Guylain Chevrier, ex-membre de la mission Laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (2010-2013). 2 novembre 2014
"Guylain Chevrier se réjouit de l’aide financière promise à Baby-Loup, mais estime que la victoire juridique de cette crèche ne règle pas le sort des autres établissements qui ne sont pas en mesure d’imposer la neutralité religieuse à leurs employés."
"La crèche Baby-Loup, après sa victoire juridique de juin dernier confirmant le licenciement de l’employé voilée qui entendait s’opposer au règlement intérieur, affirmant le principe de laïcité et de neutralité, se trouvait en risque de fermeture en raison d’un manque de moyens financiers. Ces moyens viennent de lui être débloqués pour lui permettre un fonctionnement pérenne avec l’ouverture en 2015 de 38 berceaux.
Pour autant, rappelons que, si la crèche Baby Loup fait figure emblématique du combat en faveur de la laïcité dans le secteur de la prise en charge de la petite enfance, le jugement rendu en juin dernier par la Cour de cassation ne règle pas le sort des autres crèches, qui ne sont pas en mesure de pouvoir imposer la neutralité religieuse à leurs employés.
Le jugement rendu concernant Baby Loup est aménagé d’un encadrement circonstancié qui le rend difficilement applicable à d’autres crèches, se déclarant elles-mêmes laïques. Il n’existe pas en France de reconnaissance d’entreprise de tendance laïque comme cela est le cas pour celles se revendiquant d’un caractère religieux. A la façon de l’entreprise de marque, l’entreprise de tendance peut imposer au nom de ses convictions à ses employés, des restrictions en matière d’expression religieuse.
Ce que la crèche Baby Loup a la grande qualité d’interroger, est de savoir s’il n’est pas dû aux enfants pris en charge autant qu’à leurs parents, le respect de leur liberté de conscience, en posant comme cadre de travail le principe de laïcité et la neutralité qui en découle. Une question posée dans le prolongement de nos institutions et de droits fondamentaux que l’Etat est censé garantir à tous.
Il reste donc à conquérir la liberté d’étendre à l’ensemble des crèches les principes qui ont guidé l’action de la crèche Baby Loup, qui ne peut se concevoir en dehors d’un cadre laïque qui garantisse aux enfants ainsi qu’à leurs parents un traitement et un respect égal.
D’ailleurs, on comprend mal qu’il puisse en être autrement. La Convention Internationale des Droits de l’Enfant ratifiée par la France en 1990, n’affirme-t-elle pas que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Et que d’autre part, « l’autorité parentale » est seule à détenir le pouvoir de guider l’enfant dans ses choix de conviction ou religieux, touchant à la sphère privée : « Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. » (Article 371 du Code civil).
Respecte-t-on l’enfant lorsqu’on lui impose, à travers une salarié voilées ou portant une grande croix, la manifestant ostensible de convictions religieuses ? Respecte-t-on aussi le libre choix des parents de guider leur enfant ou de le préserver dans ce domaine ? L’enfant n’a-t-il pas lui-même un droit à la liberté de conscience qui ne peut être ici qu’entamé ?
Pourquoi doit-on accepter que les droits de l’enfant soient si peu pris en compte à ce niveau alors que dans l’école maternelle, dès l’âge de deux ou trois ans, l’école laïque applique le principe de l’obligation de neutralité religieuse à ses salariés, de l’enseignant à la dame de service ? N’est-ce vraiment qu’une question d’attachement à l’Etat de l’établissement ici ou du respect d’un principe fondamental qui est celui de la liberté de conscience, qui devrait alors pour faire bonne mesure, être étendu à l’ensemble de l’enfance et donc particulièrement au domaine de la prise en charge de la petite enfance ?
Une proposition de loi a été avancée dans ce sens par la sénatrice François Laborde (Groupe RDSE) fin 2011, qui serait à regarder de près aujourd’hui, au vu de la montée des revendications communautaires à caractère religieux et de l’enfermement auquel donne lieu le développement du port du voile avec un refus du mélange, de plus en plus affirmé, au-delà de la communauté de croyance, qui fait pression sur notre société.
La proposition de loi visait à étendre l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité. Avec cette proposition de loi, il était question d’introduire une obligation de neutralité dans les dispositifs législatifs relatifs à la qualification professionnelle (article L. 2324-1 du code de la santé publique, quatrième alinéa) et à l’agrément des personnes habilités à accueillir de jeunes enfants (article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles s’agissant des assistantes maternelles et des assistants familiaux). Une loi qui s’empoussière au fond des tiroirs du Parlement.
Une autre ouverture serait possible dans le sens de l’obligation de la neutralité religieuse des personnels des crèches associatives, en élargissant à celle-ci le statut juridique relatifs aux établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). L’usager de ces établissements dispose de droits, dans l’ordre desquels la liberté de conscience est une des dimensions participant du respect de sa personne, inscrits dans le Code de l’action sociale et des familles. Les crèches font partie de ces rares établissements sociaux qui sont exclus de ce dernier.
La loi 2002-2 du 2 janvier 2002 qui rénove l’action sociale et médicosociale mise en œuvre par ces établissements, a fait passer les droits de l’usager d’une conception relative à la protection d’un public vulnérable, à la reconnaissance de l’accès de celui-ci à la citoyenneté et en tout à l’égalité. Il y est question du consentement éclairé de l’usager et de son libre choix, de son autonomie dont la liberté de conscience est difficilement dissociable. Ce qui est venu renforcer une déontologie du travail social qui comprenait déjà une nécessaire réserve du professionnel se trouvant dans une position d’ascendance et donc d’influence sur l’usager, requérant une attitude de neutralité religieuse et philosophique pour le respecter. Ceci dans un contexte de mise en œuvre de politiques sociales, dont l’Etat est le garant, par des établissements associatifs privés dont les prises en charges sont financées pour l’essentiel par les pouvoir publics.
Elargir donc aux crèches, le statut d’établissement et service sociaux et médico-sociaux, en les inscrivant dans le cadre du Code de l’action sociale et des familles par la loi, offrirait aux enfants et à leurs parents un statut d’usager, qui leur permettrait de faire valoir ce droit si précieux à la liberté de conscience passant par la neutralité des personnels.
On voit là aussi, donc, qu’il existe un cadre de réflexion sérieux à une loi susceptible de garantir aux enfants, dès leur plus jeune âge, le respect qui leur est dû, si on veut bien les regarder comme sujet de droit et futurs citoyens dont l’éducation mérite les précautions propres à promouvoir leur liberté de conscience. Ceci, d’autant plus, qu’ils sont bien appelés à devenir les citoyens d’un pays dont les institutions se définissent, dès l’article Premier de la Constitution, comme découlant d’une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.
A vous de jouer, donc, mesdames et messieurs du Parlement."
Lire "Baby-Loup : et maintenant... une loi sur la laïcité !".
Lire aussi le communiqué du CLR Baby Loup : une victoire en attendant une loi (30 oct. 14) (note du CLR).
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