6 janvier 2020
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
" « Irène Tolleret, une élue LREM, s’est exprimée en anglais lors d’une réunion de commission qui était pourtant interprétée. On n’a rien compris à ce qu’elle disait et on n’a pas pu traduire », se désole une interprète du Parlement européen. Une partie des nouveaux eurodéputés macronistes a d’ailleurs acquis une mauvaise réputation à l’Assemblée, celle de vouloir à tout prix parler la langue de Shakespeare, au grand désespoir des interprètes traducteurs.
Il suffit de regarder les comptes Twitter de certains députés pour voir bios et messages en anglais, comme si leurs électeurs étaient anglophones… Si même les Français se plient désormais au globish (pour « global English »), version abâtardie de l’anglais, qui va encore défendre le multilinguisme, pierre angulaire de la construction communautaire, s’inquiètent les interprètes ?
Il faut dire que la pression est forte. « Lors d’une réunion sans interprétation, je me suis exprimée en français », raconte Chrysoula Zacharopoulou, députée de la liste En marche. « Dacian Ciolos, le président du groupe Renew Europe m’a alors intimé de parler en anglais, ce que j’ai refusé. C’est incroyable. Je parle anglais, mais il n’y a aucune raison que je ne puisse pas parler français. » Emmanuel Maurel, ex-PS passé à LFI, raconte que l’administration du Parlement traduit de moins en moins les textes législatifs, imposant aux députés de travailler bon gré mal gré en anglais : « C’est très compliqué si on n’est pas parfaitement bilingue. Les subtilités nous échappent et on vote à l’aveuglette. »
Une dérive inquiétante, car elle revient à imposer de facto aux élus européens une nouvelle condition à leur élection, celle d’être parfaitement anglophone, alors même qu’aucune décision démocratique n’a été prise par une instance représentative. Ce glissement vers le tout-anglais concerne l’ensemble des institutions. Ainsi, 85 % des textes émanant de la Commission, l’instance qui détient le monopole de l’initiative législative, sont en anglais, moins de 3 % en français, 2 % en allemand. A la fin du XXe siècle, 40 % des textes étaient encore en français. Au Conseil européen, le secrétaire général, Jeppe Tranholm-Mikkelsen, a donné instruction de n’envoyer au président, le francophone Charles Michel, que des notes en anglais. En salle de presse, 90 % des textes sont uniquement en anglais alors que le français est l’autre langue de travail officielle.
Lassés, des fonctionnaires européens de toutes nationalités ont envoyé, début octobre, à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, une pétition réclamant le droit « d’utiliser le français sans nous cacher et sans nous excuser », « le monolinguisme anglais nous [bridant] dans nos moyens d’expression ». A l’heure du Brexit, seront-ils entendus ?
Jean Quatremer (à Bruxelles)"
Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Langue française (note du CLR).
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