Edito du Président

Renouer avec le sens de la laïcité (P. Kessel, 24 jan. 16)

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République 24 janvier 2016

Le débat ouvert autour de l’« affaire de l’Observatoire de la Laïcité » est trop sérieux pour être abandonné aux polémiques stériles et aux quolibets d’un autre temps. Il est légitime et heureux que le Premier ministre, dans son rôle, rappelle à l’ordre les responsables de l’Observatoire qui n’ont pas à impliquer cette instance, dépendant de l’Hôtel Matignon, dans des polémiques indignes de l’enjeu et du légitime débat.

« L’Observatoire est mandaté pour formuler des avis et recommandations » à l’attention du gouvernement, avait indiqué clairement le président de la République en l’installant. En dépit d’un fonctionnement fort peu collégial, l’Observatoire a élaboré des documents rappelant l’état du droit. Mais, depuis sa mise en place, l’Observatoire, par la voix de ses responsables, en tant que tels, s’est engagé dans la promotion d’un parti-pris, prenant le risque de diviser profondément et d’alimenter la polémique.

Tout a commencé par la déclaration de son président déclarant « qu’il n’y a pas de problème de laïcité en France ». « Un tel propos n’engage que lui », avaient précisé des membres du collège des personnalités qualifiées [1]. Ce détournement de la fonction de l’Observatoire s’est poursuivi à l’occasion des débats sur la situation dans certains hôpitaux, dans certaines universités, dans des crèches, Baby-Loup par exemple, ainsi que par des initiatives communes avec des associations et personnes engagées dans la remise en cause de la laïcité. L’attaque contre Elisabeth Badinter, parce qu’elle ose dire tout haut qu’il faut « défendre la laïcité sans avoir peur d’être traité d’islamophobe » [2], aura franchi la ligne rouge. Elle est d’autant plus odieuse que chacun sait l’engagement de la philosophe contre le racisme sous toutes ses formes. Une telle démarche apporte de l’eau au moulin de ceux dont l’objectif est de discréditer la laïcité en la qualifiant « d’islamophobe », de « colonialiste », de raciste ». Le procès en "islamophobie", véritable imposture, rappelle les procès de Moscou, à une époque où toute personne critiquant le système stalinien était traitée de « fasciste ». Il s’agit de discréditer ceux qui défendent l’idée d’une laïcité qui s’applique à tous les cultes.

C’est faire fi, au moment où l’islamo-fascisme recrute des jeunes perdus dans nos cités, du fait que l’immense majorité des musulmans dans le monde sont les premières victimes de l’islamisme et que les musulmans français sont et veulent être pleinement des citoyens comme les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, en premier lieu entre hommes et femmes. Qu’ils doivent donc être traités comme tels et non comme une catégorie à part. Le rapport Obin en 2004 nous avait alertés sur la gravité des tensions provoquées sur le terrain par les revendications communautaristes [3]. Se réfugier dans le déni aboutit à céder le terrain à l’extrême droite, elle qui a tenté un véritable hold-up, un détournement de la laïcité, alors que tout au long de son histoire, elle a défendu une identité française blanche, catholique, apostolique et romaine. À ceux qui traitent de « néo-réactionnaires » les défenseurs de la laïcité, rappelons qu’en 1996, le Comité Laïcité République avait lancé avec Charlie Hebdo une pétition demandant la dissolution du Front National ! [4]

Cette polémique intervient alors que la Laïcité est attaquée sur plusieurs fronts. Ceux qui veulent remettre en question le principe de séparation des églises et de l’Etat, en particulier l’article 2 de la loi de 1905 qui stipule que la République ne reconnait, ne finance ni ne salarie aucun culte. Ceux qui voudraient la réduire à une simple neutralité de l’Etat et au dialogue inter-religieux. Ceux qui voudraient la renégocier au prétexte de « l’adapter » à des revendications communautaristes – n’a-t-on pas vu un think tank de gauche proposer une citoyenneté à géométrie variable en fonction des origines de chacun [5] ? Ceux qui voudraient abroger la loi de 2004 interdisant les signes religieux ostensibles à l’école. Toutes les tentatives menées ces dernières années pour affubler la laïcité d’un qualificatif, « plurielle », « ouverte », « positive » et désormais « concordataire », visent en fait à la vider subrepticement de son contenu. À la caricaturer en force antireligieuse alors qu’elle garantit la liberté de pratiquer un culte ou de n’en pratiquer aucun. Aussi de les contester.

Il n’y a qu’une laïcité mais la confusion s’est instillée dans les têtes au fil des ans. Une partie de la droite penche vers une « catho-laïcité » qui ne voit aucun problème à ce que des crèches soient installées dans des mairies ! Une partie de la gauche balance entre « accommodements raisonnables » et communautarisme. La déchirure culturelle s’est révélée au grand jour quand, au lendemain des attentats barbares de janvier, des intellectuels de gauche ont susurré que les caricaturistes de Charlie « l’avaient un peu cherché ».

Cela justifierait un véritable débat dans lequel il n’y aurait pas de place pour l’injure comme s’y emploient ceux qui s’autorisent à qualifier les défenseurs d’une laïcité sans qualificatif de « laïcistes intégristes » ou de « laïcards ». Rappelons que ce terme qui résonne comme l’équivalent de « youpin », « bicot », « negro », « pédé », fut inventé par Charles Maurras !

Au lendemain des attentats barbares de janvier, le sursaut républicain fut immense et émouvant. Le Président de la République, le Premier Ministre, les députés entonnant la Marseillaise à l’unisson, ont clairement rappelé leur attachement à la Laïcité. Manuel Valls, l’a réaffirmé à raison et à plusieurs reprises, déclarant récemment qu’il « y a urgence à renouer avec le sens de la laïcité, notre socle commun, (...) ferme, non négociable » qui doit « permettre de rassembler ».

C’est à ce chantier qu’il convient de consacrer nos forces.

Patrick Kessel,
président du Comité Laïcité République


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