Revue de presse

"Paray-le-Monial, fief des croisés de la famille" (A. Fischetti, Charlie Hebdo, 16 août 23)

(A. Fischetti, Charlie Hebdo, 16 août 23) 20 août 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Paray-le-Monial, en Saône-et-Loire, est le rendez-vous estival de la communauté de l’Emmanuel, association religieuse qui s’inscrit dans le mouvement du renouveau charismatique. On assiste à des messes joyeuses et chantantes, mais on défend des valeurs très traditionnelles. Une sorte d’université d’été de la Manif pour tous.

Antonio Fischetti

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Si on vous parle de lieux de pèlerinage, vous allez penser à Lourdes, à Vézelay ou au Mont-Saint-Michel…Il en est un autre bien moins connu, mais tout aussi important. Nous sommes dans le sud de la Bourgogne, en Saône-et-Loire. Dans le coin, ça prie depuis des lustres : on n’est pas loin du village de Taizé, célèbre pour ses rendez-vous œcuméniques, et de Cluny, dont les moines ont longtemps rayonné sur la France.

La première image de Paray-le-Monial, c’est une majestueuse basilique. Il faut remercier Jésus. Il serait apparu à la fin du XVIIème siècle, dévoilant son cœur sanguinolent à une jeune fille, sainte Marguerite-Marie Alacoque (rien à voir avec les œufs). C’est d’autant plus remarquable que le pudique Jésus apparaît très peu, contrairement à cette exhibitionniste de Marie, qui se pavane aux quatre coins du monde. Résultat : Paray attire sans cesse des pèlerins. Et surtout, durant l’été, les membres de la communauté de l’Emmanuel.

Dans les rues de la ville, on les reconnaît facilement. Pour les femmes, c’est jupe, poussette avec trois gosses, petite queue-de-cheval, cheveux blonds le plus souvent (donc teints, vu le pourcentage de blondes naturelles qui est d’environ 5 % dans la population française). Chez les messieurs, polo à liseré bleu, bermuda, mocassins. Les habitants de Paray les appellent des « chachas » (abréviation de « charismatiques », apparemment, mais dans ce cas, ne vaudrait-il pas plutôt prononcer « caca »  ?), ou les « dévisseurs d’ampoules », à cause de leurs mains levées pendant les louanges.

Le cœur battant de la communauté se trouve dans le parc municipal. Plusieurs tentes, une buvette (sans alcool), un grand chapiteau. Ne reculant devant rien pour vous informer, je me suis inscrit à ce qu’on nomme ici une « session ». Programme d’une journée classique : messes, « enseignements » et louanges. Très important les louanges : la journée commence par elles et se termine par elles. Cela consiste à chanter, les bras levés, en tapant dans ses mains. Pour moi, impossible de se défiler : ne rien faire serait comme garder son maillot sur une plage naturiste.

Pour tout l’amour de Jésus

C’est d’ailleurs la marque de fabrique de l’Emmanuel. Cette association, dirigée par des laïques et sous l’autorité du pape, est née dans les années 1970, dans la mouvance de ce qu’on appelle le « renouveau charismatique », qui s’inspire des évangéliques américains (protestants), où les manifestations extraverties de la foi, danses, chants, transes, sont encouragées.

C’est joyeux, il faut l’admettre. Quand on croit en Dieu et qu’on s’emmerde à la messe, il y a de quoi séduire. C’est ce que m’a confié Richard Plaa, qui a intégré la communauté de l’Emmanuel à la fin des années 1970, avant de s’en détacher totalement, on verra pourquoi : « J’étais attiré par ces pratiques joyeuses, des chants, des trompettes, des guitares… Quand tu as 25 ans, c’est plus attirant qu’un curé qui récite des cantiques.  » Richard n’est pas le seul à penser ça, vu que la communauté de l’Emmanuel revendique aujourd’hui 12 000 membres, dont 275 prêtres et une centaine de séminaristes.

Chanter et danser, cela peut aussi donner envie de draguer. Petite parenthèse à ce sujet. Je n’ai quasiment pas vu de célibataires. Entre le statut d’ado accompagné de parents et celui de père ou mère de famille, la fenêtre de tir est très étroite pour la bagatelle.

Pour rester dans le thème, au vu des sujets de discussions, des livres ou des stages proposés, je découvre, non sans surprise, qu’on parle souvent de sexe. Cela dit, généralement autour du même thème, à savoir la « planification familiale naturelle ». Je commençais à imaginer la promotion de pratiques non procréatrices telles que sodomie ou fellation, or non, c’est bien moins sexy : il faut étudier la consistance des glaires suintant de la vulve pour savoir si l’on peut baiser (ou pas).

Mais assez rigolé, c’est l’heure de l’enseignement en « écologie de la foi ». Franchement, rien à redire. Il faut respecter la planète : c’est écrit dans la Bible. Et même apprendre à se libérer du téléphone portable (je suis d’accord), car ça empêche d’entendre Dieu (je n’y aurais pas pensé). En revanche, je n’ai pas bien saisi le lien entre le meurtre d’Abel par son frère Caïn et le réchauffement climatique. Une chose est sûre : dans l’écologie de la foi, on ne parle ni de fric ni de politique.

Chassez le naturel…

On ne parle pas de fric, mais on l’engrange. Et là, le vernis du discours s’écaille vite. Richard en sait quelque chose. « J’ai commencé à me détacher de l’Emmanuel quand j’ai vu l’argent prendre de plus en plus de place. Les sessions ont toujours été payantes, mais elles sont devenues de plus en plus chères. Quand vous êtes membre, vous devez payer une dîme, généralement de 10 à 15 % de votre salaire, mais sans obligation, et on vous sollicite en permanence pour financer tel ou tel projet. »

Résultat : les cathos babas cool des débuts ont été remplacés par des bourgeois bon teint. Pour avoir critiqué cette dérive financière, Richard, après avoir été salarié de l’Emmanuel pendant sept ans, s’est fait virer du jour au lendemain : « Il y a un manque de respect de la personne dans la façon dont la communauté traite les gens qu’elle emploie. Je connais d’autres cas en dehors de moi. »

Même depuis ma position de novice, cet aspect financier saute vite aux yeux. Comme chaque participant, j’ai dû débourser 170 euros. En arrondissant à 12 000 personnes pendant l’été, ces sessions doivent bien rapporter quelque 2 millions d’euros à la communauté. Et en plus de payer, on doit bosser. Sous le chapiteau, un joyeux animateur sollicite régulièrement l’assistance : il faut des volontaires pour s’occuper des gosses, et d’autres pour préparer les repas, et d’autres encore pour faire la vaisselle…Les gens se précipitent, ça doit faire partie de leur mission. Pour la caisse, c’est le jackpot : beaucoup de fric qui rentre, et main-d’œuvre gratuite.

De plus, j’apprendrai que la municipalité de Paray (de droite) offre la gratuité de l’utilisation du parc municipal à la communauté de l’Emmanuel, plutôt que de lui faire payer une location, comme la logique républicaine l’aurait exigé. Ce qui revient à financer un rassemblement religieux par de l’argent public  !

Étrangement, les habitants ne mouftent pas. Hormis une poignée de rebelles. Leur leadeuse s’appelle Germaine Lemétayer. Cette septuagénaire ultra dynamique est le fer de la ­défense de la laïcité dans la ville. Elle a été conseillère municipale dans l’opposition de gauche, mais c’est aujourd’hui au nom de la section locale de la Ligue des droits de l’homme (LDH), dont elle est la fondatrice et présidente, qu’elle s’insurge contre « un lobby politico-religieux financé en partie par les contribuables de la ville ».

Germaine ne manque pas de griefs contre la commu­nauté de l’Emmanuel : elle dénonce des séances de « guérisons » effectuées par des prêtres, des abus sexuels commis par d’autres…Germaine a diffusé dans les boîtes aux lettres de la ville un tract intitulé « L’Emmanuel, bouge de là  !!! ». Le maire de Paray l’a accusée d’être mue par une « obsession anti­catholique  » à l’encontre d’un rassemblement qui rapporte du fric aux commerçants. Ça n’empêche pas Germaine de continuer son combat contre l’Emmanuel qui, selon elle, porte un projet « de reconquête catholique de la France ».

Un danger pernicieux

Il y a beaucoup de choses qui lui donnent raison. Voilà quelques années, la communauté avait organisé des sortes de thérapies qui prétendaient remettre les homosexuels dans le droit chemin, par l’abstinence et la prière. Ils ne le font plus, mais pas sûr que leur jugement sur l’homosexualité ait changé.

Pour eux, un homme est un homme et une femme est une femme. Au cas où je ne saurais pas trop comment être un homme, je peux m’inscrire à un camp qui m’aidera à découvrir mon « âme masculine ». Après avoir fait du foot, de la boxe et des randonnées en montagne avec d’autres mecs, au retour, les femmes me verront différemment. Quant à celles-ci, il leur est proposé des week-ends qui les aideront à « s’émerveiller de [leur] identité féminine » et à « découvrir [leur] mission de femme dans le monde », cela grâce à des « veillées » et à des « ateliers créatifs ». En somme, les dames enfilent des perles au coin du feu, pendant que les messieurs gravissent des sommets.

Au fond, les membres de l’Emmanuel sont obsédés par le sexe. Leur vision du monde se résume à un même schéma : il y a des couilles d’un côté, des utérus de l’autre, et le tout sert à faire des enfants. Pas étonnant que Paray-le-Monial ait été un haut lieu des opposants au mariage pour tous. Il faut savoir qu’un des membres éminents de l’Emmanuel est Dominique Rey, évêque du diocèse de Fréjus-Toulon, connu pour sa proximité avec l’extrême droite.

Cela dit, je n’ai rien entendu de choquant durant mon séjour ici. Rien d’homophobe, ni de raciste, ni de misogyne. Mais j’en repars avec l’impression d’un danger plus pernicieux. Ce n’est pas parce qu’on danse sur du rock pendant les messes qu’on n’y dit pas les mêmes conneries que dans celles ânonnées en latin par de sinistres sires. Ce n’est pas de problématiques religieuses mais d’enjeux politiques qu’il est question ici. Avant d’être portés dans les couloirs de l’Assemblée, c’est dans des endroits comme Paray que mûrissent les projets de ceux qui veulent imposer leur modèle social à la papa-maman-poussette-Jésus."



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