Contribution

La Commission Stasi : diagnostic oublié (P. Foussier)

Par Philippe Foussier, président délégué du CLR. 30 mars 2015

C’est le 11 décembre 2003 qu’était remis au président de la République le rapport de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République. Quelques rappels factuels douze ans après.

Le 3 juillet 2003, Jacques Chirac missionnait le Médiateur de le République, Bernard Stasi, et sa commission afin de mener une réflexion sur l’application du principe de laïcité en France. Depuis plus de 10 ans, on a surtout retenu la préconisation qui a abouti à la loi de mars 2004 sur la proscription des signes religieux dans les établissements scolaires publics. Si les autres propositions avaient été aussi appliquées, sans doute la laïcité n’aurait elle pas connu les reculs qu’elle a enregistrés depuis lors.

Mais revenons–en à sa composition, que le président de la République avait souhaitée représentative des diverses sensibilités politiques, philosophiques ou spirituelles. Présidée par l’ancien ministre centriste Bernard Stasi, elle comprenait peu d’élus, sinon Michel Delebarre, alors député-maire de Dunkerque pour la gauche, et Nelly Olin, sénatrice-maire de Garges les Gonesse, pour la droite.
Beaucoup d’universitaires en étaient membres, comme l’islamologue Mohamed Arkoun, Jacqueline Costa-Lascoux, sociologue en ancienne présidente de la Ligue de l’enseignement, Gilles Kepel, auteur de nombreux ouvrages sur les banlieues et sur l’islam, l’académicien catholique René Rémond, le sociologue Alain Touraine ou son collègue Jean Baubérot, Patrick Weil, spécialiste des questions d’immigration ou encore les philosophes Régis Debray et Henri Pena-Ruiz.
D’autres étaient aussi des praticiens de l’Éducation nationale, comme Hanifa Cherifi, médiatrice au ministère, Ghislaine Hudson, proviseure, ou le recteur de l’Académie de Paris, Maurice Quenet.
D’autres encore étaient responsables associatifs comme Gaye Petek ou l’avocate Nicole Guedj.
Y figurait aussi, comme chef d’entreprise, Raymond Soubie, le conseiller social de la plupart des présidents de la République de droite. Marceau Long, vice–président du Conseil d’État, en était aussi membre, et le rapporteur Remy Schwartz, était lui aussi issu du Conseil d’État.

La Commission Stasi s’était prononcée à l’unanimité sur le rapport et sous réserve d’une abstention, sur la proposition relative à l’interdiction de tenues et signes religieux et politiques dans les établissements d’enseignement. Concernant l‘école, le rapport préconisait de « faire respecter strictement les règles d’obligation scolaire et le contenu des programmes » et de « faire de la laïcité un thème majeur de l’instruction civique ».
On y relevait aussi l’idée de « rendre possible l’accès à l’école publique dans toutes les communes » ou la suppression des enseignements des langues et cultures d’origine (ELCO) pour « les remplacer progressivement par l’enseignement des langues vivantes ». Sur les ELCO, « la commission constate que, sur fond de droit à la différence, on a glissé vers le devoir d’appartenance. Cet enseignement relève d’une logique communautariste ».
On relevait aussi les préconisations dans l’enseignement supérieur, dans les hôpitaux ou dans l’entreprise : « Insérer dans le Code du travail un article pour que les entreprises puissent intégrer dans leur règlement intérieur des dispositions relatives aux tenues vestimentaires et au port de signes religieux pour des impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle ou à la paix sociale interne ».

Mais dès 2003, c’est peut être le constat d’une crise profonde qui révèle le gâchis dont les responsables politiques ne peuvent s’exonérer de la responsabilité. « La dérive du sentiment communautaire vers un communautarisme figé menace de fragmentions nos sociétés contemporaines », affirmait alors le rapport.
Les membres de la Commission s’étaient rendus aux Pays-Bas pour y examiner l’expérience du « multiculturalisme ». Le diagnostic était clair, faisant état de processus de « tribalisation », de « tensions raciales, confessionnelles, de regain d’antisémitisme et d’exacerbation des tentations extrémistes » ». Les rapporteurs précisaient : « Rompant avec le multiculturalisme, le gouvernement néerlandais désire désormais mener une politique volontaire d’intégration dite de "citoyenneté partagée" stipulant que les nouveaux immigrants adhèrent aux « valeurs fondatrices de la société néerlandaise » ».

Sur la question des services publics, les membres de la Commission Stasi n’esquivaient pas les réalités : « Des services publics sont, au nom des convictions religieuses de certains de leurs usagers, quelquefois de leurs agents, niés dans leur principe et entravés dans leur fonctionnement. En effet, les revendications auxquelles ils doivent faire face mettent en cause l’égalité et la continuité qui les fondent. Si la République n’est pas à même de restaurer leur fonctionnement normal, c’est donc l’avenir même de ces services publics qui est en jeu ».
Les pressions sur les élus locaux y étaient évoquées : « Les gestionnaires d’équipements publics, et en particulier les communes, sont sollicités pour offrir aux usagers des créneaux d’utilisation non mixtes. Cette logique est dangereuse et discriminatoire. Elle ouvre à terme la voie à d’autres formes de distinctions, par exemple selon des critères de nationalité ou d’appartenance ethnique », remarquaient les rapporteurs.
Le rapport mentionnait le bilan de l’audition d’agents des trois fonctions publiques et en tirait la leçon : « Des personnes auditionnées ont déclaré avoir l’impression d’être livrées à elles mêmes pour résoudre ces difficultés. Elles ont le sentiment que les règles ne sont pas claires, que la hiérarchie ne leur apporte qu’un faible soutien. Sur le terrain, elles sont confrontées à des situations éprouvantes. Elles s’estiment victimes d’une "guérilla" permanente contre la laïcité. A ce titre, l’échelon local n’est pas le plus pertinent pour développer une stratégie de réponse. C’est pourquoi elles attendent un soutien de l’État, une ligne claire et ferme ».

Le rapport pointait déjà une régression de la situation des jeunes femmes dans certaines cités : elles « se retrouvent victimes d’une résurgence du sexisme qui se traduit par diverses pressions et par des violences verbales, psychologiques ou physiques. Des jeunes gens leur imposent de porter des tenues couvrantes et asexuées, de baisser le regard à la vue d’un homme (…). Des droits élémentaires des femmes sont aujourd’hui quotidiennement bafoués dans notre pays. Une telle situation est inacceptable », estimaient les rapporteurs.
S’agissant des financements publics, le rapport estimait que « l’État et ses partenaires, associations ou collectivités locales, gagneraient à préciser les critères d’attribution des aides à des structures communautaires : oui au financement de celles qui favorisent les échanges, les rencontres, l’ouverture sur la cité ; non à l’aide aux associations qui refusent le dialogue avec le reste de la société ».
C’est sur l’école - déjà - que les rapporteurs établissaient un bilan particulièrement préoccupant, en évoquant la situation des chefs d’établissement et des professeurs : « Insuffisamment outillés, ils se sentent bien seuls devant l’hétérogénéité de ces situations et la pression exercée par les rapports de force locaux. Ils contestent les chiffres officiels qui minimisent les difficultés rencontrées sur le terrain. Ils ont souligné les tensions suscitées par les revendications identitaires et religieuses, la formation de clans, par exemple des regroupements communautaristes dans les cours de récréation ou les cantines scolaires. Ils expriment tous le besoin d’un cadre clair, d’une norme formulée au niveau national, prise et assumée par le pouvoir politique ».

Rappelons que la Commission Stasi avait alors procédé à plus d’une centaine d’auditions et recueilli près de 2000 contributions écrites. Un rapport qui a été beaucoup commenté mais dont les constats semblent avoir bien peu servi.

Philippe Foussier



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