par Patrick Kessel, cofondateur et président d’honneur du Comité Laïcité République, ancien Grand Maître du Grand Orient de France. 8 février 2022
Patrick Kessel, Marianne toujours ! 50 ans d’engagement laïque et républicain, préface de Gérard Delfau, éd. L’Harmattan, 8 déc. 2021, 34 e.
À la veille de l’élection présidentielle de 1981, la question laïque semble pouvoir être traitée par l’alternance politique. Les défenseurs traditionnels de la laïcité n’ont pas d’inquiétudes majeures puisqu’est écrit noir sur blanc le projet d’un grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale. C’est là une des cent propositions du candidat François Mitterrand. Comment ne pas être confiant ? Même si on entend ci et là, des rangs de la gauche, monter des discours révisionnistes. Les communistes prônent la politique de la main tendue à l’Église. Les radicaux n’ont plus l’audience qui fit d’eux le bras armé de la République laïque.
Les socialistes qui ont été rejoints par nombre de militants de tradition démocrate-chrétienne bafouillent leur laïcité. Nous ne sommes plus sous la IIIème République et l’Église a changé. La laïcité est pleinement et définitivement acquise. Il s’agit désormais d’un combat d’arrière-garde, désuet, qui sent la naphtaline, disent certains d’entre eux qui se présentent en modernistes. À les entendre, parfois même au Grand Orient, la laïcité avec sa loi à présent plus que centenaire ferait un peu vieille fille et aurait besoin d’un lifting, d’être modernisée.
L’argument de la vieillesse des idées est dérisoire. À prendre au mot ses défenseurs, il conviendrait de vite rafraîchir les religions au prétexte que Moïse se serait exprimé voilà près de 3500 ans, Bouddha, près de 2500, Jésus plus de 2000 et Mahomet près de 1500 !
Heureusement les anciens de la laïque n’ont pas décroché et les principaux syndicats pensent que la gauche au pouvoir devra revenir sur les reculs permis par la droite avec les lois Marie, Barangé, Debré, Germeur. Ces dernières, en contravention avec le principe de séparation des Églises et de l’État, inscrit dans l’article 2 de la loi de 1905, ont ouvert la voie au contournement de la loi et au financement public de plus en plus large des écoles privées, quasi essentiellement confessionnelles.
Le candidat à la présidentielle reçoit beaucoup. Il écoute ses interlocuteurs et s’en tient, sans autres précisions, au projet d’un grand service public unifié de l’éducation nationale bientôt inscrit dans le programme présidentiel. Tout au plus, rassurant la hiérarchie catholique, il concède qu’il y aura négociation sur les conditions de l’intégration des écoles privées dans le grand service. Personne ne le conteste dans la famille progressiste. Au Grand Orient, on finit par penser que cette fois sera la bonne.
Les Assises internationales de la Laïcité du Grand Orient dont Roger Leray me confie l’organisation se tiennent les 7 et 8 février 1981. C’est une réussite comme en témoigne une couverture médiatique à laquelle le Grand Orient n’est pas habitué. Il est vrai qu’à quelques semaines de l’élection présidentielle, cette manifestation prend une résonance toute particulière. Le Grand Orient remplit sa mission. Il dit haut et clair que la laïcité demeure un des piliers de la République.
Personne alors ne parle de laïcité nouvelle. Gisèle Halimi, brillante avocate au service de la dépénalisation de l’avortement, militante féministe, fondatrice de Choisir la cause des femmes avec Simone de Beauvoir, met en exergue l’immuabilité du lien entre la laïcité et le combat des femmes pour leur émancipation. Gisèle voit juste à l’heure où les femmes en lutte pour leurs libertés succèdent aux hussards noirs de la République comme avant-garde du combat laïque.
Pour l’une des toutes dernières fois, les responsables des associations laïques se retrouvent et interviennent dans le même sens, Anne-Marie Franchi, représentante des délégués départementaux de l’Éducation Nationale (DDEN), Jacques Mombé pour la Libre Pensée, Maître Yves Jouffa pour la Ligue des Droits de l’Homme, Georges Davezac, secrétaire national de la Ligue de l’Enseignement, André Henry, secrétaire général de la Fédération Nationale de l’Éducation Nationale, qui deviendra ministre. La nouvelle laïcité, le communautarisme et l’islamisme n’ont pas encore divisé les rangs.
Les partis républicains sont tous représentés. Didier Bariani, vice-président de l’UDF, Paul Laurent, du comité directeur du PCF, soulignent le lien indissociable entre laïcité et libertés et la nécessité de retrouver le souffle rationaliste ; le sénateur socialiste Louis Perrin rappelle que la laïcité implique le rejet de toutes les aliénations et que la tolérance n’est pas synonyme de complaisance. Philippe Dechartre, ancien ministre, représentant Jacques Chirac, déclare qu’il est souhaitable et possible de mettre en place un système scolaire unique. Il doit y avoir séparation absolue de l’Église et de l’État. Henri Caillavet, ancien ministre, président de la Fraternelle parlementaire, avec sa faconde et son bel accent gascon, affirme que l’esprit laïque doit être défendu avec intransigeance dans tous les domaines : école, université, information, car les laïques refusent de mettre les cerveaux en uniforme. Seul Michel Crépeau, président du mouvement des radicaux de gauche, bouscule ces belles incantations laïques en déclarant de façon terriblement prémonitoire que la lutte serait simple si les adversaires de la laïcité étaient tous à droite.
François Mitterrand avec son talent coutumier associe l’audace des principes et la prudence des annonces. Le combat laïque s’identifie au combat pour la République, souveraineté populaire, séparation des pouvoirs, dit-il, avant de s’engager à réconcilier au sein d’un grand service public de l’éducation nationale les formes d’esprit les plus diverses, à mettre en place une véritable gratuité scolaire, à faire en sorte que le système éducatif soit décentralisé, autogéré, pour un apprentissage de la démocratie. Rétrospectivement, quarante ans plus tard, éclairé par les événements qui vont advenir, le futur président, matois, confirme son engagement tout en donnant le sentiment d’une conviction plus politique que philosophique.
À l’issue de ces Assises, dans l’enthousiasme et l’optimisme qui prévalent, personne ne doute que la France est à la veille d’une nouvelle avancée de la laïcité. Il est alors clair que si ses défenseurs ne sont pas tous de gauche, presque tous les militants de gauche sont laïques. Personne n’imagine que cette évidence volera en éclats, que la grande réforme de l’école s’achèvera sur un champ de ruines et que la laïcité elle-même, pilier de la République et de la culture de la Gauche, se trouvera sérieusement menacée par une partie de ceux qui avaient vocation à la défendre et à la promouvoir.
Voir aussi le dossier Marianne toujours ! 50 ans d’engagement laïque et républicain, par Patrick Kessel (L’Harmattan, 2021) dans Livres dans Culture (note du CLR).
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