21 novembre 2015
"Manuel Valls a gaffé. « Ce n’est plus le sujet ! » a-t-il sèchement tranché, pour dire qu’il fallait renoncer au droit de vote des étrangers aux élections locales. Il y a quelques mois pourtant, François Hollande avait encore brandi cette vieille promesse. Comme Ayrault. Comme Jospin. Comme Rocard. Comme Mitterrand. En 1981, c’était la 80e des « 110 propositions pour la France » du candidat socialiste à l’élection présidentielle. Et, en 2012, le 50e des « 60 engagements pour la France » du candidat Hollande.
Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, a repris le Premier ministre en déclarant que le « vote des étrangers est toujours à l’ordre du jour du Parti socialiste ». Il y est depuis quarante ans. Ce joujou extra a beaucoup servi. Inusable. Pratique. Avant chaque élection, cette promesse est agitée à la fois pour faire monter le FN et pour ressouder la gauche. En veillant à ne pas l’appliquer quand c’est possible. Pour qu’elle reste « à l’ordre du jour » la fois suivante. Le rendement de cet épouvantail électoral est pourtant décroissant. Face au FN, les triangulaires ne sont plus seulement fatales pour la droite ; elles le deviennent pour la gauche. Mais le PS reste très attaché à cette promesse vintage. La macronisation de toute espérance économique et sociale ne laisse plus beaucoup de marqueurs de gauche. Le droit de vote des étrangers en est un des derniers, avec la gestation pour autrui et l’euthanasie pour tous.
Mais, en qualifiant méchamment cette promesse de « totem », le Premier ministre n’a pas seulement dit qu’elle n’était pas envisageable en raison de l’absence de majorité politique pour la révision constitutionnelle nécessaire. Il n’a pas dit qu’il fallait être prudent parce que les Français étaient majoritairement contre (dont 30 % des électeurs de gauche). Non, il a péché en expliquant que le droit de vote des non-nationaux n’était pas compatible avec la conception française de la citoyenneté. Spectaculaire retour en arrière. Quarante ans plus tard, Manuel Valls renoue avec une position défendue par Georges Marchais et Jean-Pierre Chevènement lors des négociations du programme commun. Le responsable du Ceres, l’aile gauche du PS, et le chef du PC s’opposèrent de concert à l’idée mitterrandienne d’un droit de vote pour les étrangers. Marchais, qui changera d’avis dix ans plus tard, « redoutait que des communes de son département du Val-de-Marne soient administrées par le consulat d’Algérie ou du Maroc », se souvient Chevènement, qui invoquait une atteinte aux principes de la souveraineté nationale..
L’Humanité, qui a bonne mémoire, accuse le Premier ministre de « la trahison d’un des idéaux porté par la gauche depuis trois décennies ». Le mérite de Manuel Valls est inverse. Il veut en finir avec le symbole d’une autre trahison. Celle du modèle républicain par un PS saisi dans les années 80 par la mode du détricotage de la citoyenneté nationale héritée de 1789, qui ira de pair avec l’abandon du modèle français d’intégration. L’argumentation était alors peu discutée. Certains réhabilitaient le système censitaire louis-philippard, en expliquant que, payant des impôts, les étrangers avaient un « droit à voter ». D’autres ajoutaient que la mesure ne concernait que quelques étrangers âgés refusant de prendre la nationalité d’un pays qu’ils avaient combattu et qu’il ne fallait pas les pénaliser. L’argument décisif fut de considérer que, puisque les étrangers européens votaient aux municipales depuis le traité de Maastricht, les autres ne devaient pas être discriminés. Façon paradoxale de nier toute valeur à cette « citoyenneté européenne » que les mêmes vantaient et ainsi d’ajouter à la négation des principes républicains celle des principes européens à venir…
Manuel Valls, qui a parlé d’« apartheid » à propos des banlieues françaises, sait aussi que le risque de gestion communautariste pointée par Georges Marchais il y a quarante ans s’est accru : le droit de vote des étrangers conduirait, comme le dit Jean-Pierre Chevènement, à la « consolidation de bastions identitaires à l’opposé des valeurs républicaines ». Mais l’inconséquence des partisans de cette régression antirépublicaine n’a pas de limites. Ils ne voient pas qu’ils proposent de créer une sous-citoyenneté au travers d’une nouvelle catégorie d’électeurs ne votant qu’aux scrutins locaux. Et éligibles pour la galerie, mais ne pouvant pas exercer de fonctions exécutives. Ni participer à l’élection des sénateurs. Cet étrange retour du « double collège électoral » des anciens départements algériens révèle l’impensé colonial qui survit chez certains socialistes, du droit à la différence et de la différence des droits de SOS Racisme à la proposition de « citoyenneté musulmane » de Terra Nova.
Parce qu’il ne croit pas que le droit de vote des étrangers soit « le premier pas vers l’intégration », comme le serinent ses partisans, mais au contraire un coup supplémentaire porté à une intégration en crise, Manuel Valls veut un retour à la tradition. La naturalisation. « Pour voter, devenez français », dit-il. Reste à préciser ce que cela veut dire aujourd’hui."
Lire aussi le communiqué du CLR Droit de vote des étrangers aux élections locales : une idée globalement négative (28 nov. 11) (note du CLR).
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