Meeting « Pour la défense et la promotion de la loi de 1905 » (1er oct. 05) : intervention de Philippe Foussier

Président du Comité Laïcité République 2006

Palais de la Mutualité, Paris.

Citoyennes, citoyens, chers amis,

Nous sommes ici réunis pour défendre et promouvoir la loi de 1905 et je veux d’emblée saluer le travail réalisé par le Comité de liaison de l’appel aux laïques animé par Christian Eyschen.

Je salue aussi, au nom du Comité Laïcité République, les représentants des organisations laïques présentes et au-delà vous tous, militants laïques qui faites de la laïcité, par votre engagement, par votre conviction, une valeur conquérante dont les débats publics montrent qu’elle est moins que jamais une idée destinée aux musées.

Ici, nous en sommes tous convaincus. Mais il y a quelques années encore, certains affirmaient, parfois même au nom d’organisations appartenant à la gauche, que la laïcité était historiquement périmée et géographiquement inexportable. Avant d’en finir avec elle pour ériger le modèle multiculturaliste et différentialiste en nouveau principe, il fallait d’abord altérer et même dénaturer le principe de laïcité en la revendiquant « ouverte », « plurielle » ou encore « tolérante ».

Où sont-ils aujourd’hui, ceux qui demandaient il y a quinze ans que la laïcité renonce à elle-même ? Ils n’hésitent pas à manifester dans la rue contre la loi interdisant les signes religieux à l’école avec les partisans de la charia, avec les tenants de l’excision des fillettes, avec les promoteurs de la lapidation des femmes adultères. Voilà où les a menés leur laïcité prétendument « ouverte ». Ils s’affichent dans les tribunaux avec des intégristes religieux pour faire condamner un écrivain qui a osé dire que « l’islam est la religion la plus con », concourant au rétablissement du délit de blasphème [1] au pays de Voltaire après que nos anciens aient depuis plus de deux siècles, et en particulier avec l’oeuvre de la Convention, combattu pour faire reculer un cléricalisme toujours vivace.

Bien sûr, nous avons eu raison de ne pas céder aux sirènes du différentialisme et raison de maintenir le cap. Et avec nous des milliers de militants parfois minoritaires dans leurs organisations.

Il y a 10 ou 15 ans rappelez vous, nous étions sur la défensive, et nos associations, notre combat, cantonné à un quasi-ghetto. Depuis quelques années, que de progrès réalisés !

2005 aurait pu être un centenaire désespérant pour la laïcité. Bien sûr, les entorses, les atteintes à la laïcité sont multiples dans notre pays. Mais je vous invite aujourd’hui à regarder la situation de façon positive. Nous avons d’excellentes raisons d’être des militants laïques confiants dans notre combat et satisfaits à bien des égards de la France et de l’Europe. En quelques années, la laïcité a donc quitté le seul terrain des débats entre organisations laïques pour investir, et avec quelle puissance, le débat public.

Depuis 1905 nous n’avons connu que des reculs, que des atteintes, depuis les lois de 1959 sur l’école privée jusqu’aux accords Lang-Cloupet, du recul de 1984 à l’offensive Bayrou en 1994 sans oublier bien entendu Vichy. A chaque fois, pendant près d’un siècle, les laïques, après la grande loi de 1905, ont subi des offensives cléricales sans toujours être en mesure de les contrer.

Mais en juillet 2003, le président de la République lance un débat public sur la laïcité, créant la Commission Stasi. A titre personnel, je ne vous cache pas que j’eusse préféré la gauche prenne l’initiative. Mais il faut se rendre à l’évidence : c’est grâce à un président de droite que nous avons connu la seule avancée législative depuis près d’un siècle avec la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école. La laïcité a marqué un point. Elle n’a plus reculé, elle a réaffirmé sa pertinence, sa modernité, et de surcroît par l’acte le plus solennel : celui de la loi.

Et rappelez-vous : alors que la Commission Stasi débutait ses travaux, le président de l’Assemblée nationale créait de son côté une Mission d’information sur la seule question des signes religieux à l’école publique. Et pour souligner l’attachement qu’il portait à cette question, Jean-Louis Debré présidait lui-même cette mission d’information, en marquant le souhait que la représentation nationale prenne ses responsabilités devant les citoyens. Ce n’était en effet ni au juge, notamment administratif, ni à la presse, ni aux religieux, ni aux sondages de dire la loi laïque, mais au Parlement. La France a ainsi marqué à nouveau solennellement son attachement à ce principe.

Fustigé par les régimes cléricaux, attaqué par les dignitaires religieux, stigmatisé par les Etats-Unis d’Amérique, notre pays a fait face. Comme lorsque nos ancêtres détruisaient l’Ancien Régime. Et la catastrophe que certains prédisaient après le vote de cette loi ne s’est en rien produite.

Parallèlement, les partis politiques se sont réveillés. Le Parti socialiste, qui semblait fuir le thème de la laïcité depuis 20 ans, a renoué avec le combat laïque. Pour y avoir assisté, je vous avoue avoir été un militant laïque heureux lorsqu’au Congrès du PS à Dijon, en mai 2003, Laurent Fabius a prononcé son discours intitulé « Marianne ne peut pas être voilée », entraînant le Parti dans son ensemble et conduisant les parlementaires socialistes à voter la loi interdisant les signes religieux à l’école. Qui peut affirmer qu’il en aurait été de même il y a 15 ans, en 1989 par exemple, quand fut créé, à la suite des premières apparitions de voiles islamiques à Creil et à Flers, le Comité Laïcité République autour de Maurice Agulhon, Henri Caillavet, Alain Finkielkraut, Patrick Kessel, Catherine Kintzler, Claude Nicolet et d’autres ? A l’époque, le ministre de l’Education renonçait à prendre ses responsabilités et bottait en touche en refilant le bébé au Conseil d’Etat. C’est à cause de cette décision – cette abdication du politique – que la situation s’est envenimée.

Au-delà du contexte national, nous pouvons aussi nous réjouir du rejet de la Constitution européenne qui, vous le savez, dans son préambule comme dans certains de ses articles, remettait en cause la laïcité. Cette Constitution, nos concitoyens l’ont rejetée. A une majorité confortable. Mais auparavant, le Président de la République et le Premier ministre s’étaient battus, seuls contre tous les dirigeants européens, pour faire disparaître du préambule les références aux racines chrétiennes de l’Europe. Ils avaient partiellement obtenu gain de cause en dépit de l’acharnement du Vatican, de la Pologne ou de l’Italie à revendiquer cet héritage. Certes, il restait dans ce texte de nombreuses atteintes à la laïcité, qui ont d’ailleurs conduit le CLR à se prononcer contre son adoption. Mais les plus hautes autorités de l’Etat, à l’époque Chirac et Jospin, ont préféré déplaire au Vatican qu’aux citoyens attachés à la laïcité. J’y vois plutôt un signe encourageant pour notre combat.

Bien entendu, dans ce paysage institutionnel qui pourrait être plus défavorable, il y a un homme, le ministre des Cultes, qui nous incite à demeurer vigilants. Son obsession à vouloir réviser la loi de 1905 n’est déjà pas de bon augure. Son ingérence dans les affaires internes d’une religion, l’islam, en amplifiant le mouvement initié par d’autres ministres de l’Intérieur, nous entraîne dans un processus dont nous ne mesurons pas encore tous les risques. La République veut ainsi régler les problèmes des responsables religieux musulmans ? Un jour, ceux-ci, logiquement, revendiqueront la réciproque et diront à l’Etat comment il faut qu’il s’adapte aux préceptes de l’islam. Sarkozy a d’ailleurs fait un pas dans cette direction en se rendant au congrès de l’UOIF devant une assemblée où les hommes et les femmes sont séparés. De plus, la politique menée par le ministre de l’Intérieur tend à nous faire croire que tous les musulmans sont pratiquants ; il voudrait tant qu’il n’y ait que des croyants et des pratiquants pour que la religion règle les affaires de la cité.

Sarkozy et la religion, c’est en définitive la filiation politico-historique du concordat napoléonien, que les Alsaciens-Mosellans connaissent bien. En évoquant parallèlement la discrimination positive, M. Sarkozy ne se cache pas de vouloir réformer le modèle français, lui qui rosit de plaisir lorsqu’on l’appelle « Sarko l’Américain ». Avec la discrimination positive comme pour la religion, c’est finalement toujours un discours qui renvoie aux origines, aux racines, à la tradition, comprises dans ce qu’elles peuvent avoir de plus sclérosant pour l’individu.

Nous, républicains, laïques, qui croyons en l’homme et qui militons précisément pour que les citoyens soient dégagés de la gangue de leurs origines ethniques, familiales, culturelles, régionales, bref de leur communauté, surtout lorsque ces communautés enferment et empêchent l’émancipation, nous ne pouvons que nous dresser contre cette conception communautariste. Et qui nie la capacité de tout homme à se projeter dans un autre destin que celui que déterminent ses origines. Cette conception de l’homme est réactionnaire et malheureusement on la rencontre aussi à gauche : elle appelle notre vigilance.

Je n’ai aucun doute sur la vôtre. Et je crois, à travers les exemples que j’évoquais tout à l’heure, que nous pouvons être raisonnablement optimistes quant à notre capacité à convaincre. La laïcité, la liberté, l’égalité, la fraternité l’emportent toujours lorsqu’elles trouvent pour les défendre et les promouvoir des combattants déterminés.

[1Voir le communiqué du CLR Délit de blasphème (21 mars 05) (note du CLR).


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