9 février 2019
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Une ministre veut interdire la cigarette au cinéma, des antiracistes veulent changer le nom des rues, des féministes veulent prohiber le sexe dans l’art et, au nom de la bien-pensance, l’humour serait encadré… Avec ces nouveaux censeurs, on ne pourra bientôt plus rien dire.
L’alerte a été donnée en Grande-Bretagne. Une avocate et mère de famille s’est étranglée d’indignation à la vue d’un dessin représentant un homme embrassant une femme endormie. La belle ne pouvait être consentante puisqu’elle se trouvait plongée dans un profond sommeil. L’homme se faisait passer pour le Prince charmant, mais sous ce masque se dissimule un prédateur sexuel. L’image, on l’aura compris, provenait d’un film de Walt Disney, la Belle au bois dormant, tiré d’un conte de Charles Perrault. Les parents sont prévenus : la visite du château de la Belle au bois dormant à Disneyland expose les petites filles à un prédateur sexuel beaucoup plus redoutable que le loup rencontré un peu plus tôt par le Petit Chaperon rouge.
Les néo-féministes veillent sur les images de la femme. En mars 2017, la maison Yves Saint Laurent a dû retirer deux affiches, à la demande de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, saisie par Osez le féminisme. L’image était incontestablement suggestive, une femme allongée jambes écartées laissait voir sa culotte. Jadis, la censure eut été appelée par les associations catholiques, ce sont désormais les féministes qui se chargent de la besogne. Le mot « censeur » n’a pourtant pas de féminin. Censeure peut-être ?
Personnifiée au féminin par la tradition qui la nomme Anastasie, la censure intervient au nom de la protection des femmes. Ainsi une petite mairie d’Alsace, Dannemarie, a-t-elle été traînée en justice pour une exposition maladroite qui prétendait rendre hommage aux femmes à partir de silhouettes qui les renvoyaient aux fonctions traditionnelles. L’image la plus contestée n’était autre que la silhouette de Betty Boop, dérision des sex-symbols de Hollywood, dessinée en 1930 par Max Fleischer.
Dans la chasse aux images négatives de la femme, le second degré ne saurait être épargné. La frontière entre la dénonciation justifiée de la femme-objet et la censure pudibonde ne cesse d’être bousculée. Le titre du film de François Truffaut, Baisers volés, serait aujourd’hui source de malentendu. Le vol d’un baiser constitue un crime inexpiable. Truffaut, aggravant son cas, affronterait des manifestations pour avoir présenté un prédateur sexuel sous les traits attachants de Charles Denner dans L’homme qui aimait les femmes.
La société virtuelle ne distingue plus la réalité de la fiction. Une image de cinéma et même de dessin animé, une représentation artistique de la femme devrait donc se plier aux nouveaux critères. Le comportement de l’artiste prend le pas sur son œuvre. […]
La confusion entre réalité et fiction devient totale, dans l’enceinte du Sénat, lorsque Nadine Grelet-Certenais, sénatrice PS de la Sarthe, interpelle Agnès Buzyn, ministre de la Santé, sur la présence de la cigarette dans le cinéma français. La ministre admet, certes, qu’une interdiction semble difficile, mais s’engage à étudier le problème avec Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Cela renvoie à un débat vieux comme le cinéma. Comme si les scènes de tartes à la crème avaient incité à la violence pâtissière, comme si Vittorio De Sica était responsable de la multiplication des vols de bicyclettes et Anthony Hopkins, coupable d’incitation au cannibalisme. Mais il est vrai que l’on peut trouver sur le site Arrêt sur images une mise en cause de Matrix pour incitation au viol et, mieux encore, une dénonciation du fameux vol de baiser de la Guerre des étoiles.
Le cinéma a connu toutes les accusations. Les ligues de vertu des Etats-Unis vilipendaient les films policiers pour la violence, les comédies légères incitant à la débauche et, bien sûr, elles s’insurgeaient, ces ligues, contre l’omniprésence de sulfureuses créatures. Les staliniens tenaient le cinéma américain pour une formidable machine de propagande impérialiste, quand le sénateur Joseph McCarthy et Edgar Hoover, patron du FBI, tenaient Hollywood pour un nid de communistes.
La confusion de la représentation et du réel conduit les villes de Londres, Hambourg et Cologne à censurer les affiches de la rétrospective Egon Schiele organisée par la ville de Vienne, à l’occasion du centenaire de la mort de l’artiste, emporté en 1918 par la grippe espagnole. Certes, les femmes dénudées de Schiele angoissaient Franz Kafka, mais, s’il fallait rhabiller tous les nus des musées et ceux des statues, fresques et allégories des places et des jardins, les finances publiques connaîtraient, dans toute l’Europe, une crise sans précédent. Modernité oblige, les algorithmes des réseaux sociaux pixellisent les parties du corps dont la vue serait inconvenante. L’Origine du monde, de Gustave Courbet, sera impitoyablement chassée de Facebook. Le sexe féminin ne peut être montré que s’il s’ouvre pour laisser passer la tête de l’enfant. Autrement dit, la censure pudibonde exigée par les féministes assigne la femme à la maternité. Elle peut montrer ses cuisses ouvertes quand elle accouche et exhiber son sein en allaitant un enfant.
Tartuffe commande la nouvelle censure. Un dessin bien innocent utilisé à Marseille dans le cadre d’une campagne de prévention du cancer du sein en a fait les frais. Une femme présentant un téton à un appareil de mammographie s’étonnait que l’examen soit si bref. Aussitôt des associations féministes s’en sont émues. Une femme-objet qui montre son sein au docteur et qui en demande plus ! Un rien déclenche un scandale et appelle la censure. Mais comment illustrer la prévention du cancer du sein ? Les examens ne se pratiquent pas sur des patientes en scaphandre. Qu’importe, Tartuffe crie toujours « Cachez ce sein que je ne saurais voir », mais il parle désormais au nom du respect des femmes.
La censure devient une revendication ou une marque politique. Une extravagante campagne entend imposer la censure de la langue, sommée d’inclure le féminin dans toutes les expressions et tous les termes. Ainsi le Conseil de Paris doit-il examiner une proposition du groupe EELV introduisant l’égalité entre le « matrimoine » et le patrimoine. […]
Le Conseil représentatif des associations noires (Cran) avait demandé, non sans raisons historiques, le retrait de la statue de Colbert de la façade du Palais-Bourbon. Colbert est sans conteste le rédacteur de l’infâme code noir, régissant la traite et l’esclavage. Mais on ne saurait épargner son commanditaire, ce qui obligerait à débaptiser le lycée Louis-le-Grand, et à renverser toutes les statues du Roi-Soleil, au cœur de Paris, sur la place des Victoires et, bien sûr, dans la cour d’honneur du château de Versailles. [...]
Comme il fallait bien donner quelque chose au Cran, Françoise Nyssen, ministre de la Culture et éditrice, a décrété que l’on n’utiliserait plus le mot « nègre » pour désigner les écrivains contraints de vendre leur plume à des célébrités cotées sur le marché du livre sans avoir jamais écrit la moindre ligne. Il n’y a donc plus de nègres mais des porte-plume. Sauf que Françoise Nyssen supprime une fonction qui n’existe pas. Aucun auteur, aucun éditeur, n’a jamais employé de « nègre », dans le meilleur des cas, quand il n’est pas payé au noir, l’infortuné porte-plume se voit gratifier d’un contrat de collaborateur d’écrivain ou d’édition. Il y a bien un Schwartz dans la culture, mais c’est Marc Schwartz, le directeur de cabinet de Mme la Ministre ! Le Cran a salué la victoire. Françoise Nyssen n’a pas pour autant aboli l’esclavage littéraire, les imposteurs n’ont pas fini de se pavaner sur les plateaux pour défendre des livres qu’ils n’ont pas écrits face à des journalistes qui ne les ont pas lus.
Fort de ce succès, le Cran pointe les expressions et les noms de rues qu’il conviendrait d’abolir. […]
Au-delà des rues, les enseignements de l’histoire et de la littérature ne sauraient se plier aux exigences contemporaines. La littérature et l’histoire de France ne sont pas paritaires et ne tiennent pas compte de la diversité. Faudrait-il sacrifier, sur l’autel de l’émancipation des femmes et de l’égalité des populations issues de la diversité, les quelques bijoux de la littérature qui traversèrent les âges ? Une pièce dont le héros commence par tuer, pour l’honneur, son futur beau-père, puis trouve sa rédemption en massacrant des musulmans fraîchement débarqués, ce n’est pas dans l’air du temps. Mais c’est le Cid. […]
Les lois antiracistes elles-mêmes montrent leurs limites. La loi Pleven date de 1972. Elle interdisait déjà toute propagande raciste et antisémite. Elle n’a pas empêché Youssouf Fofana et Mohamed Merah d’être gorgés de préjugés raciaux et antisémites au point de devenir des assassins. Cette même loi justifiait l’interdiction des spectacles de Dieudonné. L’annulation par le Conseil d’Etat d’une interdiction à Marseille permet à Dieudonné d’entreprendre une tournée triomphale… Le mécanisme est connu, il a jadis bénéficié à bien des films et à quelques livres qui n’auraient jamais rencontré le succès s’ils n’avaient été interdits. Fondée sur les meilleures intentions du monde, la censure connaît toujours la même destinée : être ridicule, et, même quand ce n’est pas le cas, elle finit par être ridiculisée."
Lire "Comment la censure devient revendication ou marque politique".
Lire aussi "Harcèlement sexuel : une mère demande à l’école de son fils de bannir La Belle au bois dormant" (bfmtv.com , 6 déc. 17), Dannemarie : "Bas les pattes sur Betty Boop !" (G. Konopnicki, Marianne, 18 août 17), "« Silhouettes sexy » : le Conseil d’Etat donne raison à la mairie de Dannemarie" (Le Monde, 2 sep. 17), "La censure pour votre bien" (G. Konopnicki, Marianne, 24 nov. 17), "Des nus d’Egon Schiele censurés dans plusieurs villes d’Europe" (francetvinfo.fr , 17 nov. 17), Les journées du Patrimoine bientôt "journées du Matrimoine" ? (marianne.net , 23 nov. 17), Le Cran contre Colbert : "Autant en emporte le vent de la censure" (J. Dion, Marianne, 8 sep. 17) (note du CLR).
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