Laurent Bouvet, universitaire, auteur de "L’insécurité culturelle" (Fayard). 2 mars 2016
"[...] Une certaine gauche, politique et intellectuelle, c’est le cas aussi dans l’université et la recherche, se comporte de manière très complaisante avec l’islamisme, au nom du fait que les musulmans (opérant d’ailleurs ainsi un amalgame à l’envers si je puis dire) sont obligatoirement et automatiquement parmi les « damnés de la terre » ou subissent les affres du post-colonialisme. Cette complaisance va parfois jusqu’à la complicité voire la compromission, on le voit dans les tribunes communes tenues par certains journalistes, chercheurs ou responsables politiques avec quelqu’un comme Tariq Ramadan par exemple.
C’est cette gauche-là qui emploie d’ailleurs, à l’encontre de tous ceux qui ne pensent pas comme elle, des méthodes d’intimidation et de disqualification, notamment en usant et abusant du mot « islamophobie », dignes de ce qui s’est fait dans le communisme stalinien de la grande époque. Dans ces procès en « islamophobie » intentés publiquement, sur telle ou telle tribune, dans les médias traditionnels ou sur les réseaux sociaux, à tous ceux qui refusent toute complaisance avec l’islamisme politique notamment, le verdict est ainsi toujours prononcé avant même que le procès ait eu lieu !
La polémique est née d’un texte publié par un collectif de 19 chercheurs qui s’attaquaient aux analyses par l’écrivain algérien des événements de Cologne. Qu’est-ce que cela dit du milieu universitaire français ?
Cela révèle d’abord cette complaisance pour certains, dont on vient de parler, ou cette inconscience pour d’autres. Les discussions avec certains collègues montrent, au mieux, une forme de négation du réel. Non tant pour des raisons idéologiques comme celles que l’on vient d’évoquer mais par indifférence voire par peur de déplaire, de sortir du rang en quelque sorte. Se faire traiter publiquement par les complices ou les promoteurs de l’islamisme politique d’islamophobe n’est jamais agréable. Cela laisse, comme toute calomnie, toujours des traces. Il faut pouvoir l’accepter comme une des règles du jeu de l’arène publique et le supporter.
Cela révèle aussi, comme toujours dans ces cas là, une forme de jalousie chez certains. [...]
Fawzia Zouari appelle à une émancipation de ces penseurs arabes qui ont un lien avec la France face aux interdits posés selon elle par une partie de la gauche française. Comment expliquez-vous ces tabous qui pèsent sur la gauche française ?
Je vois au moins deux tabous qui bloquent les débats et conduisent à ce que l’on décrivait plus haut. L’un tient au complexe colonial et à la manière dont il est entretenu voire exploité par certains à gauche sous la forme du post-colonial. Plutôt que de laisser cette question aux historiens et à l’activité nécessaire de mémoire à propos de la colonisation, c’est devenu une forme de paravent à tout débat sur l’islamisme en particulier, et au-delà à toute forme de critique sur telle société qui a été colonisée ou à l’encontre de tout groupe culturel qui a subi la colonisation. Le colonisateur est d’ailleurs lui-même essentialisé, comme homme blanc occidental européen etc. Et nul, appartenant à cette funeste catégorie ne peut produire un discours critique ou même simplement poser des questions sans être immédiatement accusé de poursuivre les formes du colonialisme par d’autres moyens, ici et maintenant. La seule forme de contribution acceptée et acceptable sur le sujet, on le voit dans les sciences sociales depuis des années, est celle qui va dans le sens de la déploration et de la victimisation des anciens colonisés et de ceux qui sont supposés être leurs héritiers. Tout ceci est infantilisant et essentialisant, pour tout le monde. Ce que réclame des gens comme Kamel Daoud avec bien d’autres, c’est un accès à une forme d’universalisme qui ne vient pas de l’extérieur, n’est imposé par personne, mais existe dans chacun d’entre nous, dans chaque société, dans chaque culture, religion, etc. L’universalisme de l’humanisme, de l’esprit critique, de la pensée contre soi-même et les siens, etc.
Le second tabou, à gauche en particulier, vient de cette difficulté récurrente de penser le monde tel qu’il est plutôt que tel qu’on voudrait qu’il soit. [...] Comme si pour cette gauche, l’émancipation pouvait trouver son chemin à travers l’islamisme et plus généralement à travers une vision fermée et aliénante de la religion pour l’individu et les groupes qui s’en réclament ou y sont soumis. Or le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas le cas. Le réel est là pour nous rappeler que nous pouvons faire fausse route. Même si certains refusent de le voir."
Lire « Le procès en islamophobie contre Kamel Daoud est digne de l’époque stalinienne ».
Lire aussi F. Zouari : "Kamel Daoud fait l’objet d’une sorte de fatwa laïque" (France Inter, 1er mars 16), "Au nom de Kamel Daoud" (F. Zouari, Libération, 29 fév. 16), "Daoud ou la défaite du débat" (Le Monde, 27 fév. 16), "Daoud islamophobe, contre-enquête" (Egale, 24 fév. 16), "Kamel Daoud victime de l’arrogance des universitaires" (M. Mbougar Sarr, Choses revues / courrierinternational.com , 24 fév. 16), "Pourquoi Kamel Daoud a raison" (F. Zouari, jeuneafrique.com , 24 fév. 16), "Non à l’hallali contre Kamel Daoud" (Libération, 22 fév. 16), R. Enthoven : "Pourquoi, dès qu’on attaque des fondamentalistes, se fait-on sermonner par des sociologues ?" (Europe 1, 19 fév. 16), "La gauche dans le piège de Cologne" (Aude Lancelin, nouvelobs.com , 18 fév. 16), Jean Daniel : "Mieux vivre avec l’islam !" (nouvelobs.com , 17 fév. 16), K. Daoud : "Le verdict d’islamophobie sert aujourd’hui d’inquisition" (marianne.net , 17 fév. 16), K. Daoud : "La misère sexuelle du monde arabe" (nytimes.com , 12 fév. 16),K. Daoud : "Cologne, lieu de fantasmes" (Le Monde, 5 fév. 16), L’écrivain Kamel Daoud visé par une fatwa (liberation.fr , 17 déc. 14) (note du CLR).
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