Edito du président

Monsieur le président, osez la laïcité ! (P. Kessel, 9 juin 17)

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 9 juin 2017

(Version intégrale d’une tribune publiée dans Marianne du 9 juin 2017).

La France s’est choisie le plus jeune président de son Histoire. C’est une belle image que notre pays donne de lui et qu’une subtile communication déroule comme un tapis rouge au reste du monde. Mais le président hérite d’une nation déchirée, tendue, menacée, démoralisée. Immédiatement, il devra faire face à trois crises redoutables qui se chevauchent sans se confondre : les fractures sociale, politique et culturelle.

Des deux premières, les candidats ont beaucoup parlé pendant la campagne de la présidentielle. Elles seront au coeur des premiers débats de la nouvelle législature.
En revanche, on a très peu évoqué cette déchirure culturelle qui divise profondément la nation. Intolérances, montée des revendications communautaristes dans les crèches, les écoles, les universités, les hôpitaux, les prisons et même les entreprises, islamisme radical, xénophobie identitaire, menaces sur l’égalité entre hommes et femmes, paix civile fragilisée... La situation est grave. La société française est en crise. "L’élection présidentielle doit replacer la laïcité au coeur de la République", écrivions-nous au début du printemps dans un Manifeste signé par plusieurs milliers de personnes (publié dans Marianne).

Nous y sommes.

La France a un ardent besoin de faire République, de rassembler toutes les femmes et tous les hommes, quels que soient leurs origines, leur couleur, leur philosophie ou leur religion, leur sexe, leurs opinions. Les rassembler dans une citoyenneté universaliste et fraternelle qui postule qu’au-delà de leurs singularités, ils sont d’abord et avant tout des femmes et des hommes libres et égaux en droit. La laïcité en constitue la clé de voûte, cet élément d’architecture discret, qui pourtant tient à lui seul tout l’édifice.

Ce sont ces principes d’égalité en droit et de liberté absolue de conscience qui sont ouvertement contestés et fragilisés par leurs ennemis de toujours, l’extrême-droite et les intégrismes religieux mais aussi désormais par des forces différencialistes qui, comme l’avait prédit Régis Debray voilà près de trente ans, sont passées du droit à la différence à la différence des droits. C’est la République qui est attaquée au coeur.

Après les attentats barbares contre Charlie et le Bataclan, après l’émouvant sursaut populaire, on a vu monter en puissance un mouvement différencialiste, communautariste se revendiquant de la gallophobie, de la judéophobie, de la républicophobie, de la haine de la laïcité, tel le rappeur Médine qui chantait "Crucifions les laïcards comme à Golgotha".

L’antiracisme a été par certains détourné afin d’interdire toute critique de l’islam politique. Des réunions ont été organisées, interdites aux blancs, censés être les seuls racistes ! Cette idéologie a même pris place dans une certaine extrême gauche pour qui l’islamisme aurait remplacé le prolétariat dans la lutte des classes ! Et un think tank, proche du pouvoir de gauche, a même proposé une citoyenneté à géométrie variable pour tenir compte des origines de chacun. Autant dire renvoyer chacun aux déterminismes de sa naissance, l’enfermer dans ses traditions et lui fermer la voie de l’émancipation. Les femmes en premier lieu.

Ce qui pouvait un moment être traité comme des épiphénomènes s’est installé en un mouvement profond, radical. "Derrière le visage avenant du pluriculturel, on entrevoit le mufle du pluriconflictuel", écrit Pierre-André Taguieff, pour qui ce mouvement "s’inscrit dans une vision manichéenne ne laissant d’autre perspective qu’une guerre civile ethnicisée’’ (Pierre-André Taguieff, L’Islamisme et nous, Ed du CNRS, avril 2017).

La majorité des politiques a préféré traiter le problème par le déni comme l’avait fait l’Observatoire de la laïcité. La campagne présidentielle l’a tristement illustré. Le candidat de la droite a préféré faire une large place aux mouvements catholiques radicaux qui s’étaient illustrés contre le Mariage pour tous. Le candidat des Insoumis a évoqué la laïcité mais uniquement pour demander l’abrogation du Concordat. Le candidat du PS a choisi de n’évoquer aucun des problèmes posés par le communautarisme à l’école, dans les hôpitaux, certains de ses proches s’illustrant par des déclarations en faveur d’un féminisme envoilé. Seule, la candidate du Front national a évoqué la laïcité mais pour la détourner à des fins de stigmatisation des musulmans. Rien d’étonnant pour l’extrême-droite qui a toujours défendu une identité française bien peu laïque, blanche, catholique, apostolique et romaine ! [1]

Le débat n’a pas eu lieu. Pour quelles raisons ? La peur de paraître hostile aux musulmans alors que la majorité d’entre eux souhaite vivre comme des citoyens parmi les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs et qu’ils sont dans le monde les premières victimes de l’islamisme radical ? La culpabilité post-coloniale d’une guerre d’Algérie qui n’en finit pas de nourrir des ressentiments alors que ce pays a connu lui-même les affres du terrorisme islamiste ? Le besoin de trouver, après l’effondrement de l’Union soviétique, une force de substitution au "prolétariat perdu" pour lutter contre le capitalisme ? La légitime hantise d’affrontements communautaires qui menacent régulièrement et qu’il faut prévenir à tout prix ? Ou bien ne s’agit-il, plus prosaïquement, que d’électoralisme et de marketing politique pour essayer de gagner les voix des citoyens de culture ou de confession musulmane ?

Le nouveau président hérite d’une situation inquiétante qui nécessite détermination pour asseoir les principes républicains garants de la paix sociale et modération pour construire une vision commune de l’avenir. Il peut compter sur une très large majorité de français qui, à plus de 80 %, estiment que la laïcité, même si elle n’a pas vocation à régler tous les problèmes, est une donnée essentielle. Il ne s’agit pas de vivre ensemble dans des ghettos culturels juxtaposés, voire de coexister entre groupes aux lois différentes, mais de vivre ensemble une authentique citoyenneté fraternelle.

Un véritable débat serein doit s’ouvrir. Le président s’est engagé à ne pas modifier la loi de séparation des églises et de l’Etat. C’est une bonne chose quand on se souvient des tentatives de "toilettage" de Nicolas Sarkozy. Encore faut-il mettre un terme aux contournements de la loi et donner par exemple aux élus locaux les moyens de résister aux pressions pour obtenir des financements en faveur d’associations dites culturelles qui sont le faux-nez d’associations cultuelles. Aussi serait-il important d’inscrire dans la Constitution les principes de la loi de 1905. Encore faut-il réinstituer l’école publique et laïque comme lieu sacré et creuset de la République où l’on forme avec les enfants de toutes les couleurs les futurs citoyens libres et égaux et ne pas la laisser dériver en école des pauvres et des minorités. Encore faut-il être intransigeant avec les principes mêmes de la République, en premier lieu, la totale égalité entre femmes et hommes.
Encore conviendra-t-il de favoriser le respect de la laïcité dans tous les organismes publics et trouver les moyens réglementaires ou législatifs permettant d’asseoir la neutralité dans les organismes privés qui le souhaitent, en s’appuyant sur les récentes décisions de la Cour de Justice européenne.

Mettre la laïcité au coeur de la société, cette perspective est d’autant plus urgente que la lutte contre le jihadisme d’une part et la montée des xénophobies de l’autre doit impérativement s’accompagner d’un combat intellectuel. Mais il convient aussi, quand 16 millions de nos concitoyens ont voté nul, blanc ou se sont abstenus, et que près de 11 millions ont voté pour le Front national, de proposer une espérance fondée sur la citoyenneté et la fraternité.

Dans la confusion intellectuelle et politique ambiante, il est pour certains de bon ton de dénoncer la République comme "colonialiste", "xénophobe", voire "raciste". Il convient de rappeler qu’elle a inspiré les révolutions européennes, les libérateurs latino-américains et certains leaders de la décolonisation en Afrique, qu’elle fut au coeur du programme du Conseil national de la Résistance, parce qu’elle est porteuse d’un message d’universalisme.

C’est cette image de la France qui est aimée dans le monde. C’est cette vision d’avenir, dégagée de la haine de soi, adaptée au temps modernes, qu’il convient de tracer comme le Petit Prince dessinait un mouton. Un nouveau projet pour une République plus laïque et plus sociale.

En rebaptisant son mouvement "La République en marche", Emmanuel Macron avait probablement à l’esprit le projet d’un nouveau pacte républicain. Un mouvement qui n’est ni de droite, ni de gauche ou bien de droite et de gauche, avait annoncé le candidat. Cela tombe bien : la laïcité n’est ni de droite, ni de gauche. Elle est au service de la liberté, de l’égalité, de l’émancipation, de la citoyenneté, de la fraternité républicaine. Elle devrait naturellement trouver place au coeur de la politique du nouveau président, atténuer les passions et contribuer à la concorde.

Monsieur le président, osez la laïcité !



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