu « Musulmans de France ». Là, la machine se met en branle et de nombreuses vidéos vont sortir disant que la France est islamophobe. Il faut que l’opinion publique sache que c’est une technique de la frérosphère et c’est là que les médias entrent en jeu.
Les Frères musulmans peuvent-ils compter sur des alliés ?
C’est ce que j’appelle des cryptofréristes, des personnes ou des entités qui ne sont pas forcément musulmanes mais qui, ayant des points de jonctions avec les intérêts des Frères musulmans, sont appréciés et parfois même utilisés par ces derniers. Dans la Nupes par exemple, il y a un certain nombre de personnes qui ont des intérêts convergents avec les Frères musulmans. [...]"
Lire "Affaire Iquioussen : "Les Frères musulmans ont des stratagèmes pour déstabiliser le débat public"".
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Hassan Iquioussen ;
Amélie Chelly : "Les Frères musulmans ont un projet de destruction à long terme" (lexpress.fr , 28 nov. 21) et la rubrique Frères musulmans dans Islamisme ;
"L’islamisme politique, un adversaire difficile à saisir, la preuve dans le Nord" (mediacites.fr , 30 oct. 20) dans la rubrique Nord,
"À Denain, la maire socialiste cajole les Frères musulmans" (Le Point, 13 fév. 20) dans le dossier "Ces élus qui ont vendu leur âme" (Le Point, 13 fév. 20) ; dans la rubrique Localités ;
Islamisme : "Dans le Nord, les Iquioussen font leur nid" (Marianne, 18 oct. 19) dans le dossier Marianne : "Frères musulmans : leur stratégie de conquête" (18 oct. 19) (note du CLR).
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