25 février 2016
"Dans cette ville de Seine-Saint-Denis, une association musulmane a invité des prédicateurs radicaux à intervenir devant plusieurs centaines de personnes le 31 décembre dernier. Une soirée qui s’est déroulée dans une salle prêtée par le maire LR Bruno Beschizza.
[...] L’auditoire a ainsi pu écouter Nader Abou Anas, un prédicateur dont il suffit de taper le nom sur YouTube pour constater que ses prêches sont assez peu progressistes. "La femme, elle ne sort de chez elle que par la permission de son mari", l’entend-on par exemple asséner dans une vidéo. "Qu’elle sache que les anges la maudissent toute la nuit dans le cas où elle se refuse à son mari sans raison valable." Dans un autre sermon sur les dangers de "la fornication", il explique à son public qu’il est "haram" (interdit par l’islam) de serrer la main aux femmes. On comprend pourquoi sa présence au Salon de la femme musulmane de Pontoise, en septembre dernier, avait fait polémique. Mais Nader Abou Anas a d’autres domaines de spécialité. Comme la musique, ces "sifflements sataniques" qui "poussent à commettre l’adultère, au libertinage, à pervertir les mœurs", comme il l’affirme dans un autre prêche...
Le deuxième intervenant, Eric Younous, n’est pas non plus un habitué des nuances, par exemple lorsqu’il décrit "la conception de la femme selon l’Occident". "La liberté, c’est de se balader à moitié nue dans les rues et n’être qu’un objet de tentation", s’insurge-t-il dans un prêche tenu au Gabon. Avant de soutenir, quelques minutes plus tard, que "la liberté de l’Occident passe par le meurtre, par le biais de l’avortement". Fin 2013, lors d’un séminaire sur "l’identité du musulman", Eric Younous estimait aussi que le shabbat était "une punition qu’Allah a infligée aux juifs". Des propos coupés au montage sur sa chaîne YouTube officielle, mais que l’on peut retrouver sans peine ailleurs.
Enfin, l’affiche de l’EMJF annonçait la présence d’un mystérieux "imam Mehdi d’Aubervilliers", dont le nom de famille n’était pas précisé. Après vérifications, il fait peu de doute qu’il s’agit d’un certain Mehdi Bouzid, qui exerce effectivement à la mosquée de la Fraternité d’Aubervilliers, perquisitionnée quelques jours après les attentats du 13 novembre. L’homme était un proche de Cherif Kouachi, l’un des deux auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo, comme il l’a reconnu en janvier 2015 sur la télévision britannique Channel 4. Des documents confidentiels de la préfecture de Seine-Saint-Denis révélés en novembre par Mediapart le décrivent comme "un prosélyte radical" qui "tient des discours pro-djihadistes".
[...] Sur le fond, le patron de l’EMJF défend le bien-fondé de sa conférence, qui viserait justement à prévenir la radicalisation : "Il y a 50% de musulmans à Aulnay, dont beaucoup de jeunes. Si demain certains partent faire le djihad, on aura une responsabilité. Il faut les convaincre que c’est un grand péché de partir en Syrie." Et pour cela, il compte sur des prédicateurs stars, quitte à fermer les yeux sur leur passif : "Je préfère inviter des conférenciers connus, même s’ils sont un peu radicaux sur certains points, du moment qu’ils sont anti-djihad." Le reste, il s’en lave les mains : "Je ne suis pas un policier. Ce qu’ils disent, ce qu’ils pensent, ce n’est pas mon problème. S’il y a un problème, c’est l’Etat français qui doit s’en occuper."
Contacté par Marianne, le maire Bruno Beschizza - pourtant connu pour ses positions très sécuritaires - n’est pas loin de dire la même chose. "Ce n’est pas à moi d’être un censeur au niveau des idées, sinon je ne prêterais pas de salle à l’opposition municipale comme je le fais régulièrement", se défend l’édile, qui assure en outre qu’il ne connaissait pas à l’avance le nom des intervenants. Cet ancien syndicaliste policier proche de Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé, qui a ravi la ville aux socialistes aux municipales de 2014, affirme de toute façon que la loi ne lui permet pas d’interdire ce type d’événement [...].
L’épisode n’est pas anecdotique. Il illustre la difficile gestion des pressions communautaristes dans un nombre croissant de banlieues. A Aulnay, l’EMJF n’en est pas à son coup d’essai. [...]
"Il n’y a pas aucun pacte, aucun marchandage", balaie-t-on à la mairie d’Aulnay, tout en reconnaissant que la situation n’est pas simple. "Le problème avec ces associations, c’est que si on se cache les yeux et qu’on leur dit non systématiquement, on les sort du cercle républicain et ça peut partir dans tous les sens", confie un proche de Bruno Beschizza. Le maire prône donc le dialogue : "L’antidote, c’est de parler à tout le monde." Y compris aux prédicateurs qui estiment que les femmes doivent rester à la maison ?"
Lire "A Aulnay-sous-Bois, le Nouvel an des salafistes au gymnase municipal".
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