Revue de presse

"Les Hijabeuses me prennent la tête" (Luc Le Vaillant, Libération, 15 fév. 22)

15 février 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’exigence de quelques joueuses de foot musulmanes de pouvoir garder leur hijab confirme que le sport est un terrain d’affrontements idéologiques, loin de l’idyllique jovialité d’un corps libéré.

par Luc Le Vaillant

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Mais quelle tannée que cette histoire de Hijabeuses ! Ces footballeuses très observantes réclament de ne pas se décoiffer pour taper dans le ballon. Elles tiennent à dérober leur chevelure aux regards forcément émoustillés. En conséquence, elles réclament la modification du règlement de la Fédération française de football (FFF) qui proscrit toute affirmation religieuse ou politique.

Les camps sont tranchés, les équipes constituées. A ma droite, oui, oui, j’ai bien dit « à ma droite », voici les différentialistes et les intersectionnels. Cette alliance baroque, loin d’être inusitée, réunit fondamentalistes musulmanes et écoféministes parmi lesquelles la merveilleuse Alice Coffin, toujours prête à marquer contre son camp. De vieilles gloires, comme Lilian Thuram, antiraciste viré décolonial, et Eric Cantona, Che Guevara de comédie parlant beau, sont également de la partie. A ma gauche, oui, oui, j’ai bien dit « à ma gauche », voilà les universalistes qui tiennent à l’exception laïque française quand les Anglo-Saxons se plient aisément aux suppliques des particularismes religieux.

Ce besoin des Hijabeuses de sortir couvertes me paraît assez lunaire. Invoquer la « liberté de culte », quand il n’est question que de gambader sur une verte pelouse, fait doucement rigoler l’anticlérical que je suis. Et brandir le « respect des différences » est une manière assez grandiloquente de battre tambour alors qu’il s’agit simplement d’appliquer les règles du jeu. Aussi arbitraires soient-elles, ces dernières sont indispensables à la pratique commune. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas demander la fin du hors-jeu au motif que les dieux seraient tout-terrain ou décider que les touches doivent désormais s’effectuer au pied car les mains seraient impures, entre autres jobardises.

Vous me direz que se braquer pour un bout de tissu est un peu abusif. Vous me ferez valoir que tant que cela ne procure aucun avantage et ne cause aucun dommage, la tolérance devrait prévaloir. Et ce d’autant que cette pudeur exagérée semble encore minoritaire. Fort de ma bienveillance légendaire, me voilà songeant un instant à un accommodement raisonnable avec le rigorisme islamique. La générosité un peu ahurie de mes libéralités libertaires m’y pousserait presque, façon bourrade dans le dos.

Sauf que ce remake du sketch du burkini m’énerve passablement. Ces militantes créent des polémiques pour faire triompher l’islam politique et son calamiteux obscurantisme. Pour en revenir au burkini, cela m’indiffère qu’on l’exhibe sur les vastes plages de l’Hexagone. Ironie régalante, il y voisine avec les nudistes qui s’y déloquent déjà gaillardement. Par contre, pour les piscines, je comprends que les autorités municipales imposent également leurs normes d’hygiène minimale. Cela évite que certains Adam et Eve moqueurs en reviennent à leur tenue d’origine, répliques de rien-du-tout au tout-en-un de ces dames emballées.

Si j’applique ma théorie burkini au foot, cela ouvrirait aux Hijabeuses l’accès aux terrains stabilisés des pratiques amateures et les priverait des divisions supérieures. Compromis assez foireux, je l’admets, qui ne tiendra pas longtemps face aux avis du Conseil d’Etat et aux hourvaris des filles à foulard. Sans parler des exigences des naturistes à crampons qui eux aussi pourraient arguer que, comme les Grecs des origines, ils dribbleraient mieux dans le plus simple appareil.

Tout cela confirme que le sport n’a jamais été un jardin d’Eden d’avant la faute, un îlot préservé de la rumeur du monde, une zone franche où l’on sautillerait entre naïveté enfantine et hédonisme heureux. Les potentats olympiques comme les éminences footeuses ont longtemps entretenu l’illusion de cette camaraderie en culotte courte, de ce fair-play à blanches mains, de ces corps sains ayant bon esprit. La confrontation physique et la sueur partagée seraient des remèdes au repli identitaire ? Tu parles ! En fait, les nations, les factions et les religions ont toujours utilisé cette guerre euphémisée qu’est le sport pour prouver la supériorité de leur mode de vie ou de leur idéologie. Regardez comme Pékin, ces jours-ci, tente de se présenter en blanche colombe, montée sur skis et patins.

Depuis un moment, le Comité international olympique (CIO) a fini par laisser les marchands entrer dans le temple où désormais ils badgent à tire-larigot le moindre centimètre de peau. Et la Fédération internationale de football association (FIFA) a confié à Doha l’organisation de son futur mondial, tandis que les théocraties pétrolières se tirent la bourre à travers leurs clubs filiales. Ces Etats au progressisme modéré en font les emblèmes de leur stratégie d’influence, qui n’est pas sans risque de sécularisation en retour. L’Arabie Saoudite vient de racheter l’équipe de Newcastle. Et pourra bientôt en remontrer au Manchester City des Emirats arabes unis (EAU) ou à notre cher Paris-Saint-Germain (PSG), succursale du Qatar. Pour l’instant, les sections féminines de ces clubs n’arborent aucun hijab. Espérons que ça dure."

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