Contribution

On ne saurait modifier le principe constitutionnel de laïcité sans référendum (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 24 février 2019

Le 4 février dernier, dans le cadre du Grand débat national, Emmanuel Macron était à Évry-Courcouronnes face aux doléances des maires et associations de banlieue. Il a évoqué à cette occasion la laïcité : « Ne faisons pas comme si, parce que nous avons la loi de 1905, tout va bien ». Il en conclut qu’elle était l’un des enjeux du Grand débat, non « pour réformer la loi de 1905, mais pour la renforcer ». Ce qui signifie vouloir la réviser. Il a à cette occasion révélé sa volonté d’en faire un élément de réponse aux problèmes des quartiers. Mais est-ce bien approprié ? Il avance vouloir tenir compte d’une situation où les associations musulmanes sont souvent sous le statut de la loi de 1901 (Liberté d’association), et ainsi hors de celui de la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, sous lequel elles sont censées se placer. Il souhaite leur accorder des avantages matériels par cette modification, pour qu’elles acceptent de s’inscrire dans la loi, pensant ainsi mieux pouvoir les contrôler. Ce qui revient à donner à ces associations un label d’État, puisque pour en bénéficier, les associations candidates devront voir reconnue par le préfet leur qualité d’association cultuelle. Il est inclus la possibilité nouvelle, entre autres, de détenir des immeubles et de les faire fructifier, une source de financement à ce jour interdite, au risque de renforcer le pouvoir financier des cultes [1]. On parle ainsi de « consolider la gouvernance des associations cultuelles ». Mais est-ce bien du ressort de l’État de jouer ce rôle ? Emmanuel Macron expliquait, pendant sa campagne présidentielle, qu’il n’était pas nécessaire de revoir la loi de 1905 pour faire une place à l’islam [2].

Une loi qui marche, plébiscitée et, d’une certaine façon, sacrée

Il faut renforcer les contrôles sur les associations en cause, qui s’éloignent de leur rôle et qui sont soumises à la règle du respect de l’ordre public, de façon ordinaire. Par ailleurs, on ferme régulièrement des mosquées extrémistes en s’appuyant sur la loi de 1905, au titre de la police des cultes [3]. Il n’est donc nul besoin de modifier la loi pour cela en accordant des avantages aux cultes pour mieux les contrôler, ceci créant un cadre d’interférence mutuelle susceptible d’offrir aux religions une nouvelle influence sur les grands choix de l’État, et donc, des citoyens. Seuls les articles touchant le régime des cultes seraient concernés, dit-on, et plus particulièrement le titre V, « Police des cultes », plus précisément les articles 18 à 36, soit environ un tiers de la loi (!). Ce qui fait dire qu’on ne toucherait pas aux articles 1er et 2e de celle-ci, l’un sur la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, l’autre sur l’absence de toute forme de financement. Ils n’en seraient pas moins dénaturés. Ce qui promet de nouveaux malentendus, dilemmes, voire des risques de nouvelle concurrence et d’affrontements entre les cultes. Toucher à cette loi pour l’adapter aux circonstances, dans le contexte si fragile de notre société dont les regains récents d’antisémitisme témoignent, c’est l’exposer à tous les risques. C’est mettre à mal une loi que l’histoire a jugé comme une loi d’équilibre, qui a fait son office en nous protégeant des mille dangers du mélange entre religieux et politique.

La dernière étude d’opinion réalisée par Viavoice pour l’Observatoire de la laïcité, révèle pourtant que près de trois Français sur quatre (73 %) se déclarent attachés à la laïcité telle que définie par le droit (après rappel de la définition). 69 % des personnes interrogées jugent qu’il s’agit d’un « principe républicain essentiel ». C’est sans doute un consensus des plus forts autour de l’un de nos principes constitutionnels, devenu dans la durée une part de notre identité nationale et républicaine.

L’éclairage du Grand Maître du Grand Orient contre toute modification de la loi

Lors d’une initiative organisée à l’Institut Diderot à Paris sur cette question le 29 janvier 2019, Jean-Philippe Hubsch, Grand Maître du Grand Orient de France, a fait une intervention sur le thème : « L’avenir de la Loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État » [4]. Après avoir rappelé la volonté du président de la République « de réformer la loi de 1905, il a rappelé que le Grand Orient avait signé « « l’appel des 113 » [5] qui exprime l’opposition des signataires à la modifier. « Si des problèmes existent incontestablement sur l’organisation et l’exercice de certains cultes, la loi de 1905, la jurisprudence du Conseil d’Etat, voire des textes particuliers y pourvoient ou pourraient y pourvoir. Nous nous opposerons à toute modification des articles 1 et 2 de la loi et à toute disposition qui aurait pour but de modifier la nature des relations entre l’État et les cultes. »

Il a insisté sur la vigilance à ce sujet au regard de « la récente lettre du Président de la République aux Français » qui évoque la laïcité en ces termes : « Comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le rapport entre l’État et les religions de notre pays ? » qu’il n’a pu éviter de rapprocher de son discours prononcé au Collège des Bernardins [6]. Puis, il a précisé sa pensée : « S’appuyer sur la jurisprudence du Conseil d’Etat relative au contrôle de la qualité d’association cultuelle pour modifier la loi de 1905 en vue, selon ce que nous pouvons savoir des intentions des pouvoirs publics, de consolider la gouvernance des associations cultuelles et mieux responsabiliser leurs dirigeants, me paraît risqué. En effet, la jurisprudence a pour objet de garantir la bonne application de la loi, pas de la modifier. Amender la loi de 1905 pour renforcer le contrôle d’un culte, le culte musulman, même si ce n’est que pour lutter contre les dérives fondamentalistes, ouvre la voie à ce qui peut s’analyser comme une ingérence de l’État dans le fonctionnement d’une « église » (au sens large du terme). Le principe de séparation entre les Églises et l’État implique que l’État ne se mêle pas du fonctionnement d’un culte. Si l’ordre public est atteint par une pratique religieuse illégale, l’État intervient pour réprimer cette atteinte non pas au titre du culte, mais au titre de l’infraction et de ses auteurs. Je mets donc en garde contre toute tentation de régler un problème, certes réel, par des dispositions contraires à la loi de 1905 et qui plus est, risquent d’être inefficaces, voire anticonstitutionnelles. »

Il a ensuite insisté sur le caractère constitutionnel du principe de laïcité réaffirmé par le Conseil constitutionnel : « Ce principe de laïcité est donc inscrit dans les « gênes » de la République. Nul ne peut donc le manipuler sans prendre des risques inconsidérés. » Il en a rappelé le contexte : « Tantôt la laïcité est confisquée au profit d’un projet identitaire et utilisée comme une arme contre l’islam. Tantôt, et à l’opposé pourrait-on dire, elle est réduite à un simple principe de tolérance au service d’un projet multiculturaliste d’organisation des assignations identitaires. » Il a aussi constaté que la laïcité a perdu beaucoup de sa force symbolique, situation à laquelle le Conseil d’État n’est pas étranger. « L’État républicain a le devoir de s’impliquer dans la défense de projets universalistes, face aux attaques communautaristes de certains groupes de pression », a-t-il ajouté.

Pas de modification du principe de laïcité sans consultation du peuple

Si, comme nous ne le souhaitons pas et comme nous continuons à nous y opposer, la démarche actuelle de révision de la loi de 1905 continuait, cette dernière faisant partie intégrante du principe de laïcité et en constituant le socle, il apparaît nettement que l’on ne saurait la modifier sans que le peuple soit consulté.

Rappelons ici que ce principe est inscrit dès l’article Premier de notre Constitution, la norme juridique suprême dont nos droits et libertés découlent, comme l’un des attributs de la République : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Ce caractère constitutionnel a été réaffirmé dans une décision du Conseil constitutionnel rendue le 19 novembre 2004, sur la question de savoir si l’autorisation de ratifier le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, devait être précédée d’une révision de la Constitution [7]. Il était rappelé que « L’Union respecte l’identité nationale des Etats membres inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles ». Il était ainsi précisé que relativement à la Charte des droits fondamentaux de l’Union qui en son « article II-70, reconnaît le droit à chacun, individuellement ou collectivement, de manifester, par ses pratiques, sa conviction religieuse en public ou en privé (équivalent à l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) [...] que cet article « a été constamment appliqué par la Cour européenne des droits de l’homme en harmonie avec la tradition constitutionnelle de chaque Etat membre ; que la Cour a ainsi pris acte de la valeur du principe de laïcité reconnu par plusieurs traditions constitutionnelles nationales [...] que, dans ces conditions, sont respectées les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles « la France est une République laïque », qui interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. »

La laïcité française étant reconnue par la CEDH comme principe constitutionnel dans ses décisions, il n’était pas nécessaire concernant ce principe que soit donné lieu à révision pour ratifier le Traité (rejeté par les Français lors du référendum du 29 mai 2005.).

Signalons aussi que la valeur constitutionnelle de la loi de 1905 se trouve encore affirmée dans la Charte des droits et devoirs du citoyen français, au titre des "Principes, valeurs et symboles de la République française", sur le fondement de laquelle on peut obtenir la nationalité française par acquisition.

A propos du Grand débat qui anime le pays, le chef de l’Etat a déclaré y voir une issue à la crise des « gilets jaunes », y compris le cas échéant par un référendum, le 26 juin prochain, couplé aux élections européennes. Selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour Le Figaro et Franceinfo (7/02/2019), 55 % des Français estiment qu’un scrutin le jour des européennes est une « bonne idée » et permettrait de tirer les conclusions du Grand débat. On voit combien nos concitoyens sont attachés plus que jamais à une démocratie dans laquelle ils peuvent intervenir directement, redonnant tout son sens à l’idée de souveraineté du peuple. La consultation du peuple en cas de révision de la loi de 1905 apparait, aussi sous cet angle, comme incontournable. Vouloir procéder autrement serait blesser gravement nos institutions et la Nation. Cela, inévitablement, ne serait pas sans conséquence sur les fractures actuelles de notre société, que la montée de la violence révèle avec inquiétude, dans un contexte où notre représentation politique connait une crise profonde de légitimité. Il en est ici appelé à la responsabilité du président de la République, et au respect des principes fondamentaux dont il est le garant.

Guylain Chevrier, vice-président du CLR, signataire de l’Appel des 113.

[1"Loi de 1905 : Macron tranquillise les responsables des cultes", Le Monde, 11/01/2019. https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/11/loi-de-1905-macron-tranquillise-les-responsables-des-cultes_5407765_3224.html

[3"Fermeture de mosquées guerrières et antirépublicaines : quand on veut, on peut !" Par Mezetulle, (Catherine Kintzler). http://www.mezetulle.fr/fermeture-demosquees-guerrieres-et-antirepublicainesquand-on-veut-on-peut/

[4Discours de Jean-Philippe Hubsch, Grand Maître du Grand Orient de France, prononcé mardi 29 janvier 2019 à l’Institut Diderot à Paris qui avait pour thème : « L’avenir de la Loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État », publié le 01/02/2019. http://www.godf.org/index.php/actualite/details/liens/position/nom/Prise-de-position/slug/discours-de-jean-philippe-hubsch-grand-matre-du-grand-orient-de-france-prononc-mardi-29-janvier-2019-linstitut-diderot-paris-qui-avait-pour-thme-lavenir-de-la-loi-de-1905-sur-la-sparation-des-glises-et-de-ltat-

[6Le 9 avril 2018, le Président de la République s’est adressé à la Conférence des évêques de France (CEF) au Collège des Bernardins. Il a dans son discours déclaré : « Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer. » https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/Emmanuel-Macron-Bernardins-discours-2018-04-09-1200930420

[7Conseil constitutionnel - Décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 - Traité établissant une Constitution pour l’Europe. https://www.conseilconstitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2004505dc/2004505dc.pdf




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