Eddy Khaldi

"La laïcité face aux dérives concordataire et identitaire" (E. Khaldi, blogs.mediapart.fr , 19 fév. 16)

par Eddy Khaldi, militant syndicaliste et associatif, auteur de "ABC de la Laïcité" (Demopolis). 20 février 2016

"À la suite de l’entretien donné par Élisabeth Badinter le 6 janvier dernier où elle déclarait sur France Inter : « Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe. », le rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité, Nicolas Cadène, avait stigmatisé sur Twitter, sans raison apparente, les propos de la philosophe accusée de détruire son travail.

Pourtant, celle-ci n’avait à aucun moment évoqué ni l’Observatoire, ni ses responsables. Seul le mot « islamophobie » a fait débat lors de son interview. Depuis quelques années, des dérives insidieuses se sont installées autour de ce concept d’islamophobie souvent utilisé. Chacun le définit à sa manière, selon ses convictions ou intentions : « Le mot "islamophobie" a été pensé par les islamistes pour piéger le débat et détourner l’antiracisme au profit de leur lutte contre le blasphème. » [1]. Ce que confirme Gilles Kepel [2] : « mot inventé par les Frères Musulmans par symétrie spécieuse avec la victimisation des Juifs. »

Interrogeons-nous, avons-nous le droit de critiquer une religion et la critique d’une religion doit-elle être assimilée au racisme ?

En 2005, le Haut Conseil à l’Intégration alertait : « En République, la critique de la religion, comme de toute opinion, est libre et constitutionnellement garantie. Elle ne saurait être assimilée au racisme et à la xénophobie, que les membres du HCI combattent activement. La pratique de la religion étant libre, l’islamophobie, c’est-à-dire la peur ou la détestation de la religion islamique, ne relève pas du racisme. » [3] Plus récemment, le dessinateur Charb, assassiné en janvier 2015, dressait un réquisitoire virulent contre l’utilisation du mot « islamophobie ». Son livre posthume est, d’ailleurs, intitulé « Lettres aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes ». « Le chantage à l’islamophobie est insupportable. La critique d’une religion ne se confond pas avec l’injure faite aux fidèles de cette religion, et c’est au juge et à lui seul de faire le partage, si litige il y a. » [4] [...]

La laïcité s’inscrit, de plus en plus, dans un unanimisme trompeur. Pierre angulaire du modèle républicain, cette laïcité n’était-elle pas qualifiée de « positive » en 2007 par ceux qui, en 1984, combattaient cette "vieille lune pour esprits attardés" ? N’est-ce pas là le triomphe de l’équivoque ? Cette entreprise de récupération du mot laïcité participe d’une volonté de dénaturation du concept dans des traductions très diverses et parfois antinomiques. D’une part, l’extrême droite et la droite identitaire, dans une attitude de façade, concentrent leurs feux sur l’islam, en convoquant la laïcité avec toutes les arrière-pensées que l’on sait. D’autre part, dans le domaine institutionnel, le dualisme scolaire profite de plus en plus à l’Eglise catholique, avec l’appui d’élus, de toutes tendances. Certes, on ne saurait réduire la question de la laïcité à celle de l’école. Pour autant, l’en exclure, maintenant, est un piège qui conforte une dérive concordataire. Pire, un reniement au regard de nos principes républicains.

Derrière cette polémique abondamment médiatisée, centrée presque exclusivement sur des personnes, le débat autour de la définition du principe juridique de laïcité et ses applications perdure. Laïcité parfois remise en questions, y compris, par des associations « investies de façon historique » qui ont pu se laisser emporter dans les stratégies cléricales concordataires initiées, par l’Eglise catholique, depuis la fin du deuxième conflit mondial en inventant le concept de « laïcité ouverte » réactivé après 1984.

« Nous ne sommes pas des acteurs politiques, mais nous sommes des partenaires des institutions », revendique, aujourd’hui encore, Olivier Ribadeau-Dumas, secrétaire général de la Conférence des évêques des France (CEF). « Les religions sont des partenaires », abonde Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman. Ces discours ambigus nécessitent clarifications.

Loin de s’éteindre, la guerre scolaire s’aggrave toujours depuis la loi Debré de 1959, et les concessions au pluralisme scolaire après juillet 1984 ont ouvert la voie à la « laïcité plurielle » et au développement d’une stratégie institutionnelle concordataire. Ils s’inscrivent dans cet appel œcuménique, en 1987 du Cardinal Vilnet président de la CEF : « L’heure semblerait venue de travailler avec d’autres, à redéfinir le cadre institutionnel de la laïcité » aussitôt, à l’unisson,ces collègues cardinaux prenaient la relève " Entre l’Eglise et l’Etat, on ne peut plus parler de séparation, mais de collaboration " affirme en 1988 Decourtray sitôt suivi par son confrère Lustiger : " Si l’Etat ne faisait pas l’effort de redéfinir les conditions de la séparation, dans l’état actuel des mœurs et de la société, il porterait gravement atteinte à un droit imprescriptible, au patrimoine spirituel qui est un bien de la nation. "

La société française se trouve, aujourd’hui, confrontée à l’émergence de l’Islam aux côtés des autres religions du Livre. De la prise en compte de cette réalité est né un débat entre ceux qui militent pour une bienveillance et une reconnaissance institutionnelle à l’égard de l’Islam donc l’inscrire dans un processus concordataire afin de maintenir et développer les accommodements et passe droits de quelques cultes. Alors que d’autres développent une logique identitaire, comme Eric Ciotti : « La France est le fruit de ses racines chrétiennes. Notre devoir est de faire en sorte que la France reste la France ! C’est pourquoi, je vais déposer une proposition de loi visant à inscrire dans notre Constitution nos racines chrétiennes. ». Après le débat sur « l’identité nationale » lancé par le précédent président de la République, c’est l’illustration de la confusion et la stratégie de ceux qui enferment toute une partie de la population issue de l’immigration dans une appartenance présupposée à l’Islam, imposée comme marqueur identitaire. On assiste à une partition de la sphère publique éclatée en appartenances religieuses par ce marquage ostentatoire imposé. « Hérité de l’histoire, le modèle alsacien-mosellan », élargi à l’islam, « intéresse Paris », laisse par ailleurs entendre la presse [5].

Sauf à tomber dans le piège de cette alternative concordataire ou identitaire qui trahit nos principes républicains, on ne peut pas dissocier la question de l’Islam de celle des autres cultes et convictions.

Alors, pour respecter nos principes républicains, la seule voie possible ne peut être que la laïcité.

C’est la seule question qui vaille, car, on ne peut réduire cette polémique née d’un tweet à la démission de tel ou tel responsable institutionnel. Cela relève de la responsabilité du pouvoir politique. Cependant on ne peut occulter plus longtemps les débats combats, essentiels, sous-jacents autour de la laïcité.

1905, la liberté de conscience faite loi

La laïcité, pour l’Etat et les institutions publiques, n’est ni l’inclusion, ni l’exclusion des convictions ou des religions. LA LAÏCITE, PRINCIPE CONSTITUTIONNEL, N’EST NI CONTRE LES RELIGIONS, NI AVEC MAIS SANS ELLES. La laïcité c’est la neutralité, la séparation. Seule la neutralité effective de l’Etat et celle des institutions concrétise le primat de la liberté de conscience et garantit la liberté de culte pour ne placer aucune opinion au-dessus des autres. Ainsi l’Etat est le gardien de l’égalité républicaine.

L’obligation de respecter le principe constitutionnel de laïcité de chaque citoyen et non de quelques groupes ou religions arbitrairement choisies est la meilleure assurance que l’émancipation, la liberté, les droits et la sécurité de chacun d’eux soient garantis de manière effective. La laïcité c’est refuser tout privilège à l’athéisme comme aux religions.

La laïcité relève d’abord du droit. Au regard de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, du 9 décembre 1905, c’est : le primat de la liberté de conscience, l’égalité en droit de tous les citoyens (et non des religions) au regard de leurs convictions, y compris religieuses et la nécessaire neutralité de l’Etat au regard de toutes les convictions. La neutralité de l’Etat à l’égard de toutes les convictions et croyances n’est pas exempte de valeurs, ce n’est pas une abstraction. Elle constitue la condition nécessaire pour l’égale dignité de tous les êtres humains quelles que soient leurs cultures et leurs pratiques religieuses. Toute reconnaissance institutionnelle et une assignation à une appartenance privée constitue une discrimination positive.

Dans son rapport parlementaire du 4 mars 1905 afférent à la loi de séparation, Aristide Briand aborde ainsi sa conclusion : « Aujourd’hui, il n’est plus personne pour contester sérieusement que la neutralité de l’Etat en matière confessionnelle ne soit l’idéal de toutes les sociétés modernes. »

Cette volonté de dissoudre la neutralité de l’Etat procède d’une démarche cléricale. Jean Baubérot (organisateur de la pétition de soutien à Jean Louis Bianco) [6] répète à l’envi qu’il est l’héritier de Briand et nous assène « l’État ne saurait être neutre » [7] et« La laïcité, "une interprétation fallacieuse de la neutralité de l’Etat » [8].

Le rôle de l’État est d’assurer la sécurité et la liberté de culte et non de l’organiser. L’Islam en France doit rester l’affaire des musulmans. Ce n’est pas exclusivement la « liberté religieuse » que la laïcité garantit mais d’abord la liberté de conscience, laquelle permet le droit de choisir sa religion, n’en pas avoir ou d’en changer. Voire de militer contre toute religion.

Les institutions publiques doivent demeurer incompétentes en matière de religion, ne reconnaitre institutionnellement aucun culte, aucune croyance. Cette séparation et cette stricte neutralité garantissent l’égalité des citoyens au regard de toutes les convictions."

Lire "La laïcité face aux dérives concordataire et identitaire".

[1Caroline Fourest & Fiammetta Venner - Islamophobie ? Revue ProChoix n°26-27, 2003.

[2Gilles Kepel – Terreur dans l’Hexagone Gallimard p.42.

[3HCI rapport de 2005.

[4Régis Debray, dans Marianne du 29 janvier 2016.

[5Le Figaro, 3 mars 2015.

[7Les 7 laïcités françaises.



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