Revue de presse

"Ce n’est pas aux juges mais aux politiques de définir les règles du vivre-ensemble" (marianne.net , 22 mars 13)

23 mars 2013

"L’appel pour qu’un texte de loi dise avec pédagogie et clarté ce qu’implique la laïcité dans tous les cas de figure non réglés par la loi Chirac du 15 mars 2004 est né d’un choc. Celui produit par la décision de la Cour de cassation invalidant le licenciement d’une employée de la crèche Baby Loup qui refusait de respecter le règlement intérieur de celle-ci proscrivant tout signe religieux en portant le voile islamique.

Cet appel n’a rien de conjoncturel – réagir à une décision judiciaire renversante –, mais demande une vraie remise d’aplomb des institutions qui déraillent sur le terrain de la laïcité. Car il faut commencer par là : il n’aurait jamais dû y avoir de procès Baby Loup. Ce n’est pas aux juges mais aux politiques de définir les règles du vivre-ensemble dans ce domaine redevenu si sensible des prérogatives et prétentions du religieux. Jamais la Cour de cassation n’aurait eu à se mêler de ce conflit qui dure depuis 2008 si élus et gouvernements avaient pris leurs responsabilités.

Tout comme il avait fallu attendre quinze ans pour qu’une loi soit votée après la première affaire de voile, au collège de Creil, en 1989 – parce que, à l’époque, Lionel Jospin avait préféré s’en remettre aux magistrats du Conseil d’Etat –, les politiques ont laissé les juges trancher de nouvelles affaires qui ne pouvaient être réglées par la loi de mars 2004, qui ne concerne que l’espace scolaire. Ces dernières années ont ainsi connu nombre de contentieux (dans les crèches, lors des sorties scolaires, à l’université, etc.) qui ont empoisonné trop de collectivités. Dépourvue de textes clairs, la justice n’a cessé d’osciller dans ses décisions, rendues par des magistrats statuant en fonction de leurs expériences, leurs cultures et leurs a priori. Une vraie loterie judiciaire aboutissant souvent à des décisions – bonnes ou mauvaises – reposant sur des raisonnements juridiques très contradictoires et parfois baroques.

L’exemple ahurissant des deux derniers arrêts de la Cour de cassation, que tout le monde commente avec componction et sérieux, illustre l’absurdité à laquelle peuvent aboutir ces sollicitations judiciaires. Qu’on en juge : dans l’affaire de la caisse d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis, les juges considèrent qu’une employée contrôlant dans un bureau des liasses de remboursements de soins n’a pas le droit de porter le voile tandis que, dans celle de la crèche Baby Loup, une employée en contact avec les enfants et les parents y a droit ! Précisons, pour ajouter à l’incohérence, que les juges de la cour d’appel de Versailles avaient précédemment estimé que « les enfants n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse » avec des arguments juridiques tout aussi sérieux…

Ces oscillations de subjectivité juridique d’un juge à l’autre, d’un tribunal à l’autre et d’un département à l’autre entretiennent la confusion et contribuent à la perte des repères. On apprend ainsi avec stupéfaction que, dans l’affaire Baby Loup, les magistrats de la Cour de cassation, qui ne devraient juger que sur la base du droit français, se sont crus obligés de recueillir l’avis d’un expert de l’islam proche-oriental… Plus grave, la formulation de leur jugement invoquant une « discrimination en raison des convictions religieuses » a pour effet de valider officiellement le voile comme prescription religieuse. On se souvient que, lorsque l’affaire de Creil a éclaté en 1989, on parlait généralement du « foulard dit islamique ». De polémique en procès, un quart de siècle après il est quasiment admis que le voile est l’attribut de la vraie musulmane, ce qui constitue autant une offense qu’une intimidation vis-à-vis de toutes celles qui ne le portent pas.

Cet état de confusion doit beaucoup à la division de la gauche sur la question de la laïcité depuis les années 80, qui se traduit par l’indécision et l’immobilisme. [...]

Le président de la République a donné comme première justification de l’intervention militaire française au Mali la volonté de « protéger les femmes ». Celles de Chanteloup-les-Vignes méritent aussi d’être protégées."

Lire "Pourquoi Marianne soutient l’appel pour une nouvelle loi sur les signes religieux".



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