Tribune libre

La perversion du féminisme par les islamistes (K. Slougui)

par Khaled Slougui, consultant formateur, président de l’association Turquoise Freedom. 18 novembre 2018

Il y a une vingtaine d’années, une amie qui présidait une association de femmes m’avait sollicité pour l’aider à mettre en place un colloque sur la "discrimination envers les femmes". Féministe depuis toujours, j’ai répondu à sa demande sans poser quelque condition que ce soit - et bénévolement, faut-il le préciser ?

J’ai élaboré un petit document que j’ai intitulé "Femmes et discriminations". Il s’agissait d’éléments de réflexion pour inviter à l’échange, appeler à la discussion, et stimuler le débat.

Entre temps, rien n’a changé, si ce n’est que l’islamisme a enfourché la problématique du "féminisme".

Je vous livre tels quels mes éléments de réflexion. Le contexte y est très favorable, il l’exige même, vu la perversion du concept de féminisme mise en oeuvre par l’islamisme : il faut remettre les choses en place.

PRIMO. D’emblée, il est important d’insister sur des précisions d’ordre sémantique : historiquement, de Rosa Luxembourg à Clara Zetkin, d’Olympe de Gouges à Simone de Beauvoir et Simone Veil, le féminisme n’a jamais été "adjectivé", il a toujours été déconnecté de l’origine, de la race, de la langue, de la croyance, autorisant de la sorte la conception la plus radicale, c’est à dire l’universalité.
Partant de là, la notion de "féminisme musulman" n’est d’aucune pertinence. C’est une entourloupe, une arnaque, une fourberie, tout ce que vous voulez...
Dans les pays musulmans, les femmes revendiquaient les mêmes droits que les hommes, très souvent contre la religion, mais surtout pas au nom de la religion. La demande était profane, et relevait bel et bien du temporel, le sacré et le spirituel n’étaient tout simplement pas de mise.
Prenons l’exemple algérien, que je connais bien : l’une des revendications fondamentales, c’était l’abrogation du sinistre code la famille qui s’inspirait en grande partie de la loi islamique.
Il faut oser l’affirmer sans détour : le féminisme est consubstantiel à l’exigence de laïcité. Il ne saurait en effet y avoir de laïcité sans un principe émancipateur d’égalité sur tous les plans, et cela aussi bien entre les sexes qu’"à l’intérieur" d’un même sexe.

SECUNDO. Partant de là, je préfère qu’on parle de "féminisme islamiste" et non musulman. Je renvoie le lecteur à deux de mes "humeurs" précédentes : Les "droits des musulmanes" : une imposture islamiste (K. Slougui), La présidente de l’Unef Sorbonne est trop jeune pour nous berner (K. Slougui).
Tant il est vrai que la majorité des femmes musulmanes se battent pour la vraie égalité, c’est-à-dire celle avec les hommes, celle qui n’exige pas de faire intervenir Dieu là où c’est l’homme qui a décidé de...
La démarche des femmes islamistes n’invente rien ; elle fait partie de la stratégie d’entrisme qu’on peut décliner comme la volonté de pénétrer partout et d’investir toutes les thématiques, surtout celles qui à l’origine étaient portées par des mouvements laïques, c’est ce que j’appelle la recherche de crédibilité et de fréquentabilité.
"Il n’y a pas qu’une forme de...", c’est l’argument massue des islamistes. Il s’agit de rien moins que de pointer un concept et lui adjoindre la référence musulmane. Ainsi, on réussit le tour de force de faire admettre qu’il n’y a pas qu’une seule forme de laïcité, de liberté, d’égalité, de féminisme… etc.
Mais, en réalité c’est de l’enfumage, de l’esbrouffe, du vent.
Une affirmation de Tariq Ramadan, que j’ai reprise dans une tribune [1], prouve clairement la matrice sur laquelle se fonde le discours islamiste :
"Le travail juridique, élaboré à partir du Coran et de la sunna, est original par rapport à la conception des droits humains en Europe. Il n’est pas une seule façon d’être libre et il faut se méfier de ce paradoxe qui confine à la dictature d’un seul modèle de liberté. Il est clairement question de sauver l’âme de l’Europe ou simplement de lui en octroyer une. Se cramponner frileusement à une interprétation restrictive par crainte de l’occidentalisation est peut-être compréhensible."
Pour ma part, je n’y vois ni le signe d’une évolution, ni la marque d’un progrès, ni la promesse d’un avenir enchanteur.

TERTIO. Depuis l’accès des femmes au droit de vote, après la seconde guerre mondiale, bien des mutations se sont opérées dans le paysage social ; les dernières décennies ont été porteuses de changements marquants pour les femmes, qu’il s’agisse d’une plus grande maîtrise de la procréation, d’une incontestable progression de la salarisation, ou d’une nette amélioration de la scolarisation.
Pour autant, ces mutations majeures dans la condition des femmes ont-elles abouti à une reconfiguration des rapports sociaux, économiques et politiques entre les sexes ?
Le sujet est trop sérieux pour répondre en quelques lignes, je choisis l’option du report pour une autre "humeur", ça fera une de plus pour vous.

Conclusion. Féministe je suis, féministe je le dis ; mon rapport à la Femme se dispense d’éloquence.
Je souhaite rester sur cette prévision lumineuse de Berque : "A défaut de contenu, l’essai de « coraniser » les acquis de la modernité sans concession à ce qu’ils procurent, à savoir la rationalité critique, ne constituerait qu’une tactique à courte vue, justiciable de l’échec à court terme."

Khaled Slougui


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